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des réflexions qui l'ont occupé pendant le cours de sa vie littéraire.

Dans cet ouvrage, il donne la définition de tous les mots employés dans la peinture. Qu'il me soit permis de regretter, qu'en qualité d'associé honoraire de l'Académie d'architecture, il n'ait pas rendu le même service à cet art, le premier de tous, si l'on considère son utilité. Les autres arts ne font presque jamais que la gloire de l'homme qui s'y distingue, tandis que l'architecture, escortée par cette foule de talens qu'elle place et met en œuvre, entourée de toutes les connoissances qu'elle exige, riche de tous les trésors qu'elle répand, fait la gloire de la Nation qui l'emploie, en attestant son génie, son goût et sa puissance aux générations les plus reculées. Le philosophe Longin, eût-il fait l'Iliade, en diroit moins pour la gloire des Palmyréniens et de Zéno, que les superbes ruines des monumens qu'ils

bie, que

ont fait élever.

Dans l'ouvrage qui m'a conduit à ces réflexions, M. Watelet joint à la définition des mots, des préceptes sur l'art de peindre.

On ne peut se dissimuler qu'ordinairement tous les préceptes donnés sur les arts, enfans du génie, sont d'un bien foible secours pour les hommes appelés à créer, et qu'ils n'offrent qu'une inutile et peut-être dangereuse ressource, à ceux que nature a privés de cette verve impérieuse, par laquelle l'art seroit inventé, s'il n'existoit pas.

la

Non, ce ne sont point les préceptes, c'est la connoissance, c'est la présence, c'est l'examen approfondi des chef-d'œuvres de l'art, qui enflamment les artistes et réveillent en eux la conscience de leurs forces. Le tableau de Raphaël en dit plus au Corrége, en un instant, que vingt volumes de préceptes, même excellens, n'auroient pu lui en apprendre.

M. Watelet étoit aussi persuadé que moi de cette vérité; mais il pensoit avec raison, que si les préceptes ne peuvent créer des artistes, des observations justes, solides et fines, peuvent répandre, parmi la Nation, le goût des arts, et servir à apprécier le mérite de ceux qui s'y distinguent.

Ainsi, ce dictionnaire, sur une partie des termes de la langue, dont le sens est fixé par une interprétation exacte et concise, manquoit à notre littérature, et les détails dont il est le fruit, ne pouvoient être embrassés par la première encyclopédie.

L'Encyclopédie! ce monument immortel qui, s'il eût été tenté dans le siècle d'Alexandre ou d'Auguste, et s'il eût survécu aux Nations, qu'il auroit instruites, nous eût consolés de la perte de tous les livres de l'antiquité.

Avec quelle vénération ne prononcerions-nous pas à présent le nom de leurs auteurs? Mais Diderot et d'Alembert ont été nos contemporains, et

hommes pour nous, ils ne seront des Dieux que pour les siècles futurs.

O d'Alembert! qui tant de fois avez été applaudi dans cet auguste lycée; et vous, Diderot, qui auriez pu l'être à côté de votre ami, si, avec la certitude de mériter par votre science, par vos connoissances, par la fécondité de vos vues, les. places qui leur sont consacrées dans les trois Académies, vous eussiez, plus circonspect et plus ambitieux, cherché à les obtenir.

Oui, la postérité vous accordera la justice qui est due à vos immenses travaux : ce siècle même est loin de vous la refuser, puisque j'ose vous la rendre en présence du tribunal, juge suprême des mérites littéraires,

Pardonnez, Messieurs, cette digression presque involontaire; mais en parlant d'un supplément au grand ouvrage de l'Encyclopédie, pouvois-je ne pas citer ces hommes si recommandables, et auxquels, permettez-moi de le dire, m'ont associé les bontés et les bienfaits de la Souveraine du Nord. J'aurois résisté peut-être à la vanité de le publier dans cette assemblée, si cette distinction ne concouroit pas à justifier le choix dont vous m'avez honoré.

Jusqu'ici, je n'ai considéré que les occupations de M. Watelet, sans m'arrêter à ses amusemens et aux fruits de ses loisirs. Il a fait quelques ouvrages destinés à la scène; Zénéide, comédie; Deucalion, opéra, et quelques autres; mais il

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échappa de bonne heure aux soins tumultueux et inséparables du théâtre qui, non contens d'agiter l'auteur dans le silence de la retraite, le tourmentent ensuite par les fatigues qui précèdent et accompagnent la représentation de ses pièces, et si souvent par les dégoûts qui la suivent.

Ce n'est pas que le public, toujours juste dans la distribution de ses faveurs, ne montre son équité, en proportionnant la sévérité avec la quelle il nous écoute, aux applaudissemens dont il couronne nos succès, en réservant à l'homme de génie la gloire durable que la médiocrité a quelquefois l'audace d'ambitionner.

Non, le public, n'est point injuste lorsque ses dédains font acheter chèrement les lauriers qu'il accorde: avec quelle complaisance cependant n'ac cueille-t-il pas les talens naissans.

Je l'ai vu, à chaque début, disposé à échauffer le courage, et ne cherchant jamais à le juger

comme une témérité.

Un auteur a toujours moins à se plaindre de la sévérité du public, qu'à se louer de son indulgence; et qui peut le dire plus que moi?

Il est vrai qu'un homme de lettres qui consacre sa plume au désir de plaire à sa Nation, est exposé à tant de peines, qu'il a quelque droit d'en exiger des bontés: mais qu'il se garde d'y mettre toute sa confiance.

Aussi-tôt qu'un homme de lettres a la persua sion intime que la nature lui a fait le présent si

rare d'observer les hommes et de les mettre en scène, il doit d'abord se dire à lui-même : soyons utile pour le plaisir de l'être; appuyé sur la base d'une philosophie profonde, travaillons pour les vertus, armons-nous contre les vices, et faisons justice des désordres dont la punition échappe à la rigueur des lois; et quel que soit le sort de mes ouvrages, ayons assez d'empire sur nous pour n'être jamais enorgueilli par notre triomphe, ni humilié par notre défaite; consolons-nous par nos motifs, profitons de la leçon que le public nous donne, tournons la critique à notre avantage, et n'en accusons jamais l'envie : l'envie!

Ah! combien de fois la vanité mécontente s'estelle trompée sur la présence de l'envie, puisque même on en a soupçonné des hommes que l'élévation de leur ame avoit placés bien au-dessus de tous leurs contemporains! Non, ce ne fut point l'envie qui arma le cardinal de Richelieu contre le succès du Cid : il pouvoit désirer l'honneur d'avoir fait cet ouvrage; mais le poète n'excita point l'envie du Ministre; cette bassesse eût été bien dangereuse, appuyée du souverain pouvoir. Le jaloux Adrien, qui se piquoit d'être habile en architecture, envoya au supplice le malheureux. Apollodore, qui étoit, dans cet art, autant audessus de l'Empereur, que Corneille l'étoit, en poésie, au-dessus du Cardinal.

Si ce grand Ministre imposa à l'Académie, qu'il avoit créée, l'obligation de faire une critique du

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