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ture étoient cultivés avec un égal applaudissement, et cette autre impulsion donnée sous le précédent règne, ne paroissoit pas s'être ralentie. Le terrible Crébillon, qui exprima si bien le délire des passions les plus atroces, la joie de la haine, et les pleurs de la rage, s'étoit seul approprié cette partie du domaine tragique, et dans un long silence méditoit un dernier succès. La scène se soutenoit dans ce point de perfection qui a renduses jeux les plus comiques, un des plus nobles plaisirs de l'esprit. On alloit chaque jour ap plaudir au théâtre la vraie peinture des ridicules de ce temps-là, si vivement tracée dans le Méchant, le Glorieux, le Métromane, dans la Coquette corrigée et les Dehors trompeurs, ouvrages de plusieurs hommes célèbres qui, sur les traces de Molière, achevoient de rendre la comédie une école de mœurs. Que si d'autres abandonnoient ces traces trop difficiles à suivre, s'ils commençoient à quitter la touche du ridicule pour celle du pathétique, c'étoit pour nous présenter le tableau simple et touchant, mais toujours élégant et embelli, de nos erreurs et de nos fautes. L'éloquence de la chaire conservoit, non toute la supériorité qu'elle avoit acquise, mais si j'ose m'exprimer ainsi, toute la vogue qu'elle avoit précédemment obtenue. Souvent la multitude venoit at tendre, dès le point du jour, l'orateur qui ne devoit paroître qu'à la chute du soleil. Cette fameuse société qui, alors répandue sur toute la

terre, prenoit de Nation à Nation, comme parmi nous d'homme à homme le caractère qui convenoit le mieux aux conjonctures, qui enseignoit les sciences aux Chinois, les arts aux sauvages, les belles-lettres aux Européens; cette société remplissoit avec éclat presque toutes les chaires. Ce fut elle qui la première perfectionna parmi nous l'art de la prédication; et, dans un temps moins favorable, elle en soutenoit encore la gloire. Le talent de ses orateurs, mûri par de longues études, et long-temps exercé dans les provinces sous la censure de leurs vieillards, revenoit étonner la capitale, et quelquefois faire trembler la Cour. Si, dans la foule des auditeurs, quelques uns étoient plus attirés par la curiosité que par la persuasion, s'ils venoient uniquement chercher dans ce concours le spectacle qu'offroit ce concours même ; du moins le goût d'une solide occupation, le plaisir de juger un talent nouveau, de comparer entre eux ceux qui faisoient hésiter la renommée, tout entretenoit dans cette capitale l'amour de l'esprit, l'occupation des belleslettres, le charme des conversations ingénieuses.

Il semble dans la destinée de l'esprit humain. et l'expérience de tous les siècles peut nous le faire croire, que la philosophie doive toujours succéder aux belles-lettres, les Aristote aux Euripide, les Sénèque aux Térence, les Galilée aux Tasse, les Locke aux Milton; mais le temps où une Nation

est éclairée par cette brillante aurore des sciences, avant que les lettres soient penchées vers leur déclin, n'est-il pas un de ses plus beaux âges? Est-il dans l'univers un spectacle plus digne d'admiration que cette ra vissante saison des pays septentrionaux qui, pendant sa longue durée, laisse voir tout ensemble, et les feux du couchant conservant long-temps encore leur éclatante lumière, et les rayons naissans du jour éclairant déjà tout l'espace du monde?

La prospérité du Gouvernement paroissant alors affermie, aucune impression chagrine ne se faisoit sentir dans les esprits; et cette heureuse capitale, où les délices de la société sont mieux connues qu'en aucun lieu du monde, ne parut, dans aucun temps, les connoître mieux elle-même. Des vieillards, formés dans la politesse du précédent règne, possédoient l'art, devenu si rare, de converser avec agrément et avec égalité. La fatuité même, ce défaut françois qui prend toujours la couleur de son siècle, ou pour mieux dire la couleur du moment, étoit polie, ingénieuse et brilJante. Les hommes de lettres, par-tout accueillis, cherchoient par-tout à plaire.

Mais comme dans les sociétés politiques les avantages d'une extrême opulence sont toujours accompagnés de tous les maux, ou du moins de tous les dangers du luxe; on diroit aussi qu'il y a des dangers inséparables d'une extrême richesse

littéraire : la profusion, les raffinemens, le faux éclat, le désir de briller, l'amour de la nouveauté, en un mot, un vain luxe d'esprit, commençoient à se faire craindre. La frivole vanité du bel esprit étoit devenue, dans Paris, une vanité dominante, une prétention générale, une sorte d'épidémie occasionnée par la durée même d'une saison si belle. Les moindres amateurs des lettres, suivant la médiocrité ou l'aisance de leur fortune, s'érigeoient, les uns en Aristarques capables d'égarer le goût par leurs conseils; les autres en Mécènes capables d'avilir les talens par leur protection. Le mal et le bien, tout changea dans le court espace de quelques années; mais les causes qui influent sur le génie des peuples et sur l'état général de la société, ne sont pas aussi simples que souvent elles le paroissent, et elles se compliquent de beaucoup de manières. Cette année même où se produisirent tous ensemble ces grands ouvrages philosophiques, nous vîmes commencer une suite d'événemens malheureux, qui peu à peu, et de jour en jour, ôtèrent au Gouvernement cette approbation, cette estime publique dont il avoit joui jusques-là ; et pendant que nous passions de l'amour des belles lettres à l'amour de la philosophie, la Nation, par un autre changement qui tenoit à des causes bien différentes, passa de l'applaudissement aux plaintes, des chants de triomphe au bruit des perpétuelles remontrances, de la prospérité aux craintes d'une ruine générale,

et d'un respectueux silence sur la religion, à des querelles importunes et déplorables.

ou

Ne craignez pas, Messieurs, que je veuille imprudemment franchir les limites d'une discussion littéraire; mais enfin, un nouvel horison, et souvent obscurci de nuages, se formoit autour de nous. Il étoit difficile que les hommes de lettres conservassent le ton de la louange, sans se dégra der; que des esprits qui se tournèrent rapidement vers les grands objets de l'administration publique, de la morale, des lois, de l'éducation, de l'étude générale de la nature, eussent encore cette souplesse, cette adresse ingénieuse qui se plaît à cacher une partie de ses pensées, pour faire mieux ressortir celle des autres, et comme dans nos prospérités ils avoient été les plus flatteurs, du moins comme leurs flatteries avoient eu plus d'éclat, dans cette espèce de chagrin général, leurs plaintes acquirent aussi plus de célébrité. On craignit leurs opinions; on craignit leur société; on calomnia les lettres auprès du Gouver nement; on chercha à les rendre odieuses et suspectes. Ces deux époques si diverses se trouvent marquées dans deux ouvrages bien différens en effet, et composés, à peu d'années de distance, par deux Académiciens célèbres, et tous deux se crétaires de cette Académie. Duclos s'écrie: « Les << gens de la Cour sont ceux dont les lettres ont le « plus à se louer. Formez des liaisons à la Cour, << un homme de lettres estimable n'y essuyera poiut

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