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les plus vives, si dans une ame trop sensible, l'éloquence d'un sentiment profond n'étoit pas le silence.

Je me vois accueilli par vous, Messieurs, pour remplir la place de M. Watelet, dans l'âge même où il étoit parvenu, lorsque la mort l'a séparé de nous; il semble que vous m'ayez donné la tâche honorable d'achever la carrière que la nature auroit dù lui accorder. Mes services, hélas! ne le feront pas oublier; bientôt l'affoiblissement de mes organes ajoutera à la foiblesse de mes talens, et la vieillesse à qui il ne reste plus que du zèle, ne me fera ressentir que plus vivement l'inutilité de mes efforts. Bientôt je ne pourrai plus jouir que de l'avantage de vous écouter; destinée dont je devrois être satisfait, si je ne voyois dans un avenir prochain, qu'elle augmentera mes regrets de n'avoir pas été plutôt éclairé de vos lumières.

Si je l'eusse été, Messieurs, on n'auroit point eu sans doute à me reprocher ces défauts que l'Académie ne doit point pardonner; peu de pureté dans mon style, peu de correction, encore moins d'élégance : voilà mes fautes; la constance seule que j'ai mise à solliciter votre suffrage, a pu les faire excuser.

dis

Je pourrois représenter que des. ouvrages posés pour être mis en musique, sont très-gênés dans leur style; le mot propre, s'il n'est pas sonore, ou s'il offre un grand nombre de syllabes, est rejeté; les phrases privées d'inversion, et quel

quefois tourmentées et brisées par le musicien, en perdant tout mouvement poétique, souffrent quelquefois une altération sensible; elle frappe-roit davantage, si le talent du 'compositeur ne rétablissoit par les charmes de son art, une partie de l'intérêt que souvent il enlève aux paroles.

Le style vigoureux n'est presque jamais celui que le musicien désire; content d'une invention neuve et dramatique, d'un dessin pur et correct, il demande que l'auteur laisse à sa musique le soin de mettre un coloris brillant à des vers qui doivent souvent à la mollesse du style le sentiment qu'il y met.

La musique, cependant, doit être la maîtresse de s'emparer de tous les mots de la langue qui servent aux tableaux, aux images, aux passions, aux affections de l'ame; mais elle attend, pour faire cette conquête, un phénomène qui n'a point encore paru, un homme doué des talens sublimes de la poésie et de la musique, portés au même degré ; un homme enfin qui puisse sans contrainte et sans efforts se servir de toutes les richesses du langage, et de la tête duquel sorte tout armée la Minerve de la poésie lyrique.

L'auteur du Devin du Village, foible peut-être dans l'un et l'autre art, mais fort par leur réunion, nous a prouvé ce qu'ils peuvent lorsqu'un même génie les rassemble.

Après avoir parlé, Messieurs, des entraves que la musique met à la diction, ne pourrois-je aussi

réclamer l'indulgence qui doit être accordée à tout auteur dramatique, même dans le genre le plus élevé?

Le théâtre, soit tragique, soit comique, se nourrit de passions; et leur chaleur ose quelquefois s'affranchir des règles étroites de la méthode grammaticale. Il faut, il est vrai, qu'alors ces transgressions soient nécessitées par l'impétuosité des caractères, par la force de la situation, par la rapidité de la scène, et qu'il en résulte des beautés.

Le plus exact, le plus correct, le plus pur de nos poètes ignoroit-il ce qu'il se permettoit en faisant diré à Hermione:

Je t'aimois inconstant; qu'aurois-je fait fidèle?

Mais quelle témérité! veux-je faire excuser mes erreurs par les beautés de Racine?

Non, Messieurs, aussi loin de ce grand homme, que le genre que j'ai traité est éloigné du sien, j'avoue que tous les reproches qui m'ont été faits ont été justes, eussé-je, dans ma conscience, des raisons à leur opposer.

M. Watelet, plus heureux que moi, eut pendant le cours de vingt cinq années l'avantage de jouir de vos conseils et de votre amitié.

Né avec l'amour des lettres et des arts, il conçut le projet de les rendre réciproquement utiles. Pour y parvenir, il acquit toutes les connoissances par lesquelles il pouvoit apprendre à dis

tinguer, et les ouvrages des grands maîtres, et le mérite des élèves: après cette étude il se fit un devoir d'encourager leurs talens. C'est pour eux qu'il composa un poème sur l'Art de peindre Heureux, dit-il dans son discours préliminaire, heureux si j'applanis la route que les jeunes artistes entreprennent pour la gloire de la Nation! La forme didactique qu'il adopta, la concision des préceptes qu'il vouloit donner, les détails techniques dans lesquels il vouloit entrer, ne lui permirent pas de se livrer aux mêmes élans de poésie que l'on trouve dans un ouvrage fait depuis sur le même art, par l'un de vous, Messieurs.

Dans le poème de M. Watelet, on remarque cependant des vers heureux, et qui réunissent le sens, l'élégance et l'harmonie : mais les leçons qu'il vouloit tracer, le forcèrent de conserver une marche méthodique, et une régularité, dirai-je,

monotone.

Ainsi, dans les campagues, les sillons uniformes, destinés à produire des moissons abondantes, appellent moins les regards, que les contours variés d'un parterre émaillé de fleurs.

M. Watelet fut le premier, d'entre les amateurs, qui voulut montrer, par l'exemple, ce qu'il désiroit mettre en leçons. Avant d'écrire sur les jardins, il voulut en créer un lui-même, dans lequel il fit valoir tout ce qu'un site heureux peut offrir d'avantages à un possesseur éclairé et sensible. Sage par caractère, il étoit bien éloigné d'employer

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ces idées mesquines qu'on a vues depuis, par une vanité ridicule et dispendieuse, resserrer dans quelques arpens de terrain, des rivières, des vallées et des montagnes, et mettre, pour ainsi dire, en miniature toutes les richesses que la magnificence de la nature a jetées en grand sur la vaste étendue des campagnes.

Une petite île, un amas fortuit de sables stériles, a été, par ses soins, couvert d'ombrages délicieux, et rend à un fleuve paisiblement utile, tous les embellissemens qu'il en reçoit.

Si j'osois me livrer aux images poétiques, je dirois que les Nymphes de la Seine se plaisent à y répéter les distiques sentencieux que leur présentent les Dryades; plus d'un vieux saule de ces rives s'y fait remarquer par des inscriptions, par des vers agréables, et qui, portant toujours une empreinte de morale, semblent dire à celui qui s'y arrête: Ici vivoit un sage qui a consacré tous les momens de sa vie à l'honneur des lettres et à l'amour des beaux-arts, et qui s'est nourri constamment des préceptes qué ce lieu présente en action.

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Pour les étendre et les rendre profitables à tous, il publia un Essai sur les jardins, ouvrage qui ne sera jamais lu sans fruit par les artistes, et sans plaisir par les gens du monde.

C'est dans ce même lieu où il aimoit à se livrer au travail, qu'il entreprit un dictionnaire vraíment académique, et en quelque sorte le résultat

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