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d'écrire pouvoit ajouter de charmes à la vérité, que d'autres esprits du premier ordre se saisirent à l'envi de ce moyen puissant. Bientôt on vit paroître cet ouvrage immortel, où le génie, reinontant jusqu'aux premières causes des lois, et s'élevant ainsi à une plus grande hauteur que les législateurs eux-mêmes, nous présente les idées les plus abstraites sous des images tout à-la-fois justes et frappantes, et revêt les conceptions les plus hardies des plus belles formes du style. Bientôt notre langue fut enrichie de cette histoire de la nature, où toute la fidélité d'une description s'allie avec le coloris, la vie et le mouvement d'un magnifique tableau ; et presque en même temps fut élevé par les mains de la philosophie et du goût, ce noble portique du vaste édifice des connoissances humaines, digne de la grandeur et de la majesté du temple auquel il conduit. Enfin, c'est depuis cette époque que sont sortis du sein de cette Académie tant d'ouvrages ingénieux et profonds, où la raison ne se montre qu'accompagnée des grâces, et qui présentent toujours l'intérêt à côté de l'instruction.

Au moment où vous daignez, Messieurs, m'admettre dans ce sanctuaire plein de la grandeur de ces hommes célèbres, pourquoi vous rappelé-je le souvenir de leurs triomphes? et ne dois-je pas craindre d'en être accablé?

Je ne me dissimule point la distance infinie qui me sépare de ces grands maîtres. Mais en recevant

de vous une grâce si précieuse, ma reconnoissance même m'impose le devoir d'excuser, s'il est possible, l'ambition que j'ai témoignée, et l'heureux succès qui l'a suivie; et c'est en vous parlant de leur gloire, qui est aussi la vôtre, que je cherche à justifier l'indulgence qui me permet aujourd'hui de la contempler de plus près.

Je dirai donc, Messieurs, que depuis que je suis entré dans la carrière des lettres, ce sont là les modèles sur lesquels mes regards ont été sans cesse fixés, et les guides que j'ai choisis, même sans espoir de les atteindre ; je dirai que le zèle et les efforts ont quelquefois mérité de partager avec les grands talens les récompenses littéraires. Je dirai que, dévoué à des études utiles, et sur-tout à celle de l'économie publique, si intéressante par ses rapports avec le bonheur des citoyens et la prospérité des Nations, après le soin de découvrir la vérité, je n'ai rien eu de plus à cœur que d'aplanir les sentiers qui peuvent y conduire, que je ne me suis cru dispensé, ni par l'importance ni par la sécheresse des questions que je discutois, de la soumission due aux lois inviolables de la langue, et qu'enfin, dans une entreprise pénible, depuis vingt ans formée et constamment suivie, en m'occupant du développement de la théorie générale du commerce, l'un de mes soins a été de rectifier et de compléter le vocabulaire de cette science, et de contribuer ainsi de loin, sous le rapport de mes études, au grand travail dont vous

vous occupez. Tels ont été sans doute les motifs de l'indulgence que vous m'avez montrée, et d'une faveur qui force ma reconnoissance à s'accroître de tout ce qui manque à mes titres et à mes talens.

En recevant de vos mains, Messieurs, la plus glorieuse des récompenses littéraires, je ne suis qu'un nouvel exemple de l'encouragement que vous voulez donner aux travaux utiles; et c'étoit un mérite du même genre, plus distingué sans doute, que vous aviez déjà couronné dans l'estimable Académicien dont je viens occuper la place.

On a dit que la vie d'un écrivain sédentaire étoit dans ses livres. Cette maxime n'a jamais pu s'appliquer à aucun homme de lettres avec plus de justesse qu'à M. l'abbé Millot.

Il fut élevé chez les jésuites qui, sachant mieux discerner les talens qu'ils ne savoient se les conserver, l'appelèrent au soutien de cette gloire littéraire qui leur étoit si précieuse, et qui commençoit à leur échapper. Il entra dans cette société fameuse, que ses malheurs dispensent désormais de juger, mais à laquelle je ne saurois. refuser dans sa disgrâce, un témoignage qui tourne à l'éloge de mon prédécesseur. Les jésuites, en se dévouant aux travaux les plus durs, et à toutes les privations de la plus rigoureuse frugalité, sans autre salaire qu'une gloire de corps dont ils étoient idolâtres, fournissoient à la jeunesse une éducation inférieure sans doute à celle qui fait la gloire de cette capitale, dans cette université célèbre,

adoptée par nos Rois; mais éducation la moins dispendieuse et la plus étendue teurs puissent donner.

que des institu

C'est en remplissant ces laborieux devoirs que se forma M. l'abbé Millot : car un des plus grands avantages des établissemens destinés à l'instruction des enfans, est peut être de donner aux maîtres eux-mêmes une seconde éducation qui les rend propres à instruire des hommes faits. L'instituteur, après avoir étudié l'art d'exciter et de soutenir l'attention toujours mobile et foible de cet âge léger, se trouve n'avoir appris que celui d'enseigner les hommes mûrs, en qui reste tant de cette inapplication, l'un des caracteres les plus marqués de l'enfance. Aussi beaucoup de bons écrivains, au nombre desquels mon prédécesseur sera désormais compté, sont-ils sortis de l'obscu rité des écoles pour répandre dans le monde la lumière et l'instruction.

Heureux l'homme de lettres qui, en commençant sa carrière, connoît sa vocation littéraire, et distingue son vrai talent. Les jésuites avoient compris toute l'importance de ce premier choix. Ils imposoient à leurs régens l'obligation de s'essayer en différens genres ; et dans cette incertitude d'une activité qui ne connoit pas encore son véritable objet, ils les appliquoient successivement à tous. Cette méthode a dù plus d'une fois avoir l'inconvénient de faire une trop longue diversion au talent naturel, ou celui de tromper les esprits

disposés à s'exagérer leurs forces; mais au moins, dans cette occasion, l'épreuve éclaira M. l'abbé Millot. Son emploi de professeur d'éloquence le condamnoit à faire tous les ans une tragédie latine; il avoit la docilité de la faire, et la sagesse de la brûler.

Bientôt, débutant sur le même théâtre où le célèbre Rousseau de Genève s'est montré avec tant d'éclat, il concourut à un prix proposé par l'Académie de Dijon, cette société littéraire qui, par le choix des sujets qu'elle a offerts à l'émulation des gens de lettres, a fait souvent employer l'éloquence à la discussion des plus importantes vérités.

Est-il plus utile d'étudier les hommes que les livres? telle étoit la question de l'Académie. Qu'il me soit permis, Messieurs, d'observer qu'elle porte sur une distinction purement idéale. En effet, comment opposer entre elles l'étude des livres et celle des hommes? Les bons philosophes, les moralistes profonds ne sont-ils pas les peintres et les historiens fidèles de la nature humaine? Quel ob servateur, doué de la sagacité la plus heureuse, eût pénétré seul dans le cœur de l'homme aussi avant que les essais de Montagne, les comédies de Molière, les traités de Nicole, les sermons de Massillon, et ces caractères de la Bruyère, dont nadame de Sévigné a dit avec une justesse si ingénieuse : Voilà un livre qui connoit bien les hommes?

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