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Montesquieu démêloit les causes physiques et morales qui influent sur les institutions des hommes; le citoyen de Genève commençoit à les étonner par la hardiesse et l'éloquence de sa philosophie; d'Alembert écrivoit cet immortel discours qui sert de frontispice au plus vaste de tous les monumens de la littérature;il expliquoit la précession des équinoxes, et il créoit un nouveau calcul; Buffon préparoit ses pinceaux, et tous ces grands esprits donnoient des espérances qui n'ont point été trompées.

Quel grand, quel étonnant spectacle que celui de la nature! Des astres étincelans et fixes qui répandent au loin la chaleur et la lumière; des astres errans qui brillent d'un éclat emprunté, et dont les routes sont tracées dans l'espace; des forces opposées, d'où naît l'équilibre des mondes; l'élément léger qui se balance autour de la terre; les eaux courantes qui la dégradent et la sillonnent; les eaux tranquilles, dont le limon qui la féconde forme les plaines; tout ce qui vit sur sa surface et tout ce qu'elle cache en son sein; l'homme lui-même, dont l'audace a tout entrepris, dont l'intelligence a tout embrassé, dont l'industrie a mesuré le temps et l'espace; la chaîne éternelle des causes, la série mobile des effets, tout est compris dans ce merveilleux ensemble. Ce sont ces grands objets que M. de Buffon a traités dans ses écrits. Historien, orateur, peintre et poète, il a pris tous les tons et mérité

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toutes les palmes de l'éloquence. Ses vues sont hardies, ses plans sont bien conçus, ses tableaux sont magnifiques. Il instruit souvent, il intéresse toujours; quelquefois il enchante, il ravit; il force l'admiration, lors même que la raison lui résiste. On retrouve dans ses erreurs l'empreinte de son génie; et leur tableau prouveroit seul que celui qui les commit fut un grand homme.

Lorsqu'on jette un coup d'œil général sur les ouvrages de M. de Buffon, on ne sait ce qu'on doit le plus admirer dans une entreprise si étendue, ou de la vigueur de son esprit, qui ne se fatigua jamais, ou de la perfection soutenue de son travail, qui ne s'est point démentie, ou de la variété de son savoir, que chaque jour il augmentoit par l'étude. Il excella sur-tout dans l'art de généraliser ses idées et d'enchaîner les observations. Souvent, après avoir recueilli des faits jusqu'alors isolés et stériles, il s'élève et il arrive aux résultats les plus inattendus. En le suivant les rapports naissent de toutes parts; jamais on ne sut donner à des conjectures plus de vraisemblance, et à des doutes l'apparence d'une impartialité plus parfaite. Voyez avec quel art, lorsqu'il établit une opinion, les probabilités les plus foibles sont placées les premières; à mesure qu'il avance, il en augmente si rapidement le nombre et la force, que le lecteur subjugué se refuse à toute réflexion qui porteroit atteinte à son plaisir. Pour éclairer les objets, M. de Buffon em

ploie, suivant le besoin, deux manières : dans l'une, un jour doux, égal, se répand sur toute la surface; dans l'autre, une lumière vive, éblouissante n'en frappe qu'un seul point. Personne ne voila mieux ces vérités délicates qui ne veulent qu'être indiquées aux hommes. Et, dans son style, quel accord entre l'expression et la pensée! Dans l'exposition des faits, sa phrase n'est qu'élégante; dans les préfaces de ses traductions, il ne montre qu'un écrivain correct et sage. Lorsqu'il applique le calcul à la morale, il se contente de se rendre intelligible à tous. S'il décrit une expérience, il est précis et clair; on voit l'objet dont il parle; et pour des yeux exercés, c'est le trait d'un grand artiste. Mais on s'aperçoit sans peine que ce sont les sujets élevés qu'il cherche et qu'il préfère. C'est en les traitant qu'il déploie toutes ses forces, et que son style montre toute la richesse de son talent. Dans ces tableaux où l'imagination se repose sur un merveilleux réel, comme Manilius et Pope, il peint pour instruire; comme eux, il décrit ces grands phénomènes, qui sont plus imposans que les mensonges de la fable; comme eux, il attend le moment de l'inspiration pour produire; et comme eux il est poète. En lui, la clarté, cette qualité première des écrivains, n'est point altérée par l'abondance. Les idées principales, distribuées avec goût, forment les appuis du discours; il a soin que chaque mot convienne à l'harmonie au

tant qu'à la pensée; il ne se sert pour désigner les choses communes que de ces termes généraux qui ont, avec ce qui les entoure, des liaisons étendues. A la beauté du coloris, il joint la vigueur du dessin; à la force, s'allie la noblesse; l'élégance de son langage est continue; son style est toujours élevé, souvent sublime, imposant et majestueux; il charme l'oreille, il séduit l'imagination; il occupe toutes les facultés de l'esprit; et pour produire ces effets, il n'a besoin ni de la sensibilité, qui émeut et qui touche, ni de la véhémence qui entraîne et qui laisse dans l'étonnement celui qu'elle a frappé. Que l'on étudie ce grand art dans le discours où M. de Buffon en a tracé les règles, on y verra par-tout l'auteur se rendant un compte exact de ses efforts, réfléchissant profondément sur ses moyens, et dictant des lois auxquelles il n'a jamais manqué d'obéir. Lorsqu'il vous disoit, Messieurs, que les beautés du style sont les droits les plus sûrs que l'on puisse avoir à l'admiration de la postérité ; lorsqu'il vous exposoit comment un écrivain, en s'élevant par la contemplation à des vérités sublimes, peut établir sur des fondemens inébranlables des monumens immortels; il portoit en lui le sentiment de sa destinée, et c'étoit alors une prédiction qui fut bientôt accomplie.

Je n'aurois jamais osé, Messieurs, parler ici de l'élocution et du style, si, en essayant d'appréeier M. de Buffon sous ce rapport, je n'avois été

conduit par M. de Buffon lui-même. C'est en li sant ses ouvrages que l'on éprouve toute la puis sance du talent qui les a produits, et de l'art qui les a formés. Je sens mieux que personne combien il est difficile de célébrer dignement tant de dons rassemblés; et lors même que cet éloge me ramène aux objets les plus familiers de mes travaux, j'ai lieu de douter encore que j'aie rempli votre attente. Mais les ouvrages de M. de Buffon sont si répandus, et l'on s'est tant occupé de la nature en l'étudiant dans ses écrits, que, pour donner de ce grand homme l'idée que j'en ai conçue, je n'ai pas craint, Messieurs, de vous entretenir aussi des plus profonds objets de ses méditations et de ses travaux.

Avant de parler de l'homme et des animaux, M. de Buffon devoit décrire la terre qu'ils habitent, et qui est leur domaine commun; mais la théorie de ce globe lui parut tenir au systême entier de l'Univers; et différens phénomènes, tels que l'augmentation successive des glaces vers les pôles, et la découverte des ossemens des grands animaux dans le Nord, annonçant qu'il avoit existé sur cette partie de notre planète une autre température, M. de Buffon chercha, sans la trouver, la solution de cette grande énigme dans la suite des faits connus. Libre alors, son imagination féconde osa suppléer à ce que les travaux des hommes n'avoient pu découvrir. Il dit avec Héziode : vous connoîtrez quand la terre commença

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