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Mille objections ont été faites contre cette com position hardie. Mais que leurs auteurs disent si, lorsqu'ils affectent, par une critique aisée, d'en blâmer les détails, ils ne sont pas forcés à en admirer l'ensemble; si jamais des sujets plus grands ont fixé leur attention; si, quelque part, le génie a plus d'audace et d'abondance. J'oserai pourtant faire un reproche à M. de Buffon. Lorsqu'il peint la lune déjà refroidie; lorsqu'il menace la terre de sa chaleur et de la destruction de ses habitans: je demande si cette image lugubre et sombre, si cette fin de tout souvenir, de toute pensée, si cet éternel silence n'offrent pas quelque chose d'effrayant à l'esprit? Je demande si le désir des succès et des triomphes, si le dévouement à l'étude, si le zèle du patriotisme, si la vertu même, qui s'appuie si souvent sur l'amour de la gloire, si toutes ces passions, dont les vœux sont sans li mites, n'ont pas besoin d'un avenir sans bornes? Croyons plutôt que les grands noms ne périront jamais ; et quels que soient nos plans, ne touchons point aux illusions de l'espérance, sans lesquelles que resteroit-il, hélas! à la triste humanité?

Pendant que M. de Buffon voyoit chaque jour à Paris sa réputation s'accroître, un savant méditoit à Upsal le projet d'une révolution dans l'étude de la nature. Ce savant avoit toutes les qualités nécessaires aux succès des grands travaux. Il dévoua tous ses momens à l'observation; l'examen de vingt mille individus suffit à peine à son acti

vité. Il se servit, pour les classer, de méthodes qu'il avoit inventées; pour les décrire, d'une langue qui étoit son ouvrage ; pour les nommer, de mots qu'il avoit fait revivre, ou que lui-même avoit formés. Ses termes furent jugés bisarres; on trouva que son idiome étoit rude; mais il étonna par la précision de ses phrases; il rangea tous les êtres sous une loi nouvelle. Plein d'enthousiasme, il sembloit qu'il eût un culte à éta⇒ blir, et qu'il en fût le prophète. La première de ses formules fut à Dieu, qu'il salua comme le père de la nature. Les suivantes sont aux élémens, à l'homme, aux autres êtres, et chacune d'elles est une énigme d'un grand sens, pour qui veut l'approfondir. Avec tant de savoir et de caractère, Linné s'empara de l'enseignement dans les écoles; il eut les succès d'un grand professeur; M. de Buffon a eu ceux d'un grand philosophe. Plus généreux, Linné auroit trouvé dans les ouvrages de M. de Buffon des passages dignes d'être substitués à ceux de Sénèque, dont il a décoré les frontispices de ses divisions. Plus juste, M. de Buffon auroit profité des recherches de ce savant laborieux. Ils vécurent ennemis, parce que chacun d'eux regarda l'autre comme pouvant porter quelqu'atteinte à sa gloire. Aujourd'hui que l'on voit combien ces craintes étoient vaines, qu'il me soit permis à moi, leur admirateur et leur panégyriste, de rapprocher, de réconcilier ici leurs noms, sûr qu'ils ne me désavoueroient pas

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eux-mêmes, s'ils pouvoient être rendus au siècle qui les regrette et qu'ils ont tant illustré.

Pour trouver des modèles auxquels M. de Buffon ressemble, c'est parmi les anciens qu'il faut les chercher. Platon, Aristote et Pline, voilà les hommes auxquels il faut qu'on le compare. Lorsqu'il traite des facultés de l'ame, de la vie, de ses élémens, et des moules qui les forment, brillant, élevé, mais subtil, c'est Platon dissertant à l'Académie; lorsqu'il recherche quels sont les phénomènes des animaux, fécond, mais exact, c'est Aristote enseignant au lycée; lorsqu'on lit ses discours, c'est Pline écrivant ses éloquens préambules. Aristote a parlé des animaux avec l'élégante simplicité que les Grecs ont portée dans toutes les productions de l'esprit. Sa vue ne se borna point à la surface, elle pénétra dans l'intérieur, où il examina les organes. Aussi ce ne sont point les individus, mais les propriétés générales des êtres qu'il considère. Ses nombreuses observations ne se montrent point comme des détails; elles lui servent toujours de preuve ou d'exemple. Ses caractères sont évidens, ses divisions sont naturelles, son style est serré, son discours est plein; avant lui, nulle règle n'étoit tracée; après lui, nulle méthode n'a surpassé la sienne; on a fait plus, mais on n'a pas fait mieux; et le précepteur d'Alexandre sera long-temps encore celui de la postérité. Pline suivit un autre plan, et mérita d'autres louanges;

comme tous les orateurs et les poètes latins, il rechercha les ornemens et la pompe dans le discours. Ses écrits contiennent, non l'examen ? mais le récit de ce que l'on savoit de son temps. Il traite de toutes les substances, il révèle tous les secrets des arts; tout y est indiqué, sans que rien y soit approfondi : aussi l'on en tire souvent des citations, et jamais des principes. Les erreurs que l'on y trouve ne sont point à lui; il ne les adopte point, il les raconte; mais les véritables beautés, qui sont celles du style, lui appartiennent. Ce sont, au reste, moins les mœurs des animaux que celles des Romains qu'il expose. Vertueux ami de Titus, mais effrayé par les règnes de Tibère et de Néron, une teinte de mélancolie se mêle à ses tableaux ; chacun de ses livres reproche à la nature le malheur de l'homme, et par-tout il respire, comme Tacite, la crainte et l'horreur des tyrans. M. de Buffon qui a vécu dans des temps calmes, regarde au contraire la vie comme un bienfait; il applique aussi les vérités physiques à la morale, mais c'est toujours pour consoler; il est orné comme Pline; mais, comme Aristote, il recherche, il invente; souvent il va de l'effet à la cause, ce qui est la marche de la science, et il place l'homme au centre de ses descriptions. Il parle d'Aristote avec respect, de Platon avec étonnement, de Pline avec éloge; les moindres passages d'Aristote lui paroissent dignes de son attention; il

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en examine le sens, illes discute, il s'honore d'en être l'interprète et le commentateur. Il traitė Pline avec moins de ménagement; il le critique avec moins d'égards. Platon, Aristote et Buffon, n'ont point, comme Pline, recueilli les opinions des autres: ils ont répandu les leurs. Platon et Aristote ont imaginé, comme le philosophe françois, sur les mouvemens des cieux et sur la réproduction des êtres, des systèmes qui ont dominé long-temps. Ceux de M. de Buffon ont fait moins de fortune, parce qu'ils ont paru dans un siècle plus éclairé. Si l'on compare Aristote à Pline, on voit combien la Grèce étoit plus savante que l'Italie. En lisant M. de Buffon, l'on apprend tout ce que les connoissances physiques ont fait de progrès parmi nous; ils ont tous excellé dans l'art de penser et dans l'art d'écrire. Les Athéniens écoutoient Platon avec délices; Aristote dicta des lois à tout l'empire des lettres; rival de Quintilien, Pline écrivit sur la grammaire et sur les talens de l'orateur. M. de Buffon vous offrit, Messieurs, à-la-fois le précepte et l'exemple. On cherchera dans ses écrits les richesses de notre langage, comme nous étudions dans Pline celles de la langue des Romains. Les savans, professeurs étudient Aristote; les philosophes, les théologiens lisent Platon; les orateurs, historiens, les curieux, les gens du monde préfèrent Pline. La lecture des écrits de M. de Buffon convient à tous; seul, il vaut mieux que Pline;

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