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cies dans les uns, plus rudes dans les autres. La douceur est plutôt une qualité qu'une vertu ; elle est plutôt innée qu'elle n'est acquise; mais en est-elle moins précieuse? Elle prépare, elle hâte, fortifie, resserre les noeuds de la société; elle est la qualité de tous les instans, l'aimant de tous les esprits, et le charme de toutes les liaisons.

Quel devoit être M. Watelet, doux naturellement, et cultivant encore les arts, puisque leur effet est d'adoucir les caractères même sauvages, comme le ciseau du sculpteur amollit le marbre; comme à l'aide du feu on tourne et on assouplit les métaux. La douceur de M. Watelet influa jusques sur les sentimens d'aversion dont il est mal aisé de se défendre dans le cours de la vie; et jamais son éloignement pour ceux dont il avoit à se plaindre, ne put aller jusqu'à la haine.

C'est à vous, Monsieur, à nous consoler de la perte d'un confrère avec qui vous avez tant de rapports de goûts et tous ceux de l'honnêteté. La foiblesse habituelle de sa complexion l'éloignoit de nos assemblées particulières; vos assiduités nous dédommageront; vous verrez que parmi nous tous les mérites sont frères, et que cette compagnie est la seule dans l'univers qui n'affecte ni la prééminence des titres, ni celle des talens.

ESQUISSE

De la révolution générale qui s'est faite en France, dans les lettres et dans les mœurs, vers le milieu du dix-huitième siècle ;

Par M. DE RULHIÈRE,

Dans le discours qu'il prononça le 4 juin 1787, lorsqu'il fut reçu à la place de M. l'abbé

DE BOISMONT.

Messieurs,

FONTENELLE, près de finir sa longue carrière, faisoit encore les délices des plus spirituelles sociétés, l'ornement de tous les corps littéraires, et sembloit rapprocher et unir les deux siècles. Je ne dois pas rappeler ici, qu'associé dès son plus jeune âge aux travaux de Corneille, il avoit pris, dans la culture des lettres, le charme qu'il avoit répandu sur les plus hautes sciences; qu'il avoit fait tomber les voiles mystérieux dont elles s'étoient si long-temps enveloppées, et les avoit familiarisées avec les femmes, en écartant tout l'appareil du pédantisme; mais je rappellerai qu'il

jouissoit, dans son extrême vieillesse, de cette première révolution due à lui seul; qu'il voyoit les savans, ses disciples, par-tout recherchés ou accueillis à son exemple et à sa suite. On dit que ce n'étoit pas dans les sciences un génie créateur: disons du moins qu'il emprunta le feu du génie, comme Prométhée avoit dérobé le feu du Ciel, pour en faire présent aux hommes, et qu'il s'en servit, comme lui, pour donner une nouvelle ame au sexe aimable qu'il éclaira, et dont la beauté est le symbole.

Voltaire n'avoit pas encore pris sur son siècle cet empire suprême dont nous l'avons vu s'emparer, lorsque, dans sa vieillesse, les suffrages unanimes de l'Europe lui eurent déféré le sceptre littéraire; mais du fond de sa retraite de Cirey, revenant à Paris nous instruire, nous émouvoir et nous charmer, heureux rival de tous les génies de son temps et de tous les génies des siècles passés,

jours avide de succès, de gloire et de conquêtes, il régnoit sur la scène sans régner sur nos opinions. Déjà cependant il avertissoit les François de tous leurs travers, en même temps qu'il chantoit encore tous leurs triomphes; il nous inspiroit l'horreur du fanatisme, naturalisoit parmi nous les découvertes et les beautés hardies des philosophes et des poètes anglois; composoit, pour la compagne de sa retraite, un Essai sur le caractère et le génie des Nations; poursuivoit les détracteurs des lettres et les critiques infidèles;

suffisoit presque seul aux lecteurs les plus assi dus, et étoit l'éternel sujet de tous nos entretiens. Montesquieu, déjà sûr de sa gloire par ses premiers travaux, partageant ses jours entre les délices de Paris et le sauvage désert de la Brède, où le premier en France, et seul encore, il avoit rapporté d'Angleterre le goût des jardins agrestes; Montesquieu achevoit l'ouvrage des méditations de sa vie entière: il publioit l'Esprit des lois; la profondeur de son génie et la richesse de son imagination versoient sur les matières sublimes autant et plus de charmes que Fontenelle n'en avoit répandu sur les hautes sciences; et désormais les plus secrètes intentions des législateurs, leurs fautes et leurs devoirs furent pour jamais révélés au genre humain.

Un ouvrage non moins vaste, et dont Aristote et Pline n'avoient laissé que d'imparfaits modèles, l'Histoire de l'homme et de la nature parut cette même année. Cette grande partie de la philoso phie fut exposée dans toute sa magnificence. Notre langue même parut s'embellir dans un style dont la majesté se maintient toujours sans orgueil et sans faste. Il avoit fallu au travail d'Aristote les conquêtes d'Alexandre ; il avoit fallu pour le travail de Pline que Rome fût maîtresse du monde; et de nos jours, c'est au seul génie du naturaliste françois que tous les Souverains et tous les peuples s'empressent d'offrir, en tribut volontaire, tout ce que la nature, sur la surface entière du

globe, produit encore de nouveau, de rare ou d'inconnu.

A cette même époque, Rousseau, encouragé par sa réputation naissante, alloit essayer de nouveau, et fortifier dans les solitudes cette voix éloquente qui devoit bientôt faire revivre tous les devoirs maternels, et ramener le bonheur sur le premier âge de la vie. C'est encore à cette même époque qu'une nombreuse société se rassembloit sous deux chefs renommés, et véritablement dignes d'elle, pour former l'immense collection de toutes les connoissances acquises par les travaux des siècles.

Un mouvement général se fit alors dans l'esprit humain. Les profondes études, sortant toutes à la fois des retraites solitaires où elles s'étoient mûries répandirent tout-à-coup de nouvelles idées de nouvelles lumières, des espérances nouvelles. La vigilance du Gouvernement, toujours attentive parmi nous au choix des connoissances qu'il laisse s'étendre dans la Nation, n'étoit point dans ce temps inquiète, soupçonneuse et craintive. Ce soin étoit confié à un Magistrat illustre, d'un nom cher aux Muses, capable lui-même d'éclairer son siècle, et dont les vertus nobles, simples et fami lières s'accordent avec l'étonnante facilité de son génie, assis maintenant au milieu de vous, Mes. sieurs, et surpris d'entendre un éloge qui ne peut étonner que lui seul.

Cependant presque tous les genres de littéra

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