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remarqué parmi les oiseaux dont M. de Buffon a décrit les mœurs, le courage franc du faucon, la cruauté lâche du vautour, la sensibilité du serin, la pétulance du moineau, la familiarité du troglodyte, dont le ramage et la gaieté bravent la rigueur de nos hivers, et les douces habitudes dé la colombe, qui sait aimer sans partage; et les combats innocens des fauvettes, qui sont l'emblème de l'amour léger? Quelle variété, quelle richesse dans les couleurs avec lesquelles M. de Buffon a peint la robe du zèbre, la fourrure du léopard, la blancheur du cygne et l'éclatant plumage de l'oiseau mouche! Comme on s'intéresse à la vue des procédés industrieux de l'éléphant et du castor! Que de majesté dans les épisodes où M. de Buffon compare les terres anciennes et brûlées des déserts de l'Arabie, où tout a cessé de vivre, avec les plaines fangeuses du nouveau continent, qui fourmillent d'insectes, où se traînent d'énormes reptiles, qui sont couverts d'oiseaux ravisseurs, et où la vie semble naître du sein des eaux ! Quoi de plus moral enfin que les réflexions que ces beaux sujets ont dictées! C'est, dit-il, (à l'article de l'éléphant) parmi les êtres les plus intelligens et les plus doux que la nature a choisi le Roi des animaux; mais je m'arrête. En vain j'accumulerois ici les exemples; entouré des richesses que le génie de M. de Buffon a rassemblées il me seroit également impossible de les faire connoître et de les rappeler toutes dans ce discours

J'ai voulu seulement, pour paroître meilleur, emprunter un instant son langage. J'ai voulu graver sur sa tombe, en ce jour de deuil, quelques unes de ses pensées; j'ai voulu, Messieurs, consacrer ici ma vénération pour sa mémoire, et vous montrer qu'au moins j'ai médité long-temps sur ses écrits.

Lorsque M. de Buffon avoit conçu le projet de son ouvrage, il s'étoit flatté qu'il lui seroit possible de l'achever dans son entier. Mais le temps lui manqua ; il vit que la chaîne de ses travaux alloit être rompue; il voulut au moins en former le dernier anneau, l'attacher et le joindre au premier.

Les minéraux, à l'étude desquels il a voué la fin de sa carrière, vus sous tous les rapports, sont en opposition avec les êtres animés, qui ont été les sujets de ses premiers tableaux. De toutes parts, dans le premier règne, l'existence se renouvelle et se propage; tout y est vie, mouvement et sensibilité. Ici, c'est au contraire l'empire de la destruction: la terre, observée dans l'épaisseur des couches qui la composent, est jonchée d'ossemens; les générations passées y sont confondues; les générations à venir s'y eugloutiront encore; nous-mêmes en ferons partie. Les marbres des palais, les murs des maisons, le sol qui nous soutient, le vetement qui nous couvre, l'aliment qui nous nourrit, tout ce qui sert à l'homme est le produit et l'image de la mort.

Ce sont ces grands contrastes que M. de Buffon aimoit à saisir, et lorsqu'abandonnant à l'un de ses amis, qui s'est montré digne de cette association honorable, mais qui déjà n'est plus, le soin definir son Traité des oiseaux, il se livroit à l'examen des corps que la terre cache en son sein; il y cherchoit, on n'en peut douter, de nouveaux sujets à peindre; il vouloit considérer et suivre les continuelles métamorphoses de la matière, qui vit dans les organes, et qui meurt hors des limites de leur énergie; il vouloit dessiner ces grands laboratoires où se préparent la chaux, la craie, la soude et la magnésie au fond du vaste Océan : il vouloit parler de la nature active, j'ai presque dit des sympathies, de ce métal ami de l'homine, sans lequel nos vaisseaux vogueroient au hasard sur les mers; il vouloit décrire l'éclat et la limpidité des pierres précieuses, échappées à ses pinceaux; il vouloit montrer l'or suspendu dans les fleuves, dispersé dans les sables, ou caché dans les mines, et se dérobant par-tout à la cupidité qui le poursuit; il vouloit adresser un discours éloquent aux Nations sur la nécessité de chercher les richesses, non dans des cavernes profoudes, mais sur tant de plaines incultes qui livrées au laboureur, produiroient à jamais l'abondance et la santé.

Quelquefois M. de Buffon montre dans son talent une confiance qui est l'ame des grandes entreprises. Voilà, dit-il, ce que j'aperçois par la

vue de l'esprit; et il ne trompe point: car cétte vue seule lui a découvert des rapports que d'autres n'ont trouvés qu'à force de veilles et de travaux. Il avoit jugé que le diamant étoit inflammable, parce qu'il y avoit reconnu, comme dans les huiles, une réfraction puissante. Ce qu'il a conclu de ses remarques sur l'étendue dęs glaces australes, Coock l'a confirmé. Lorsqu'il comparoit la respiration à l'action d'un feu toujours agissant; lorsqu'il distinguoit deux espèces de chaleur, l'une lumineuse et l'autre obscure; lorsque, mécontent du phlogistique de Sthaal, il en formoit un à sa manière; lorsqu'il créoit un soufre; lorsque, pour expliquer la calcination et la réduction des métaux, il avoit recours à un agent composé de feu, d'air et de lumière; dans ces différentes théories, il faisoit tout ce qu'on peut attendre de l'esprit ; il devançoit l'observation; il arrivoit au but sans avoir passé par les sentiers pénibles de l'expérience; c'est qu'il l'avoit vu d'en haut et qu'il étoit descendu pour l'atteindre, tandis que d'autres ont à gravir long-temps pour y

arriver.

Celui qui a terminé un long ouvrage se repose en y songeant. Ce fut en réfléchissant ainsi sur le grand édifice qui étoit sorti de ses mains, que M. de Buffon projeta d'en resserrer l'étendue dans des sommaires, où ses observations, rapprochées de ses principes, et mises en action, offriroient toute sa théorie dans un mouvant la

bleau. A cette vue il en joignit une autre. L'histoire de la nature lui parut devoir comprendre, non-seulement tous les corps, mais aussi toutes les durées et tous les espaces. Par ce qui reste, il espéra qu'il joindroit le présent au passé, et que de ces deux points il se porteroit sûrement vers l'avenir. Il réduisit à cinq grands faits tous les phénomènes du mouvement et de la chaleur du globe; de toutes les substances minérales, il forma cinq monumens principaux; et présent à tout, marchant d'une de ces bases vers l'autre, calculant leur ancienneté, mesurant leurs intervalles, il assigna aux révolutions leurs périodes, au monde ses âges, à la nature ses époques.

Qu'il est grand et vaste ce projet de montrer les traces des siècles empreintes depuis le sommet deş plus hautes élévations du globe jusqu'au fond des abimes, soit dans ces massifs que le temps a respectés, soit dans ces couches immenses formées par les débris des animaux muets et voraces qui pullulent si abondamment dans les mers; soit dans ces productions dont les eaux ont couvert les montagnes; soit dans ces dépouilles antiques de l'éléphant et de l'hippopotame que l'on trouve aujourd'hui sous des terres glacées; soit dans ces excavations profondes, où parmi tant de métamorphoses, tant de compositions ébauchées, et tant de formes régulières, on prend l'idée de ce que peuvent le temps et le mouvement, et de ce que sont l'éternité et la toute-puissance.

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