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quelle adresse il dispose le raisonnement, le sentiment, et les images! Quel intérêt il répand dans ses discussions! que de naturel et de grâces dans sa sensibilité! et dans son style, que de mouvement, de couleur, et d'harmonie! Jamais génie plus souple et plus habile ne mania ce grand art de la persuasion: son éloquence remplit l'idée qu'on se forme de la perfection même, et c'est ainsi qu'il est parvenu à suspendre l'opinion de tous les siècles, entre la richesse de ses talens, et T'énergique simplicité de Démosthène.

La parole publique est un fruit de la liberté. Que devint-elle donc, quand Rome, qui commandoit au monde, obéit elle-même à des maîtres despotiques? Elle disparut de la terre : l'éloquence se retire des ames, alors qu'elles s'avilissent.

En Italie, des panégyriques où la vérité n'osa paroître qu'une fois ; dans l'empire grec, de basses flatteries, vendues par des esclaves à ces monstres souillés de sang, qui ne montoient au trône que pour en tomber : voilà, si ce nom peut être ainsi prostitué, voilà toute l'éloquence, jusqu'aux grandes ténèbres qui couvrirent l'Europe.

Aux premières lueurs qui suivirent cette nuit de plusieurs siècles, que vit-on sur la terre? La servitude des peuples, les cruautés et les bassesses de la tyrannie subalterne, les droits de l'homme anéantis, toutes les ames dégradées par l'abjection et plongées dans l'ignorance.

Parmi nous, les longs combats entre l'usurpa tion et l'autorité, la discorde qui déchira le sein de la religion, les troubles sanglans qui désolérent nos aïeux, rendirent du mouvement aux esprits.

La langue, qui s'étend avec les idées, sortit insensiblement de l'enfance. Elle n'avoit été que naïve dans Amyot; elle prit un tour original, nerveux, et heureusement figuré dans Montagne; elle devint harmonieuse dans Malherbe, élevée dans Corneille, riche, élégante, énergique sous la plume de Pascal; et déjà, Messieurs, le sceptre de la littérature étoit dans vos mains, pour conduire avec sagesse et pour achever cette grande révolution.

Une ame haute, avide de toutes sortes de louanges, mit une partie de sa politique à diriger ce qui restoit du mouvement des guerres civiles, en tournant l'inquiétude générale vers la douce ambition des lettres. Le chef de la justice et des lois crut s'honorer ensuite en devenant le vôtre, et vous brillâtes enfin de toute votre gloire, quand vous fûtes honorés de la protection immédiate de ce Roi, qui sembloit créer, par un regard, ou des héros, ou des génies; c'est sous son règne, et c'est presque toujours dans le sein de l'Académie, qu'on vit renaître l'éloquence, anéantie depuis tant de siècles.

Les tribunes, ouvertes aux orateurs de l'anti

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quité, sont fermées aux nôtres ; ceux-ci n'ont plus que des intérêts particuliers à défendre devant des Magistrats soumis aux lois, ou les vérités de la religion et de la morale à développer dans nos temples.

Que l'orateur du barreau s'abandonne à tous ses mouvemens, qu'il déploie toutes ses forces, dans les occasions rares, où de grandes injustices à combattre, d'anciens préjugés à déraciner, des intérêts publics à soutenir, l'état civil à défendre, appèlent l'attention générale, inspirent tout le courage de la parole, et lui rendent presque tous les droits qu'elle eut dans les beaux momens de sa gloire; mais qu'il n'oublie jamais que peu d'ac tions sont destinées à tant d'éclat. Dans les com bats de chaque jour, la nature des sujets, les règles inviolables de la raison et du goût le res serrent entre des bornes qu'il ne doit pas essayer de franchir.

Alors, on n'attend plus de son éloquence qu'une discussion lumineuse et précise, des raisonnemens clairs et solides, une sensibilité, qui ne s'épanche qu'après que la raison est éclairée, et dans le style je ne sais quoi de sévère qui convienne à la loi, qui répande sur le discours moins de lustre que de dignité, qui assure à l'orateur plus d'autorité que d'applaudissemens, et à la cause plus d'atten tion qu'à l'orateur.

C'est pour lui que sont faits les plaisirs si doux

de l'homme de bien; la considération et l'estime, voilà ses vraies récompenses; la louange n'est pas digne de lui plaire; il doit savoir que ses travaux occuperont pen la renommée. Il n'a presque confié sa gloire qu'à des paroles fugitives, que rien ne rappellera peut-être à la mémoire des homines, parce qu'elles n'étoient pas attachées aux grands intérêts du genre humain.

On sait à peine aujourd'hui, qu'au milieu du mauvais goût de son temps, le Maître montra quelquefois de l'imagination, du sentiment et de la force. La finesse ingénieuse d'Erard n'intéresse pas plus que ses causes. Si, parmi tant d'hommes distingués dans ce siècle, le nom de ce fameux Cochin réveille l'idée de l'éloquence, le public lit peu ses mémoires, qui ne nous rappellent que des intérêts anéantis: comment pourroit-on nous rendre les grands effets de ses répliques soudaines, dont les derniers témoins sont prêts à disparoître?

La postérité admirerą, dans les monumens qui lui seront conservés, l'imagination noble et belle de ce Magistrat éloquent, qui porte un nom cher à l'Académie, et qui se trouve également à sa place dans le sanctuaire des lettres et dans celui des lois, dont il est le premier organe. Mais il est un autre orateur dont les talens honorent le barreau; sa mémoire parviendra aussi jusqu'à nos neveux, et ils seront privés de ces grâces nobles et faciles, de cette variété de mouvemens, de cette justesse inimitable d'action, dont il offre, depuis plus

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de trente ans, un modèle au public et à ses ri vaux (1).

Les orateurs de la religion courent une car rière plus facile peut-être, mais certainement plus vaste et plus féconde. Dieu, l'éternité, la nature de l'homme, toute la morale, tous les devoirs, les Rois et les peuples soumis aux mêmes renseignemens, l'indépendance dans le choix des sujets, la liberté du Ministre, l'autorité du ministère; tout se rassemble en faveur du génie, dans l'éloquence de la chaire.

Que j'aime à me représenter le moment où des hommes éclairés et sensibles, rassemblés par la religion dans l'intérieur du temple, et préparés par la pompe d'une cérémonie lugubre, virent, pour la première fois Bossuet paroître au milieu d'eux, s'élever du néant de la terre dans la grandeur de Dieu, et en descendre armé des foudres de la parole! Comme il ajoute à la langue des hommes tout ce qui lui manque, pour monter à la hau teur de ses conceptions! Comme avec des mots anciens, il se fait une élocution nouvelle! comme en les plaçant il les crée. Toujours sa simplicité étonne et sa familiarité est sublime. De la plénitude de son ame, il verse, il prodigue sur tous les sujets qu'il traite l'inépuisable variété du sentiment et de la pensée, sans atteindre jamais les

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