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nions, ni aucune de ses formes; et c'est après l'avoir bien observé qu'un homme célèbre, dont vous avez senti si amèrement la perte, et dont l'amitié fut trente ans utile à mon esprit et chère à mon cœur, M. d'Alembert, disoit que de tous les hommes qu'il avoit connus, M. l'abbé Millot étoit celui en qui il avoit vu le moins de préven. tions et le moins de prétentions.

Avec un pareil caractère M. l'abbé Millot fut-il heureux? J'aime à répondre ici à cette question pour la gloire des lettres.

Oni, Messieurs, M. l'abbé Millot se réduisant ainsi à lui-même, fuyant la société, et seul encore au milieu des hommes, trouvoit dans ce genre de vie des douceurs qui compensoient les privations dont elle est accompagnée. L'homme de lettres, ainsi retiré au-dedans de lui, jouit mieux de la satisfaction intime et douce que donne l'exercice des forces de l'esprit ; il trouve un plaisir plus vif dans la méditation, parce que son attention est plus profonde, et que ce plaisir est toujours proportionné à l'énergie de l'attention. Il rassemble et conserve plus près de son ame ses sentimens et ses pensées, que le tourbillon de la société étouffe à leur naissance ou emporte avant leur développement. Enfin, dans le silence qui l'environne, la voix de la gloire qui l'appèle et le soutient dans des routes pénibles, se fait entendre plus distinctement et avec plus d'empire à

son cœur.

Mais si l'état de l'homme de lettres solitaire a de si puissantes consolations, c'est sur-tout lorsqu'occupé d'objets grands et utiles, il peut se flatter que ses travaux auront sur le bonheur des peuples une salutaire influence; lorsqu'il peut penser que, de l'obscurité de sa retraite, il est entendu de ceux qui dispensent sur la terre et les biens et les maux; que, sans pouvoir, il défend les droits des hommes; que, sans autorité, il réforme les abus ; que, sans magistrature, il perfectionne la législation, et qu'avec l'espérance courageuse et réfléchie que les Nations seront heureuses un jour, il a le noble orgueil de penser qu'il aura lui-même concouru à cette lente et désirable révolution.

Souvent, il est vrai, se mêle à ses jouissances la douleur de voir trop d'obstacles arrêter encore les progrès des lumières, et l'application même des principes qu'on n'ose plus contester. Il s'afflige à la vue des erreurs qu'il ne peut dissiper, et des maux qu'il ne peut guérir: mais ses peines sont adoucies par l'espoir d'un avenir plus heureux, sans qu'il se flatte d'en être le témoin, et par le charme secret que la Nature a répandu sur tous les sentimens honnêtes, lors même qu'ils sont douloureux.

Il n'appartient qu'aux chefs des Nations de trouver un plaisir sans mélange dans l'étude des moyens qui peuvent assurer le bonheur des peuples. La vérité, une fois arrivée à leur esprit, em

prunte de leur seule conviction une force nouvelle; et dès que les sentimens de bienfaisance ont trouvé accès dans leur ame ils y acquièrent une entraînante autorité. Leurs projets sont des jouissances, parce que l'exécution en est dans leurs mains; aucune de leurs pensées n'est perdue pour l'humanité, car le bien qu'ils conçoivent ils peuvent le faire; enfin leur pitié seule est un secours, puisqu'en se montrant elle met aussitôt en activité les dépositaires de leur pouvoir, qui se hâtent de soulager les maux publics dès que l'ame du Souverain en est émue.

Dans ce moment, Messieurs, la voix publique m'invite à vous montrer en action un heureux exemple de ces jouissances de la royauté, et le tableau que je viens de vous offrir, vous retrace le portrait de votre auguste protecteur. L'hommage que je lui dois ne sera point souillé par la flatterie. Dans l'âge des écarts et des erreurs, il n'a montré ni passions ni préjugés. Du haut de son trône, il donne à ses sujets l'exemple touchant des vertus domestiques, et sait jouir de la récompense qu'il en trouve dans les qualités précieuses de son auguste compagne, et dans les fruits désirés de leur douce union. Nous venons de le voir, combattant avec son peuple les fléaux de la Nature, enseigner aux laboureurs les moyens de remédier aux désastres d'une sécheresse alar

mante. Il répand ses faveurs sur les lettres, pour les faire concourir avec lui au bonheur de sa Na

tion. Il vient de tracer de sa propre main, et d'une main guidée par des connoissances sûres, la route d'une nouvelle navigation autour du monde, pour avancer les progrès de cet art admirable, à qui tant d'arts et de sciences doivent leurs progrès. Il assure, par la liberté du commerce, la prospérité de ces colonies peuplées de ses su jets et de nos concitoyens, et qui n'ont pas réclamé en vain cette protection égale que doit un Roi juste à toutes les provinces de son Empire, quelque séparation que mette entre elles l'immen sité des mers. Il prépare dans sa sagesse, entre ses sujets et le peuple nouveau qui lui doit sa liberté, une communication réciproque de ces biens que la Nature semble n'avoir diversifiés, d'une contrée à l'autre, que pour les lier toutes entre elles, malgré les vues bornées d'une politique jalouse. Il traite cette république naissante, dont il a protégé le berceau, avec les égards d'un ami et la générosité d'un bienfaiteur. En écartant de ses conseils, dirigés par une sagesse expéri mentée, tout projet d'étendre sa domination, il a mérité de l'Europe une estime et une confiance personnelles. On lui dounera un jour le nom, plus beau que tous ceux qu'achètent les victoires, de Roi pacificateur. Enfin il embrasse, dans l'étendue de sa bienfaisance et dans un système gé néral de félicité publique, et son peuple et tous les peuples.

DISCOURS

Prononcé le 27 avril 1786, par M. SÉDAINE, lors qu'il fut reçu à la place de M. WATELET.

Messieurs,

que

de pré

Ce seroit un orgueil impardonnable tendre publiquement à l'honneur de s'asseoir parmi vous, si les lois de l'Académie n'avoient pas imposé le devoir d'en faire la demande.

Se présenter avec l'apparence de la persuasion que les plus grands honneurs littéraires sont dus à nos talens, paroît braver même le ridicule.

Les hautes distinctions de la société, les dignités de l'Etat et de la Cour, et la naissance, associées ici à la gloire attachée aux succès littéraires, semblent dire à celui qui ose se mettre sur les rangs: qui êtes-vous? Alors s'il se replie sur lui-même, s'il réfléchit sur ses titres, s'il considère les vôtres, il ne peut que baisser les yeux, et doit ne reconnaître, à l'instant où vous l'adoptez, que les effets de votre indulgence.

C'est ce que j'éprouve en ce moment; ma reconnoissance n'en est que plus grande, et je m'efforcerois de la déployer par les expressions

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