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et respectoit les connoissances, devoit être le secrétaire de cette nouvelle Académie? Les acclamations de ceux qui alloient vous entendre dans les salles où vous avez long-temps honoré la place de professeur, ces acclamations vous appeloient à une place où il faut réunir le double mérite des lumières et de l'éloquence.

Il n'est pas permis à celui qui est chargé de faire l'extrait des savans ouvrages de ses confrères, de n'avoir que des connoissances superficielles ; c'est un juge et un juge favorable : il faut que sa justice et sa bienveillance soient éclairées. Les savans écrivent souvent pour leurs égaux. L'auteur d'un extrait écrit toujours pour le public; il doit en abrégeant rendre plus évidentes les vérités et les erreurs; on exige qu'il répande un grand jour sur un espace borné, qu'il épargne le temps aux hommes instruits et une attention pénible à ceux qui veulent s'instruire.

La place de secrétaire des sociétés savantes impose encore un genre d'ouvrage que Fontenelle a porté à sa perfection; ce sont les éloges historiques. L'auteur est un philosophe qui raconte et non pas un orateur qui veut émouvoir; toute exagération lui est défendue; on lui demande des détails choisis et de la vérité; on veut qu'il des·· sine correctement ses personnages, et non qu'il les peigne avec des couleurs vives et brillantes: mais plus il s'interdit les figures et les mouvemens de l'art oratoire, plus il doit se parer de tuotes les richesses de la raison. Il faut qu'on re

marque la justesse et la nouveauté de ses pensées plus que le bonheur de ses expressions; enfin, les réflexions sont le genre d'ornemens qui lui est permis, et, comme tous les ornemens, elles ne doivent pas être prodiguées; il doit savoir analyser les esprits et connoître le cœur humain. Le lecteur aime à trouver dans ces vies abrégées le caractère des savans et le degré d'estime qui leur est dû; il veut vivre un moment avec eux et voir quelles passions ont étendu ou borné leurs talens. Voilà, Monsieur, une partie du mérite des éloges de l'illustre secrétaire actuel de l'Académie des Sciences, et des vôtres.

Vos éloges sont aussi l'histoire de la science et des progrès qu'elle a faits de nos jours. Ce qui la caractérise, dans ce siècle, c'est d'avoir perfectionné les instrumens dont elle peut faire usage; c'est d'en avoir inventé de nouveaux; c'est d'avoir créé des agens, sans lesquels l'industrie et la curiosité humaine auroient des bornes trop resserrées : c'est avec les secours de ces instrumens qu'elle a découvert un nouvel astre planétaire, et mieux connu les autres ; c'est par un art tout nouveau qu'elle a donné un nouveau degré d'intensité au froid et à la chaleur. Le diamant s'évapore, le mercure est glacé, la foudre est enlevée à la nue; enfin, c'est par des agens de son invention, que la doctrine des quatre élémens est reconnue une erreur : l'homme les divise, les réunit et les change.

L'empire de la science n'est plus un vaste désert où l'on trouvoit quelques sentiers pénibles, marqués par les pas des géans; c'est un pays cultivé, semé de toutes parts de routes faciles qui conduisent de l'une à l'autre, et que les habitans peuvent parcourir sans fatigue. Dans les siècles à venir, ceux qui reculeront les limites de cet empire seront peut être des hommes moins extraordinaires que leurs prédécesseurs. Avec le secours des agens nouveaux, des instrumens perfectionnés, quiconque observera la nature, verra tomber quelques-uns de ses voiles.

Eh! sans cette réflexion, pourroit-on se con. soler de la perte des grands hommes, tels que celui que regrettent nos académies, la France et l'Europe entière? M. de Buffon est un de ces génies rares, que toutes les sortes d'esprit peuvent admirer. L'analyse éloquente que vous venez de faire de ses ouvrages, me dispense d'en parler avec quelque étendue; mais qu'il me soit permis de m'arrêter un moment sur le genre de philosophie et de beauté qui en font le caractère,

Après avoir vu tout ce qu'avoient écrit les naturalistes anciens et modernes ; après avoir fait lui-même beaucoup d'expériences; après avoir médité long-temps sur une multitude de faits isolés, M. de Buffon en saisit les rapports, s'éleva à des idées générales, et donna la théorie de la terre; elle fut suivie de l'histoire de l'homme et des animaux, et il enrichit par-tout cet ou

vrage de grandes vues et des vérités de la philo sophie. Dans la peinture de l'enfance, il expose la manière dont nous recevons nos idées, l'origine de nos passions, de notre raison; et son style noble et touchant, jette sur la description de ce premier âge l'intérêt le plus doux et le plus tendre.

Peint-il la révolution qui se fait à l'âge de la puberté, dans notre organisation? Il n'oublie pas celle qui se fait dans le caractère; l'ame est changée avec les organes: la peinture de ce moment est vive et animée; la philosophie y répand la décence.

L'homme jouit de ses forces physiques et de sa raison; ses passions et ses muscles ont leur énergie; et M. de Buffou peint cet âge viril avec les lumières d'un philosophe, profond dans la connoissance du coeur humain.

Enfin, après une durée que le chagrin abrège presque toujours, l'homme éprouve des pertes physiques et morales; et le tableau de sa déca dence est un de ceux où il y a le plus d'idées fines, neuves et consolantes.

Cet homme, que vous avez vu dans tous les âges, on vous le montre dans tous les climats; Vous aimez à le suivre sous les zones torride glacées, tempérées, et à voir le ciel qui l'environne, le sol qui le nourrit, déterminant sa couleur, ses traits, ses habitudes, sans cependant altérer ses penchans qui sont par-tout les mêmes,

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et que la philosophie et les lois peuvent diriger vers le bonheur de l'espèce entière.

Vous trouverez, dans tous ces tableaux, la couleur propre au sujet, et ce mérite se fait plus remarquer encore dans d'autres parties de l'histoire naturelle.

Quelle simplicité noble et touchante dans les descriptions de ces animaux, compagnons sensibles de nos travaux, de nos jeux et de nos dangers! M. de Buffon nous inspire pour eux une reconnoissance mêlée d'une sorte d'estime, et je ne sais quoi de tendre que l'égoïsme lui-même ne se défend pas toujours d'éprouver.

Quelle énergie facile et sublime dans le tableau de ce tigre, odieux à tous les êtres, ne voyant que sa proie dans tout ce qui respire, et ne jouissant du sentiment de ses forces, que par l'éten due de ses ravages!

Le style de M. de Buffon a plus de grandeur et de majesté dans la description du lion, que la nécessité force à la guerre; mais ennemi sans fraude, pardonnant souvent à la foiblesse, quelquefois martyr de la reconnoissance.

et

On relit, on médite la description de cet animal si puissant et si ingénieux, qui entend nos langages, qui conçoit l'ordre de nos sociétés et en distingue les rangs, qui montre même l'idée et le sentiment de la justice : le style de cette des cription n'est point élevé, il est élégant et simple; c'est le portrait d'un sage.

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