Images de page
PDF
ePub

le spectateur a besoin de revoir plusieurs fois les tableaux naturels pour les reconnoître et pour les goûter; aussi vos productions, après un accueil peu favorable, ont obtenu l'approbation la plus décidée, et quelquefois même ce qui avoit paru déplaire au premier jugement, a réussi dans la suite, jusqu'à l'enthousiasme : l'ouvrage est resté le même, rien n'a changé, que l'opinion.

Occupé de multiplier les plaisirs du public, jaloux de courir à l'effet théâtral, forcé d'arranger les paroles au gré du musicien, vous n'avez pù toujours éviter les négligences du style. L'aveu que vous venez de faire vous-même à cet égard, vous excuse et vous honore; et parmi vos titres de gloire, vous seul aviez droit, pour ainsi dire, d'insulter à votre propre triomphe,

Vous n'ignoriez pas que si l'acteur ne doit voir sur la scène que son interlocuteur, l'auteur ne doit jamais perdre le spectateur de vue. Doué d'un tact aussi prompt que délicat, il veut trouver dans l'expression ce coloris qui est au style, ce qu'est à de certains fruits la fleur qui les couvre. Mais il est aisé de s'apercevoir que, par une sorte de défiance de vous-même, vous vous êtes abstenu de dire tout ce que vous pouviez faire sous-entendre, et que, par d'adroites réticences, par le jeu de la pantomime, par des repos, par l'action, vous avez su éviter une partie des difficultés de l'art d'écrire: Toute-fois l'expression, dans les momens d'effet, ne vous a point abandonné, et le mot propre, ce

lui du coeur, qui peint tout un caractère ou récapitule toute une situation, ne vous a jamais échappé.

Aussi cette compagnie, dépositaire de la langue, s'est-elle souvenue que si elle se fait une loi de couronner les talens qui ont contribué à la perfection du langage, elle devoit aussi ses palmes à l'imagination, au naturel, et à l'entente raisonnée

du théâtre.

Vous succédez, Monsieur, à un homme distingué, non-seulement par son goût pour les lettres, mais par son amour pour les arts, et dès sa jeunesse, initié à leurs mystères. Sans avoir couru la carrière épineuse que vous avez choisie, il s'étoit essayé dans quelques ouvrages dramatiques que sa modestie ne lui avoit pas permis d'exposer au grand jour : il aimoit sans doute les lettres, plus pour elles-mêmes que pour la gloire qu'il en pouvoit recueillir; désintéressement qui peut avoir sa noblesse, mais qu'auront peine à concevoir ceux sur-tout qui cultivent les arts d'agrément.

Il n'en est pas des talens comme de la vertu ; son caractère est de se cacher; sa gloire est dans la retraite, dans le silence; elle se suffit à ellemême; elle vit de sa propre substance; elle concentre en elle ses satisfactions; elle craint, comme une profanation, les regards publics: si elle doit l'exemple, c'est autour d'elle; si elle brille au loin, les circonstances l'ont trahie.

Les talens, au contraire, sont faits pour paroî

tre, pour se produire, pour occuper d'eux, pour le bruit, pour la renommée ; ils n'existent que par la communication, ils ne s'alimentent que de suffrages, ils tiennent à l'opinion, ils veulent captiver la multitude et les connoisseurs ; ils sont faits pour exciter l'émulation, l'enthousiasme, l'envie même.

;

M. Watelet consacra plusieurs de ses années aux belles-lettres; mais le dessin parut être son goût dominant, puisqu'on le vit employer, à l'honneur de la peinture, ses talens même littéraires.

C'est un des écueils de ma fonction, Monsieur, d'avoir à répéter, après vous, l'éloge de l'Académi cien dont nous pleurons la perte ; je crains de mêler l'ennui d'une redite involontaire, au devoir que je me fais d'honorer son mérite et sa mémoire. Mais comment me refuser au plaisir de louer son courage, d'avoir entrepris le premier un poème sur l'art de peindre. Cet ouvrage didactique demandoit dans l'auteur un peintre et un poète, comme vous désiriez, pour la perfection d'une œuvre lyrique, que le même homme fût poète et

musicien.

M. Watelet crut peut-être devoir sacrifier les élans ambitieux de l'imagination, à l'utilité des préceptes, et se borner à éclairer les élèves ; mais au milieu des détails techniques et de pure instruction, qui ne pouvoient prendre la couleur poétique, on rencontre des détails d'agrément où l'inspiration se fait sentir. Ainsi, sur des penchans

escarpés et hérissés de plantes tristes, mais salutaires, l'œil est réjoui, d'espace en espace, à la vue de quelques fleurs écloses d'elles-même au milieu des trésors d'une utile végétation.

M. Watelet développe mieux encore la théorie de l'art dans les réflexions qui servent de supplément à son poème. On y trouve des vues fines, des leçons méthodiques sur les différentes parties de la peinture; une échelle, en quelque sorte, des affections humaines, et tous les sentimens, toutes les sensations que le peintre doit étudier avant de les exprimer, pour ne confondre ni les différences, ni les nuances même ; il a mis de plus à cet ouvrage le cachet de ses connoissances, par le soin qu'il a pris de l'orner de dessins tracés de sa propre main. Tel fut le fruit de ses voyages en Italie et en Hollande; parti amateur, il revint artiste ; il rapporta ce sentiment des beautés de l'antique, qui ne peut-être pris que sur les lieux, et que ne peut acquérir, dans son énergie, le curieux sédentaire qui n'a vu le pays des arts que

sur des dessins.

Celui qui s'occupoit autant de la perfection des arts, ne pouvoit être indifférent pour les artistes : Aussi s'établit il entre eux et lui une confraternité naturelle; il vivoit et s'éclairoit avec les plus célèbres; il s'intéressoit essentiellement aux jeunes élèves sans fortune; ils les aidoit de secours réels, et non de ces vaînes promesses qui usurpent la

reconnoissance, non de cette protection stérile qui ne montre que la vanité du protecteur.

Laissons l'amateur, l'artiste, l'homme de lettres même, et montrons l'homme, le philosophe aimable.

Fait pour sentir et pour inspirer l'amitié, il étoit un de ces caractères heureux qui se concilient tous les suffrages, qui plaisent au premier coup-d'œil, et dont on s'approche davantage à mesure qu'on les connoît; il étoit doué, non de cette douceur qui n'est que de la foiblesse, qui fait qu'on cède aveuglément aux impulsions étrangères, et qu'on est social sans mérite, ou complaisant jusqu'à la bassesse; mais de cette aménité de mœurs qui entretient l'esprit de société, sans ôter à l'ame son énergie et son courage : cette douceur qui semble être l'attribut particulier d'un autre sexe, et qui le caractérise d'une manière plus intéressante peut-être que la beauté même, n'appartient donc pas si exclusivement aux femmes, qu'il ne puisse être le partage des hommes. La nature se plaît quelquefois à mar. quer dans un sexe les avantages d'un autre, pour montrer que les deux sont susceptibles des mêmes priviléges. L'Hercule Farnèse et l'Antinoüs du Vaticán présentent également deux hommes; mais dans l'un tout est nerveux, prononcé; l'autre semble tenir de la Vénus de Médicis. Il en est de même des formes morales; elles sont plus adou

« PrécédentContinuer »