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peindre; on ne passoit pas de l'un à l'autre. Les grands artistes qui devoient la connoissance approfondie des arts au philosophe de Stagire, ne se doutoient pas encore de toutes les obligations qu'ils auroient un jour à la philosophie.

Le sage Fontenelle, qui heureusement ne s'étoit annoncé que par des talens agréables, prêta des charmes à quelques parties des sciences; il en inspira le goût aux lecteurs même les plus frivoles, et bientôt, citoyen de deux républiques opposées, il en rapprocha les esprits; il apprit aux uns et aux autres à réunir leurs richesses différentes. La connoissance de la nature devint pour la poésie une source de beautés nouvelles. L'auteur de la Henriade orna ce poème philosophique et plusieurs de ses ouvrages des découvertes de Newton. Les sociétés savantes perdirent quelque chose de leur ancienne austérité; il régna dans leurs écrits une éloquence noble, simple et modeste, comme doit être celle des hommes qui ne veulent parler qu'à la raison. Enfin, l'auteur de la Préface immortelle de l'Encyclopédie, l'auteur de l'Histoire naturelle décorèrent de leurs noms la liste de l'Académie, et le génie des arts fut flatté de s'asseoir à côté du génie qui avoit enrichi son siècle de nouvelles vérités.

Vous avez, Monsieur, fait faire des progrès à une science qui, dans tous les pays et dans tous les âges, a rencontré plus d'obstacles que d'encouragemens. L'homme veut vivre, et vivre heu

reux. Pour prévenir ou soulager les maux auxquels sa foible machine est condamnée, pour prévenir ou consoler les chagrins qu'il doit aux passions vicieuses ou trop exaltées, l'étude de l'homme physique et moral devroit être la plus assidue de ses études. Il semble que ceux qui ont sur nous quelqu'empire devroient nous répéter sans cesse ces mots de l'oracle de Delphes: Connois-toi. Cependant les préjugés de toute espèce se sont opposés long-temps à cette connoissance ; et ce que la superstition et l'autorité ont peutêtre le plus défendu à l'homme, c'est de se connoître.

L'ancienne et la moderne Asie ont porté jusqu'au culte le respect pour les morts. Chez les Grecs, négliger de les inhumer étoit un crime quelquefois puni par la perte de la vie. Il y a encore des sectes religieuses où les prêtres qui veulent con server du moins l'empire des tombeaux, en défendent l'entrée à l'anatomie. Ce n'est même que depuis quelques siècles qu'on lui abandonne les cadavres de deux espèces d'hommes qui à la vérité ne sont pas rares dans nos sociétés mal ordonnées, des criminels et des misérables.

Quel est donc cet instinct mal raisonné qui nous attache si fortement aux restes inanimés de notre être? Et pourquoi la société n'encourage-telle pas une science dont la nature a rendu l'e tude rebutante?

Ces membres flétris et livides qu'il faut obser

ver de si près et si long temps blessent cruellement nos sens; il faut vaincre le degoût qu'ils nous donnent, et cette victoire difficile à tous les hommes, est pour quelques-uns d'eux impossible.

Veut-on interroger dans les animaux la nature vivante? Ces êtres qui sont souvent les victimes de notre intérêt ou de notre amusement, et qui alors ne nous inspirent qu'une foible pitié, nous font éprouver une pitié déchirante lorsqu'il faut diviser leurs membres sensibles, entendre leurs gémissemens continus, voir tous leurs mouvemens exprimer la plainte, et cependant prolon ger et ranimer leurs douleurs.

Quelle passion peut donc surmonter des émotions si terribles? Cette curiosité qui, dans les hordes sauvages, fait chercher à l'homme quelques connoissances utiles à sa conservation, et qui, dans les sociétés policées, fait chercher à un petit nombre d'hommes des vérités qui seront utiles à tous les siècles.

Cet amour de la vérité, ce besoin irrésistible de la découvrir, est la passion dominante des vrais philosophes; elle s'empare de leur ame; elle change ou dirige leur caractère; elle fait taire les autres passions, et même ce désir vague de la renommée, ce besoin d'occuper de soi l'âge présent, qui a si souvent écarté l'homme des routes de la raison et de la vertu.

C'est cette passion, Monsieur, qui vous a conduit dans vos travaux.

Vous êtes peut-être celui des anatomistes qui a le plus comparé l'homme avec lui-même, c'est à-dire, ce qu'il est dans ses différens âges. Vous avez fait une étude heureuse de plusieurs des organes de nos sens. Personne n'avoit vu aussi bien que vous cette correspondance établie par la nature entre ces organes extérieurs qui sont les instrumens de l'ame, et ces organes intérieurs qui sont le principe de la sensibilité et de la vie.

Vous avez découvert dans plusieurs espèces d'animaux des muscles, des ressorts inconnus avant vous. Les bornes que je dois prescrire à ce Discours ne me permettent pas de m'étendre sur tous les succès de vos recherches ingénieuses, et j'y ai regret; l'exposition de ses découvertes est l'éloge du philosophe, comme le récit de ses actions est l'éloge de l'homme de bien. Mais vos découvertes, Monsieur, déjà si connues des sa⚫ vans, seront déposées dans le beau monument que vous érigez à la science de l'anatomie. C'est avec le même regret que je ne dis rien des excellens articles dont vous avez enrichi l'Encyclopé die, et de plusieurs Mémoires sur différentes parties de l'Histoire naturelle, qui, avant l'âge de vingt-trois ans, vous avoient mérité une place à l'Académie des Sciences.

Le désir d'être utile, qui s'est allié en vous à l'amour de la vérité pour vous soutenir dans vos travaux, les a quelquefois interrompus; vous avez employé une partie de votre temps à faire

des démarches et des écrits pour hâter l'établissement de la Société Royale de Médecine. Le projet que vous proposiez, de concert avec M. de Lassone, fut adopté promptement par un ministre dont le génie, les connoissances immenses toutes les actions, toutes les pensées, tous les vœux n'ont eu qu'un but, le bonheur de sa patrie et du monde.

Il savoit que donner aux hommes la facilité de se communiquer leurs idées, c'est hâter dans tous les genres la marche de l'esprit humain. La correspondance de la Société Royale avec les plus habiles médecins de l'Europe, a fait mieux connoître les influences que pouvoient avoir sur la santé l'air que nous respirons, le sol que nous cultivons, nos alimens, les différens emplois de notre vie. Elle a éclairé sur les symptômes, la marche, les retours de plusieurs maladies; elle apprit à démasquer l'empyrisme le plus artifi cieux; enfin, cette science, à qui la pusillanimité infirme demande trop, à qui l'ignorance robuste refuse tout, a fait des progrès comme toutes les autres sciences; elle ne nous promet plus de miracles; elle a augmenté le nombre de ses secours; elle sait mieux qu'elle ne le savoit autrefois nous servir, se défier d'elle-même, et quand il le faut nous livrer à la nature.

Quel autre que celui qui avoit eu tant de part à l'établissement de la Société Royale, quel autre que celui dont le public aimoit la manière d'écrire

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