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Poussoient d'insolentes clameurs,

Le Dieu, poursuivant sa carrière,
Versoit des torrens de lumière

Sur ces obscurs blasphémateurs.

La grande et peut-être l'unique ressource de l'ode parmi nous, Messieurs, c'est le genre sacré, parce qu'il est susceptible d'un véritable enthousiasme. Les prophètes, que je considère ici sous l'unique rapport de la poésie, et indépendamment de l'inspiration divine, parloient une langue, que sa pauvreté même forçoit d'être hardie et pittoresque. Leur nation avoit des rapports continuels et intimes avec Dieu, qui la gouvernoit immédiatement dans les principes de la théocratie. C'étoit là que Moïse avoit chanté, après le passage de la mer Rouge, la première et la plus belle de toutes les odes. Le génie de David, tout énervé qu'il est dans nos versions, étincelle encore de traits sublimes. Plein de verve et d'images, il assiste à la création, quand il en peint la magnificence; il vole de merveilles en merveilles, et anime toutes ses expressions d'un mouvement vif -et pressant. C'est un homme qui vous parle de haut et de loin; il n'a que le mot important de son idée à vous transmettre, ne s'énonce que par traits; et, dans cette rapide concision, il vous découvre la cause en vous poussant à ses effets les plus reculés. Jamais l'esprit divin ne communiqua au génie de l'homme tant d'ascendant et de puissance. David commande aux élémens; et, depuis

les astres du ciel jusqu'aux abîmes de la terre, l'Eternel semble avoir mis toute la nature sous l'empire de son poète.

Rousseau, celui de tous nos poètes qui s'est montré le plus digne d'imiter David, si David, dans la véhémence et la rapidité de son génie, n'étoit pas inimitable, Rousseau n'a voulu traduire que douze de ses plus beaux pseaumes; et, en s'efforçant d'égaler son modèle, il semble avoir porté le style de l'ode à son plus haut degré d'élévation. Simple et magnifique à la fois, il a l'accent de l'enthousiasme dans un langage toujours sonmis aux lois de l'analogie et du goût, l'art de dompter la rime dans une diction toujours pure et harmonieuse, la majesté du ton lyrique, la pompe des expressions les plus solennelles, le talent de revêtir ses pensées d'images augustes qui parlent aux yeux et peignent tout à l'esprit.... Heureux s'il eût plus souvent déployé cette sensibilité qui rend la voix de David și touchante, et dont il a lui-même répandu tout le charme dans le cantique d'Ezéchias!

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Ce fut à l'exemple de Rousseau, et en le prenant pour modèle, que M. de Pompignan conçut le projet d'enrichir notre littérature des trésors qui restoient encore à recueillir dans les livres saints; et le secret qu'il semble avoir réellement dérobé à ce grand lyrique, c'est celui d'une versification toujours pure, et ordinairement coulante et harmonieuse. Je n'inviterai point sans

doute les amateurs de la poésie, Messieurs, à lire de suite un recueil de cent odes sacrées; c'est une épreuve trop redoutable, peut-être, pour toute espèce de vers françois, quand ils ne sont pas soutenus par l'intérêt d'une action dramatique. Mais qu'on lise par intervalles, comme le caractère de notre poésie et le génie de notre nation semblent l'exiger, les pseaumes, les prophéties, les cantiques, les hymnes de M. de Pompignan; on trouvera peut-être que, trop préoccupé du soin de flatter l'oreille, il se néglige quelquefois sur les moyens que son talent lui fourniroit pour intéresser l'ame; que, trop satisfait du ton élevé qu'il a su prendre et soutenir, il ne recherche point assez ces heureuses modulations qui en sauveroient la monotonie ; qu'il laisse souvent à désirer plus d'imagination et plus de sensibilité dans ses vers; et qu'enfin l'ambition de grossir le volume de ses poésies lyriques, a nui à la solide gloire que lui auroient acquise les belles odes sacrées dont il est l'auteur, s'il avoit voulu y borner son talent. Mais dans celles ci, du moins, qui sont en assez grand nombre, on reconnoîtra une élocution animée, abondante et correcte, un beau caractère de poésie, l'art de rendre quelquefois heureusement des expressions de l'Ecriture qui sembloient inaccessibles à notre langue, et souvent dans la fierté de ses débuts une verve qui imite l'inspiration.

Tels étoient, Messieurs, les principaux titres

de

littéraires de M. de Pompignan, lorsque la voix publique l'appela au partage de votre gloire. Chef d'une Cour souveraine, favorisé des dons de la fortune, qui sont si utiles au développement des talens quand ils ne les étouffent pas, accoutumé à jouir d'une admiration universelle, ou plutôt d'une espèce de culte dans nos provinces méridionales, où, au danger de trouver tant d'hommages, se joignoit encore pour lui le malheur de n'avoir point de rivaux et un trop petit nombre de juges, généralement estimé parmi les gens de lettres, épargné par la critique, ébloui peut-être par trompeuses espérances, environné de la considération d'un frère distingué dans le clergé de France par ses vertus et par ses lumières, il venoit d'ajouter à Montauban une nouvelle colonie à la république des lettres, quand il parut devant ce sénat littéraire pour demander les honneurs du triomphe. Je ne saurois penser ici, Messieurs, sans un regret amer, à la perspective de bonheur qui sembloit s'offrir aux regards de M. de Pompignan, lorsqu'invité par vos suffrages à venir s'asseoir parmi vous, il n'avoit plus qu'à jouir du repos dans le sein même de la gloire. Un moment, apparence le plus heureux moment, a tout empoisonné. Je ne vois plus mon prédécesseur qu'à travers un nuage sombre.... Mais c'est sans doute, Messieurs, rendre hommage à votre délicatesse et à votre justice, que de séparer à vos yeux les ta lens qui ont illustré úne vie toute entière, d'une

erreur inexcusable qui en a obscurci le plus beau jour. Le zèle pour la religion n'attend point ici de moi un éloge superflu: je me défendrai donc par les mêmes convenances la censure des écarts auxquels il peut conduire. Consolons plutôt l'ombre affligée de M. de Pompignan, que je me représente dans ce moment à mes côtés, rapprochant par ses regrets les deux séances qui composent toute sa vie académiqué : celle de son adoption, celle de son éloge funèbre, et attendant aujourd'hui de mes mains les dernières palmes qui doivent le couronner, Non, Messieurs, vous n'avez point oublié que les liens qui l'attachoient aux lettres, l'unissoient toujours à vous. S'il a puse croire étranger à cette compagnie, l'erreur a été à lui seul; mais, dans le cours de ce long et déplorable divorce, ses travaux littéraires vous appartiennent, et je porte aujourd'hui, avec confiance, tous ses succès en tribut à votre gloire.

Depuis cette fatale époque, M. de Pompignan semble avoir cherché, dans la retraite de la campagne, des consolations que la capitale ne pou voit plus promettre à son ame agitée. C'étoit là, qu'entouré d'une bibliothèque savante dans laquelle il avoit recueilli le précieux dépôt des livres de Racine, il trouvoit dans la solitude même la société de l'esprit humain, concentroit son talent. dans les paisibles jouissances de l'érudition, et se déroboit, par des études profondes, au sentiment de ses peines et de ses douleurs. C'étoit là que,

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