Images de page
PDF
ePub

ávéc M. Daubenton, son illustre compétiteur, il a été plus loin qu'Aristote. Heureux accord de deux ames dont l'union a fait la force, et dont les trésors étoient communs; rare assemblage de toutes les qualités requises pour observer, décrire et peindre la nature; phénomène honorable aux lettres, dont les siècles passés n'offrent point d'exemple, et dont il faut que les hommes gardent long-temps le souvenir. S'il m'étoit permis de suivre ici M. de Buffon dans la carrière des sciences physiques, nous l'y retrouverions avec cet amour du grand qui le distingue. Pour estimer la force et la durée des bois, il a soumis des forêts entières à ses recherches. Pour obtenir des résultats nouveaux sur les progrès de la chaleur, il a placé d'énormes globes de métal dans des fourneaux immenses. Pour résoudre quelques problêmes sur l'action du feu, il a opéré sur des torrens de flamme et de fumée. Il s'est appliqué à la solution des questions les plus importantes à la fonte des grandes pièces d'artillerie; disons aussi qu'il s'est efforcé de donner plus de perfection aux fers de charrue, travail vraiment digne que la philosophie le consacre à l'humanité, Enfin, en réunissant les foyers de plusieurs miroirs en un seul, il a inventé l'art qu'employèrent Proclus et Archimède pour embraser au loin des vaisseaux. On doit sur-tout le louer de n'avoir pas, comme Descartes, refusé d'y croire. Tout ce qui étoit grand et beau lui paroissoit devoir

être tenté, et il n'y avoit d'impossible pour lui que les petites entreprises et les travaux obscurs, qui sont sans gloire comme sans obstacles.

M. de Buffon fut grand dans l'aveu de ses fautes; il les a relevées dans ses supplémens avec autant de modestie que de franchise, et il a montré par là tout ce que pouvoit sur lui la force de la vérité.

Il s'étoit permis de plaisanter sur une lettre dont il ignoroit alors que M. de Voltaire fût l'auteur. Aussitôt qu'il l'eut appris, il déclara qu'il regrettoit d'avoir traité légèrement une des productions de ce grand homme; et il joignit à cette conduite généreuse un procédé délicat, en répondant avec beaucoup d'étendue aux foibles objections de M. de Voltaire, que les Naturalistes n'ont pas même jugées dignes de trouver place dans leurs écrits.

Pour savoir tout ce que vaut M. de Buffon, il faut, Messieurs, l'avoir lu tout entier. Pourrois-je ne pas vous le rappeler encore, lorsque dans sa réponse à M. de la Condamine, il le peignit voyageant sur ces monts sourcilleux que couvrent des glaces éternelles, dans ces vastes solitudes, où la nature, accoutumée au plus profond silence, dut étre étonnée de s'entendre in terroger pour la première fois. L'auditoire fut frappé de cette grande image, et demeura pendant quelques instans dans le recueillement, avant que d'applaudir,

Si, après avoir admiré M. de Buffon dans toutes les parties de ses ouvrages, nous comparions les grands écrivains dont notre siècle s'honore, avec ceux par qui les siècles précédens furent illustrés, nous verrions comment la culture des sciences a influé sur l'art oratoire, en lui fournissant des objets et des moyens nouveaux. Ce qui distingue les écrivains philosophes, parmi lesquels celui que nous regrettons s'est acquis tant de gloire, c'est qu'ils ont trouvé dans la nature même, des sujets dont les beautés seront éternelles, c'est qu'ils n'ont montré les progrès de l'esprit que par ceux de la raison ; qu'ils ne se sont servis de l'imagination qu'autant qu'il falloit pour donner des charmes à l'étude; c'est qu'avançant toujours et se perfectionnant sans cesse, on ne sait ni à quelle hauteur s'éléveront leurs pensées, ni quels espaces embrassera leur vue, ni quels effets produiront un jour la découverte de tant de vérités, et l'abjuration de tant d'er

reurs.

Pour suffire à d'aussi grands travaux, il a fallu de grands talens, de longues années, et beaucoup de repos. A Montbar, au milieu d'un jardin orné, s'élève une tour antique : c'est là que M. de Buffon a écrit l'histoire de la nature; c'est de là que sa renommée s'est répandue dans l'univers. Il y venoit au lever du soleil, et nul importun n'avoit le droit de l'y troubler. Le calme du

matin, les premiers chants des oiseaux, l'aspect varié des campagnes, tout ce qui frappoit ses sens le rappeloit à son modèle. Libre, indépendant, il erroit dans les allées; il précipitoit, il modéroit, il suspendoit sa marche ; tantôt la tête vers le Ciel, dans le mouvement de l'inspiration, et satisfait de sa pensée; tantôt recueilli, cherchant, ne trouvant pas, ou prêt à produire, il écrivoit, il effaçoit, il écrivoit de nouveau pour effacer encore; rassemblant, accordant avec le même soin, le même goût, le même art, toutes les parties du discours, il le prononçoit à diverses reprises, se corrigeant à chaque fois, et content enfin de ses efforts, il le déclamoit de nouveau pour lui-même, pour son plaisir, et comme pour se dédommager de ses peines. Tant de fois répétée, sa belle prose, comme de beaux vers, se gravoit dans sa mémoire; il la récitoit à ses amis, il les engageoit à la lire eux-mêmes à haute voix en sa présence; alors il l'écoutoit en juge sévère, et il la travailloit sans relâche, voulant s'élever à la perfection que l'écrivain impatient ne pourra jamais atteindre.

Ce que je peins foiblement, plusieurs en ont été témoins. Une belle physionomie, des cheveux blancs, des attitudes nobles, rendoient ce spectacle imposant et magnifique; car s'il y a quelque chose au-dessus des productions du génie, ce ne peut être que le génie lui-même, lorsqu'il com.

pose, lorsqu'il crée, et que dans ses mouvemens sublimes il se rapproche, autant qu'il se peut, de la divinité.

Voilà bien des titres de gloire. Quand ils seroient tous anéantis, M. de Buffon ne demeureroit pas sans éloge. Parmi les monumens dont la capitale s'honore, il en est un que la munificence des Rois consacre à la nature, où les productions de tous les règnes sont réunis, où les minéraux de la Suède et ceux du Potose, où le renne et l'éléphant, le pingoin et le kamichi sont étonnés de se trouver ensemble; c'est M. de Buffon qui a fait ces miracles; c'est lui qui, riche des tributs offerts à sa renommée par les Souverains, par les savans, par tous les naturalistes du monde, porta ces offrandes dans les cabinets confiés à ses soins. Il y avoit trouvé les plantes que Tournefort et Vaillant avoient recueillies et conservées; mais aujourd'hui, ce que les fouilles les plus profondes et les voyages les plus étendus ont découvert de plus curieux et de plus rare, s'y montre rangé dans un petit espace. L'on y remarque sur-tout ces peuples de quadrupèdes et d'oiseaux qu'il a si bien peints; et se rappelant comment il en a parlé, chacun les considère avec un plaisir mêlé de reconnoissance. Tout est plein de lui dans ce temple où il assista, pour ainsi dire, à son apothéose; à l'entrée, sa statue, que lui seul fut étonné d'y voir, atteste la vénération de sa patrie, qui, tant de fois injuste envers ses grands hom

« PrécédentContinuer »