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les fruits. Vous ne pouvez les aimer sans protéger ce corps illustre,qui, pour le louer, par les expressions même de votre auguste épouse, a fait de la langue Françoise la langue de l'Europe. Pour moi, qu'il daigne adopter aujourd'hui, je me félicite à jamais de vous avoir offert le premier ce tribut Académique, et je regarderai toujours cette époque comme la plus glorieuse de ma vie

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DISCOURS

Prononcé le 4 août 1774, par M. SUARD, lors qu'il fut reçu à la place de M. DE LA VILLE; évêque de Tricomie.

DES BEAUX-ARTS ET DE LA PHILOSOPHIE, DANS LE DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

Messieurs,

Je ne viens point vous rendre grâces de l'honneur que vous m'avez fait en m'associant à vous. Il y a des bienfaits dont l'éclat dispense celui qui les reçoit de parler de sa reconnoissance; mais en renfermant mes sentimens au fond de mon cœur, je ne dois pas craindre de paroître vain; je n'ai pas même le droit d'être modeste.

C'est pour la seconde fois que je me vois honoré de vos suffrages (1); je ne m'enorgueillirai pas de

(1) M. l'abbé Delille et M. Suard ayant été élus par l'Académie le 7 mai 1772, à la place de MM. Bignon et Duclos, le feu roi (Louis XV), prévenu contre ces deux hommes de lettres par des hommes qui ne l'étoient guère, jugea à propos

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cette distinction, que ne m'enviera sans doute aucun homme de lettres; mais je m'honorerai toute ma vie des marques d'estime et de bonté que l'Académie m'a données dans une occasion délicate où, élevé par elle, j'avois besoin d'être soutenu par elle. Sensible, comme je dois l'être, à la généreuse bienveillance de cette illustre Compagnie, je ne puis me rappeler sans attendrissement ce que je dois encore à l'amitié courageuse de plusieurs de ses membres. Il m'est bien doux de trouver dans mes bienfaiteurs un si grand nombre d'amis, et des amis d'un ordre si distingué. La reconnoissance, dont les chaînes toujours sacrées sont quelquefois si pesantes, devient le plus doux des liens, quand elle se réduit à nous faire aimer davantage ceux que nous aimions déjà.

Pour m'attacher à l'Académie par un dévouement et un zèle sans bornes, je n'avois besoin que d'obéir au penchant de mon cœur; et vous m'offrez, Messieurs, tout ce qui peut satisfairel'ambition d'un homme de lettres, et les besoins d'une ame sensible. Je trouverai dans vos assem

de refuser, ou plutôt de différer son consentement à cette élection. Mais bientôt, mieux informé et détrompé entièrement par M. le duc de Nivernois. et M. le prince de Beauveau, il rendit à l'Académie, au bout de six semaines, la liberté de les élire. (M. d'Alembert, Hist. des membres de l'Académie franLoise, éloge de M. le maréchal d'Estrées, tom. ↳, pag. 624.

blées les personnes dont je recherche la société dans le monde, dont la conversation me charme et m'instruit, dont j'admire les talens et dont je respecte les vertus..

J'y viendrai jouir sur-tout du spectacle intéressant de l'union qui règne entre les hommes les plus distingués de la littérature. Quand on considère combien de petits intérêts d'amour-propre, de rivalités de renommée, de contrariétés de goûts et d'opinions, tendent à diviser des hommes qui, courant la même carrière, se disputent le même prix, la gloire, que Pline appelle un bien incommunicable, on sent tout ce qu'a de respectable une union qui ne peut être fondée que sur une estime profonde et mutuelle, sur les principes d'une raison supérieure, et sur un zèle commun pour l'intérêt et la gloire des lettres.

Les différences d'opinion qui s'élèvent parmi vous n'y produisent que des disputes décentes et toujours utiles aux progrès de l'esprit, du goût et de la vérité; mais on n'y vit jamais naître ces querelles, dont le scandale amuse la sottise, et console un moment l'envie.

Vous laissez le métier de lasatire à l'impuissante et jalouse médiocrité; vous répondez aux libelles par le mépris et par de bons ouvrages. Vous abandonnez à leur bassesse ces écrivains qui ne cultivent les lettres que pour les avilir; qui, condamnés par la nature à une éternelle obscurité, et se trouvant humiliés par tout ce qui est grand, cher

chent à se venger du mépris par la haine, et ne voyent pas que les fureurs impuissantes de la haine ne font que justifier et éterniser le mépris, L'envie, Messieurs, fait bien mieux qu'elle ne pense; elle sert le mérite en le persécutant; l'homme juste et sensible nuit quelquefois par trop d'indulgence aux lettres qu'il aime; la censure vigilante et inflexible de la haine aiguillonne le génie, lui révèle ce qui lui manque, met toutes ses forces en action, appelle l'orgueil même au secours du talent, et ajoute un nouvel éclat à la gloire du triomphe.

Il est pour les gens de lettres des adversaires plus dangereux. Quand on observe la futile importance de ce qui occupe en général les Sociétés, la foule des préjugés puérils qui y circulent, le ton confiant de l'ignorance capable, enfin toutes çes petites prétentions d'esprit, de goût et de talent, aujourd'hui si communes, on conçoit aisément que l'homme qui, au milieu de ces travers et de ces frivolités, porte des principes plus sévères, une raison plus éclairée, un esprit plus exercé, quelquefois aussi un sentiment trop prononcé de ses avantages, doit souvent choquer les préjugés et embarrasser l'amour-propre. Il semble se présenter comme un juge, et ce que l'on commence par craindre, on finit bientôt par le haïr. Qu'on ajoute à ces motifs l'aversion des véritables gens de lettres pour l'intrigue, et leur mépris public pour ces bassesses de la cupidité, qui

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