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bornes, ni de son genie, ni du langage : il ne fut` pas donné à l'homme de déployer plus de force et d'éloquence.

Après le siècle de l'imagination, du goût, et des prodiges des Arts, le progrès des idées donne une autre forme aux opérations de l'esprit. Il pénètre plus avant dans l'intérieur des sujets; la méditation déchire le voile qui couvroit des vérités importantes; les secrets de la Nature, ceux de l'ordre moral et politique, se révèlent à l'analyse. On demande alors aux écrivains plus que de la justesse ; on veut de la profondeur : l'éloquence, sans changer de principes, s'occupe d'objets nouveaux, s'exerce sur des idées moins générales, et devient plus instructive; la raison inexorable soumet l'imagination à ses ordres, et lui retranche de sa liberté, tout ce qui pourroit nuire à la force, à la précision, à la dignité de la pensée. Ainsi, les magistrats de Sparte, pour maintenir l'austérité des mœurs, coupèrent autrefois une des cordes de la lyre de Timothée.

Ce n'est guères qu'à cette époque de l'esprit humain, qu'on peut rencontrer des hommes dominés par l'enthousiasme, et capables d'en démê ler les causes dans le calme de la réflexion. Ils jouissent tour-à-tour, en présence des objets, de toute l'émotion que le beau fait sentir, et seuls ensuite avec eux-mêmes, du bonheur attaché aux découvertes de l'esprit; tantôt livrés aux attraits

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de la poésie, aux charmes de l'éloquence, aux brillans effets de l'harmonie; tantôt occupés à se rendre compte des impressions qu'ils ont reçues, et à surprendre dans le fond de leur ame le secret de leurs plaisirs.

DISCOURS

Prononcé le 16 juin 1785, par M. l'abbé MORELLLT, lorsqu'il fut reçu à la place de M. l'abbé MILLOT.

ÉLOGE DE M. L'ABBÉ MILLOT.

Messieurs,

LORSQUE Ce Ministre à jamais célèbre qui sauva l'Europe du joug des successeurs de Charles-Quint, et guérit la France des maux de l'anarchie, voulut ajouter encore à sa gloire, par l'établissement de l'Académie françoise, les écrivains qui les premiers composèrent cette Compagnie n'étoient connus que par des productions purement littéraires : la grammaire, l'éloquence, l'histoire, la poésie, la critique, sembloient former alors toutes les richesses de l'esprit. Le plus grand nombre de ceux qui, sous le nom de savans ou de philosophes, cultivoient le vaste champ des sciences, employoient à l'instruction de la Nation françoise la langue des anciens Romains; ou s'ils daignoient adopter le langage vulgaire, ils ne cherchoient point à donner à leurs écrits une pureté, et encore moins une élégance qu'on croyoit réservées aux ouvrages dont l'objet principal étoit moins l'utilité que l'agrément.

On ne peut douter cependant que le cardinalde Richelieu, en vous établissant, Messieurs, les gardiens fidèles de la langue françoise, les témoins authentiques de ses usages, les conservateurs éclairés de ses principes, et enfin les dépositaires et les interprètes des lois du style et du goût, n'ait porté ses vues jusques sur les avantages que les plus hautes sciences retireroient un jour de cette belle institution qui, en perfectionnant chez un peuple ingénieux le grand instrument des connoissances, l'art du discours, devoit étendre si loin les conquêtes de l'esprit et l'empire de la raison. S'il ne prévit pas en détail tous les effets utiles de l'établissement qu'il formoit, on doit croire qu'il les pressentit : car lorsque le génie conçoit une grande idée, s'il n'en suit pas tout le développement, il a du moins le sentiment de la fécondité qu'elle doit avoir après lui. Cet heureux instinct caractérise tous les hommes qui s'élèvent au-dessus de leur siècle; ils font de grandes choses, opèrent de grands changemens, et semblent charger l'avenir du soin de tirer de leurs institutions des biens plus précieux encore, qui seront toujours leur ouvrage et appartiendront à leur gloire, comme les fruits de leurs hautes pensées et l'accomplissement de leurs vastes desseins.

Une révolution ainsi préparée par votre illustre fondateur, a distingué ce siècle et le règne de Louis XV, lorsque les sciences et la philosophie qui, en adoptant la langue françoise, avoient déjà

levé depuis quelque temps le voile dont elles s'enveloppoient, ont commencé à rechercher une parure noble et simple, et n'ont pas craint d'emprunter de l'imagination même les couleurs dont elle sait embellir la vérité.

C'est alors qu'on semble avoir plus généralement reconnu parmi nous, que l'art de répandre les connoissances du genre le plus sévère, demandoit aussi de l'écrivain un emploi savant et réfléchi de toutes les ressources de la langue; que le style du philosophe avoit ses lois sévères, sa théorie délicate, ses difficultés, ses ornemens; qu'il devoit en même temps être simple sans négligence, et soigné sans affectation, et réunir avec mesure l'agrément à la solidité, et l'élégance à la profondeur.

Ce fut alors qu'aux productions brillantes de l'imagination, aux merveilles de l'art dramatique, aux chef-d'œuvres de l'éloquence dont cette compagnie avoit à se glorifier, on vit se joindre les écrits de ce philosophe aimable dont vous venez, Messieurs, de couronner l'éloge (1), qui sut faire quitter aux sciences l'air austère qu'elles affectoient, leur donner une douce affabilité, et les rendre attrayantes pour tous les esprits, en leur prêtant une parure qui jusques-là leur étoit in

connue.

A peine son exemple eut-il appris ce que l'art

(1) C'étoit l'éloge de Fontenelle, par M. Garat, en 1784.

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