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teur l'homme de bien. Avoir fait choix d'un tel sujet, c'étoit contracter l'obligation d'être vertueux, comme les Spartiates, avant d'aller au combat, faisoient serment d'ètre vainqueurs. On pouvoit dès-lors vous louer du présage que donnoit de vous cette production : mais combien estil heureux pour moi de la rappeler ici, aujourd'hui que le temps a fait voir que vos mœurs répondoient à vos principes, et toute votre vie à cet engagement.

Le succès que devoient avoir les vers d'un jeune poète qui s'étoit formé de lui-même, ne vous fit point renoncer à vos premiers goûts, mais il dut vous déterminerà donner la préférence aux Muses. En effet, en payant à l'art, des Vitruves le tribut d'admiration dû au mérite des arts en tout genre, il faut en convenir, la sensation que produit la vue des beaux édifices ne va point jusqu'à l'ame; c'est plutôt de leurs débris qu'on est ému. Plus le temps les a marqués de son empreinte, plus ils acquièrent de majesté, et l'irrégularité qui résulte de leur dépérissement, ajoute à l'admiration qu'ils inspiroient une sorte de vénération, soit par un retour de tristesse sur la caducité des choses humaines, soit par le droit qu'ont à nos regrets les grands hommes même que nous n'avons point vus, et que nous reprochons à la nature d'avoir fait mortels : en sorte que ces monumens fameux n'existent jamais plus que dans leurs ruines, et que l'on voit bien moins ce que le

temps en a détruit, ce qu'il doit en détruire encore, que ce qu'il en a respecté.

Vous avez senti combien il étoit plus flatteur d'exciter des sensations au théâtre et d'intéresser les hommes rassemblés ; et vous avez possédé cette heureuse magie, sur-tout dans un des premiers ouvrages donné sous le nom de drame au théâtre de la Nation, le seul ouvrage peut-être propre à réconcilier avec ce genre ses ennemis les plus déclarés. Quel intérêt puissant dans le Philosophe sans le savoir! quelle situation plus déchirante que la tienne, père malheureux! pressé entre la nature et le point d'honneur, entre le danger d'un fils et un devoir d'opinion, tu comptes une somme d'argent à un inconnu ; et cet inconnu se trouve être père de l'adversaire de ton fils, et cet argent doit servir à l'évasion de son meurtrier.

Au milieu de ce grand intérêt, on remarque un caractère neuf, la passion de l'amour sous le voile de l'ingénuité. On avoit montré plus d'une fois l'accord de l'amour et de l'innocence; on n'avoit point encore présenté cet amour d'instinct, seulement indiqué, qu'une jeune personne est dispensée de combattre, parce qu'en l'éprouvant elle l'ignore: caractère fugitif, difficile à tracer, qui demandoit une adresse continuelle pour le renfermer dans ses limites; esquisse délicate et légère, dont il falloit laisser achever le tableau au spectateur.

Une petite pièce d'un autre genre, mais du

nombre des comédies en situation, et dont la méprise fait le charme, c'est la Gageure. Elle offre une peinture vraie des mœurs domestiques; le comique y sort des caractères, et jette de la gaieté dans les scènes, en donnant de la valeur aux moindres détails.

Combien seroit-il injuste, Monsieur, de ne vous tenir compte que de ces deux ouvrages, sous prétexte que le théâtre que vous avez le plus enrichi n'est pas national, qu'on y apporte plus d'indulgence; que la plupart des pièces qu'on y représente ne sont que des canevas remplis par la musique, et qui, hors de la scène, perdent tout leur éclat, comme des transparens dont on a retiré la lumière. Sans doute le musicien ajoute beaucoup à l'illusion par la magie de son art; il donne plus de couleur aux pensées, plus d'expression aux paroles, plus de force au sentiment, plus d'intérêt à l'action; mais il tient tout son génie de l'écrivain ; il n'a pas un motif de scène qui n'appartienne à l'auteur des paroles; mais les deux auteurs s'entendent pour exciter les mêmes sensations; ils se font valoir l'un par l'autre ; ils sont la double cause d'où résulte un seul effet; et ces deux moteurs de nos plaisirs nous tiennent sous le même charme, et partagent entre eux la cou

ronne.

D'ailleurs ces ingrats détracteurs de leurs propres amusemens n'ont pas considéré, qu'à l'en

jouement de l'Opéra comique qu'on a transporté sur ce théâtre, vous avez ajouté un intérêt plus vif, plus de variété, plus de mouvement, plus de décence, plus de moralité; que vous avez su tirer les plus grands effets des sujets les plus humbles, et dans une ferme ou dans une place de village, causer des émotions telles que les favoris de Melpomène n'en excitent guère de plus vives dans les palais des Rois, et sous la voûte des temples et des forêts sacrées. Vous avez élargi la route, et c'est en l'élargissant que vous l'avez rendue plus diffi

cile à tenir.

Ici c'est une comédie champêtre qui n'auroit pas besoin du secours de la musique; où l'amour entre deux jeunes cœurs se joue, même dans ses imprudences, de la sagesse et des précautions des pères. On y voit une scène entre deux vieillards, qui est un modèle de dialogue, et que nos meilleurs comiques n'auroient pas désavouée.

Là c'est une rose ingénieuse qu'une jeune pupille laisse tomber négligemment, et si cette fleur n'est pas comme à Salency, le prix de la sagesse, elle sert à-la-fois de sauve-garde à la pudeur, et d'interprète à l'amour.

Dans une autre pièce, c'est de la désertion d'un soldat que résulte une action terrible, tempérée par un épisode dont la gaieté contraste, sans détonner, avec la tristesse du sujet : le cœur se serre et s'épanouit tour-à-tour; les ris naissent au

milieu des larmes, comme aux approches du printems les rayons du soleil s'échappent au travers d'une douce pluie.

Votre dernier ouvrage au même théâtre est à l'honneur des lettres. Plusieurs de nos premiers poètes ressembloient à nos anciens chevaliers ; ils en avoient auprès de leurs dames, la fidélité, la constance, le désintéressement: d'autres, tels que ce fameux comte de Champagne, les servoient également de la lyre et de l'épée. C'est la romance d'un Roi prisonnier, inopinément entendue par lui-même dans la bouche d'un troubadour; c'est la musique même qui, pour la première fois, est mise en situation; et c'est peut-être l'effet le plus pénétrant qu'on ait jamais produit sur la scène. Quels sont les défauts que ces traits ne feroient pas excuser; quelles invraisemblances même ne seroient pas rachetées par ces beautés théâtrales? C'est une remarque qui n'est pas indifférente pour l'honneur même de vos compositions, que vous avez rarement emporté les suffrages à la première représentation. Vous aimez à peindre d'après nature, trait de ressemblance que vous avez avec l'inimitable Molière; et comme la nature et la vérité ne sont pas ce qui se présente d'abord en écrivant, on pourroit dire que dans les grandes villes où l'art et la mode prédominent, où il y a moins de mœurs que de manières, une sorte de corruption d'esprit fait que les beautés simples. ne produisent qu'une impression légère, et que

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