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Jorsqu'on l'opprime; qu'il se fatigue et s'épuise lorsqu'on l'irrite; qu'il dépérit faute de chaleur ou d'aliment, et qu'il ne jouit de toutes ses forces qu'au sein de l'abondance et de la liberté.

M. de Buffon est donc le premier qui ait uni la géographie à l'histoire naturelle, et qui ait appli» qué l'histoire naturelle à la philosophie; le pre mier qui ait distribué les quadrupèdes par Zôues, qui les ait comparés entre eux dans les deux mon. des, et qui leur ait assigné le rang qu'ils doivent tenir à raison de leur industrie. Il est le premier qui ait dévoilé les causes de la dégénération des animaux ; savoir, le changement de climat, d'ali mens et de mœurs, c'est-à-dire, l'éloignement de la patrie et la perte de la liberté. Il est le premier qui ait expliqué comment les peuples des deux continens se sont confondus; qui ait réuni dans un tableau toutes les variétés de notre espèce, et qui, dans l'histoire de l'homme, ait fait connoître, comme un caractère que l'homme seul possède, cette flexibilité d'organes qui se prête à toutes les températures, et qui donne le pouvoir de vivre et de vieillir dans tous les climats.

Parmi tant d'idées exactes et de vues neuves, comment ne reconnoîtroit-on pas une raison forte que l'imagination n'abandonne jamais, et qui, soit qu'elle s'occupe à discuter, à diviser ou à conclure, mêlant des images aux abstractions, et des emblêmes aux vérités, ne laisse rien sans liaisons, sans couleur ou sans vie, peint ce que les autres

ont décrit, substitue des tableaux ornés à des détails arides, des théories brillantes à de vaines suppositions, crée une science nouvelle, et force tous les esprits à méditer sur les objets de son étude, et à partager ses travaux et ses plaisirs.

Dans le nombre des critiques qui s'élevèrent contre la première partie de l'histoire naturelle de M. de Buffon, M. l'abbé de Condillac, le plus redoutable de ses adversaires, fixa tous les regards. Son esprit jouissoit de toute sa force dans la dispute. Celui de M. de Buffon au contraire y étoit en quelque sorte étranger. Veut-on les bien connoître? Que l'on jette les yeux sur ce qu'ils ont dit des sensations. Ici les deux philosophes partent du même point; c'est un homme que chacun d'eux veut animer; l'un, toujours méthodique, commence par ne donner à sa statue qu'un seul sens à-la-fois. Toujours abondant, l'autre ne refuse à la sienne aucun des dons qu'elle auroit pu tenir de la nature. C'est l'odorat, le plus obtus des organes, que le premier met d'abord en usage. Déjà le second a ouvert les yeux de sa statue à la lumière, et ce qu'il y a de plus brillant a frappé ses regards. M. l'abbé de Condillac fait une ana. lyse complète des impressions qu'il communique. M. de Buffon au contraire a disparu; ce n'est plus lui, c'est l'homme qu'il a créé, qui voit, qui entend et qui parle. La statue de M. l'abbé de Condillac, calme, tranquille, ne s'étonne de rien, párce que tout est prévu, tout est expliqué par

son auteur. Il n'en est, pas de même de celle de M. de Buffon; tout l'inquiète, parce qu'abandon née à elle-même, elle est seule dans l'univers : elle se meut, elle se fatigue; elle s'endort; son réveil est une seconde naissance, et comme, le trouble de ses esprits fait une partie de son charme, il doit excuser une partie de ses erreurs. Plus l'homme de M. l'abbé de Condillac avance dans la carrière de son éducation, plus il s'éclaire; il parvient enfin à généraliser les idées, et à découvrir en lui-même les causes de sa dépendance, et les sources de sa liberté. Dans la statue de M. de Buffon, ce n'est pas la raison qui se perfectionne, c'est le sentiment qui s'exalte; elle s'empresse de jouir, c'est Galathée qui s'anime sous le ciseau de Pygmalion; et l'amour achève son existence. Dans ces productions de deux de nos grands hommes, je nevois rien de semblable: dans l'une on admire une poésie sublime, dans l'autre une philosophie profonde. Pourquoi se traitoient-ils en rivaux, puisqu'ils alloient par des chemins différens à la gloire, et que tous les deux étoient également sûrs d'y arriver ?

Aux discours sur la nature des animaux, succéda leur description. Aucune production semblable n'avoit encore attiré les regards des hommes. Swammerdan avoit écrit sur les insectes. Occupé des mêmes travaux, Réaumur avoit donné à l'histoire naturelle le premier asile qu'elle ait eu parmi nous, et ses ouvrages, quoique diffus,

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étoient recherchés. Ce fut alors que M. de Buffon se montra. Fort de la conscience de son talent, il commanda l'attention. Il s'attacha d'abord à détruire le merveilleux de la prévoyance attribuée aux insectes; il rappela les hommes à l'étude de leurs propres organes; et dédaignant toute méthode, ce fut à grands traits qu'il dessina ses tableaux. Autour de l'homme, à des distances que le savoir et le goût ont mesurées, il plaça les animara dont l'homme a fait la conquête, ceux qui le servent près de ses foyers, ou dans les travaux champêtres; ceux qu'il a subjugués et qui refusent de le servir; ceux qui le suivent, le caressent et l'aiment ; ceux qui le suivent et le caressent sans l'aimer; ceux qu'il repousse par la ruse ou qu'il attaque à force ouverte; et les tribus nombreuses d'animaux qui, bondissant dans les taillis, sous les futaies, sur la cime des montagnes, ou au sommet des rochers, se nourrissent de feuilles et d'herbes; et les tribus redoutables de ceux qui ne vivent que de meurtre et de carnage. A ces groupes de quadrupedes, il opposa des groupes d'oiseaux. Chacun de ces êtres lui offrit une physionomie, et reçut de lui un caractère. Il avoit peint le Ciel, la terre, l'homme, et ses âges, et ses jeux, et ses malheurs, et ses plaisirs ; il avoit assigné aux divers animaux toutes les nuances des passions; il avoit parlé de tout, et tout parloit de lui. Ainsi quarante années de vie littéraire furent pour M. de Buffon quarante années de gloire; ainsi le bruit de tant d'applaudissemens

étouffa les cris aigus de l'envie, qui s'efforçoit d'arrêter son triomphe. Ainsi, le dix-huitième siècle rendit à Buffon vivant les honneurs de l'immortalité.

M. de Buffon a décrit plus de quatre cents espèces d'animaux; et, dans un si long travail, sa plume ne s'est point fatiguée. L'exposition de la structure et l'énumération des propriétés, par les places qu'elles occupent, servent à reposer la vue, et font ressortir les autres parties de la composition. Les différences des habitudes, des appétits, des mœurs et du climat, offrent des contrastes dont le jeu produit des effets brillans. Des épisodes heureux y répandent de la variété, et diverses moralités y mêlent, comme dans des apologues, des leçons utiles. S'il falloit prouver ce que j'avance, qu'aurois-je, Messieurs, à faire de plus que de retracer des lectures qui ont été la source de vos plaisirs? Vous n'avez point ou blié avec quelle noblesse, rival de Virgile, M. de Buffon a peint le coursier fougueux, s'animant au bruit des armes, et partageant avec l'homme les fatigues de la guerre et la gloire des combats; avec quelle vigueur il a dessiné le tigre qui, rassasié de chair, est encore altéré de sang. Comme on est frappé de l'opposition de ce caractère féroce, avec la douceur de la brebis, avec la docilité du chameau, de la vigogne et du renne, auxquels la nature a tout donné pour leurs maîtres; avec la patience du boeuf, qui est le soutien du ménage, et la force de l'agriculture! Qui n'a pas

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