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tent le lecteur, trop dépouillés aussi des circonstances qui les entourent, ils ne donnent plus de prise à la mémoire, et ne se gravent point dans l'esprit, le fait principal ne s'attachant, pour ainsi dire, au sol où l'on veut le planter, qu'à l'aide des faits accessoires qui en sont comme les racines. Conduit par ce principe, M. l'abbé Millot prend un juste milieu entre la prolixité qui décourage la mémoire, et cette concision sèche qui, pour ne pas fatiguer l'attention du lecteur, éteint l'intérêt, sans lequel il n'y a point d'attention.

A ce premier mérite, M. l'abbé Millot ajoute un goût sûr, et choisit avec sagacité, dans le nombre infini d'événemens que présente l'histoire, les faits qui ont un caractère de grandeur ou d'intérêt, ou qui, sans offrir au premier coup-d'œil la même importance, peuvent fournir des réfle

xions utiles et des résultats intéressans.

Qu'il me soit permis de le dire, Messieurs, grâcé aux progrès des lumières dont notre siècle peut s'honorer, on connoît mieux aujourd'hui les vrais devoirs et le vrai but de l'histoire.

Dans le choix des faits publics qui doivent former l'histoire d'une Nation, les historiens anciens, admirables sans doute par la grandeur de leurs compositions, par la vérité de leurs tableaux, par la perfection de leur style, semblent avoir négligé beaucoup d'objets essentiels. Ils ne nous font guères connoître que l'état successif des formes des gouvernemens et de la puissance politique

de la cité, ils ne nous racontent que des guerres domestiques ou étrangères; des troubles au-dedans ou des négociations au-dehors; des révolutions ou des conquêtes.

Mais ils ne nous disent presque rien de la législation, de la police intérieure, de l'administration économique, de l'état de la culture, de l'industrie, de la navigation, du commerce, du revenu national, de ses sources et de son emploi, des travaux et des établissemens publics, de l'état des arts et des sciences; et il faut convenir que l'histoire qui embrasse de nos jours tous ces objets, s'est acquis un grand caractère d'utilité publique, en s'associant ainsi à la philosophie, qui semble lui avoir recommandé les vrais intérêts de l'hu manité.

M. l'abbé Millot, en imitant ainsi Hume, Vol taire, Robertson, dans le choix des grands faits et des grands résultats de l'histoire, montre encore tout le courage d'un historien qui sait rem plir ses devoirs et user de ses droits.

Il dit la vérité sans foiblesse, et la dit tout entière, selon la maxime du sage Fleury, persuadé qu'on la trahit quand on la déguise, et qu'on l'outrage quand on la suppose dangereuse. Etram ger aux préjugés de corps, d'Etat, de secte, dé nation, il ne flatte aucun parti, au risque de dé plaire à tous, et ne craint de choquer ni les esprits outrés, par sa modération, ni les esprits timidess par sa sincérité.

Les abus du pouvoir, les désordres de l'anarchie, les vices des lois, les fausses vues de la po litique, l'atrocité et l'inutilité des

les

guerres, erreurs de l'administration, les maux qu'a faits l'ignorance, les entreprises de la puissance ecclésiastique, les tristes effets de la superstition, les horreurs de l'intolérance; il révèle tout, dévoile tout, et dénonce à la postérité, marqués d'un sceau d'ignominie, tous les ennemis du genre

humain.

Enfin, Messieurs, il exécute le noble projet qu'il annonce dans la préface de son Histoire de France, de répandre, j'emprunte ici ses expressions, cet esprit vraiment philosophique qui n'est que la raison même, libre des erreurs vulgaires qui, en respectant les lois divines et humaines, sans lesquelles il ne resteroit ni ordre, ni paix, ni sûreté dans le monde, dissipe tous les préjugés perni cieux, pour établir sur leurs ruines les idées justes qui peuvent seules conduire les sociétés au bonheur.

Les abrégés historiques de M. l'abbé Millot ont tous ces caractères intéressans, moins marqués dans son Histoire de France, le premier de ses ouvrages en ce genre ; plus sensibles dans son Histoire d'Angleterre, dont il existe deux traductions angloises; preuves décisives de l'estime qu'ils ont obtenue dans le pays où l'on peut le mieux en apprécier le mérite.

Ces deux productions annonçoient déjà leur

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auteur, comme un bon écrivain et comme un bon esprit, lorsque M. le marquis de Felino, ministre de Parme, que j'aurai assez loué en rappelant ses liaisons avec un des plus illustres membres de cette Compagnie, désirant de répandre l'instruc tion parmi la jeune noblesse de Parme, voulut établir une chaire d'histoire, et reçut des mains de M. le duc de Nivernois M. l'abbé Millot, comme l'homme de lettres le plus capable de seconder ses

vues.

Ce projet du ministre étoit digne d'un homme public. C'est un besoin pressant aujourd'hui d'éclairer cette classe d'hommes qui, dans tous les pays et sous toutes les formes de Gouvernement, exerce un pouvoir si réel sur toutes les autres classes des citoyens. Destinés à l'état militaire, et pressés d'y entrer pour arriver aux grades, la du, rée de leur éducation s'abrège tous les jours, et se termine avant ces années si précieuses qui s'écoulent entre le commencement de l'adolescence et la virilité. Une éducation prolongée, qui embrasseroit toute cette époque, développeroit les forces de l'esprit et le caractère de l'ame. Loin de la dissipation du monde, la pensée s'exerceroit, et le sentiment prendroit une énergie que l'usage précoce de la société affoiblit toujours. Plus longtemps enfant, l'homme, formé à loisir, en seroit plus homme; et si l'on me permet de le dire, peutêtre cette nation ardente et réfléchie, qui s'est donné parmi les autres une existence politique

plus grande que celle que la nature sembloit lui avoir destinée, et qui emprunte plus de force de son caractère que de ses moyens réels, ne doit-elle ces avantages qu'à l'habitude heureuse de prolon ger plus qu'aucun autre peuple le temps de l'édu

cation.

Etabli à Parme, M. l'abbé Millot, par son exactitude à remplir les devoirs de sa place, par une réserve dont les étrangers savent d'autant plus de gré aux François, que nous la leur montrons plus rarement, et par la sagesse et la bonté de son es. prit, obtint bientôt la considération qu'il mé ritoit.

C'est des leçons qu'il donnoit à la jeune no blesse de Parme, que se sont formés ses Elémens d'histoire générale, ancienne et moderne, où son plan s'agrandit, et où il ne demeure point audessous de son sujet.

Dans cet ouvrage, il a suivi plus régulièrement et perfectionné cette méthode utile, inconnue aux anciens, et due à quelques historiens philosophes, de résumer à chaque époque les circonstances qui la caractérisent, et qui sont comme les grands traits du tableau des Nations.

Le mérite qui distingue ces observations géné rales, est une philosophie saine, qui éloigne de l'auteur toute exagération, même lorsqu'il s'élève contre les vices et les malheurs de l'humanité. nous montre de siècle en siècle les progrès réels, quoique lents, des Nations vers le bonheur,

er

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