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Celui qui a dessiné avec des traits si fiers et si sublimes, le lion et le tigre, est-il le même qui a peint avec des traits si doux et des couleurs si aimables, la beauté et la grâce de la gazelle, le retour du printemps et de l'amour, le chant de la fauvette et les caresses de la colombe?

Dans ces descriptions, M. de Buffon saisit toujours ce qu'il y a de plus particulier dans le caractère des animaux ; il le fait ressortir, et chacun de ses portraits a de la physionomie ; il y mêle toujours quelque allusion à l'homme; et l'homme, qui se cherche dans tout, lit avec plus d'intérêt l'histoire de ces êtres dans lesquels il retrouve ses passions, ses qualités et ses foiblesses.

M. de Buffon explique l'origine physique des idées, des sentimens, de la mémoire, de l'imagination des animaux, avec la même philosophie qu'il a montrée dans l'histoire de l'homme; c'est à la perfection d'un sens, ou à l'imperfection d'un autre, qu'il attribue autant qu'à l'organisation, leur genre de vie, leur caractère, le degré et l'espèce de leur intelligence. Après quelques pages d'une métaphysique digne de Loke ou de Condillac, il tombe quelquefois dans des contradictions et des obscurités. Souvenons-nous que, depuis la mort de Socrate, les philosophes de la Grèce se sont enveloppés des ténèbres de la double doctrine, et que celui qui a égalé leur génie, a imiter leur prudence.

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S'il excelle dans la description des animaux, il

n'est pas moins admirable lorsqu'il peint la surface de la terre. Jamais l'éloquence descriptive n'a été plus loin que dans les deux vues de la nature; c'est le spectacle le plus magnifique que l'imagi nation, s'appuyant sur la philosophie, ait présenté à l'esprit humain. Lucrèce et Milton n'auroient pas fait une plus belle et plus riche description, et ils n'y auroient pas mis antant de philosophie. Là, le grand art du peintre n'est que le choix des circonstances et l'ordre dans lequel elles sont placèes; ce sont toujours de grandes choses exposées avec simplicité tous les détails sont grands, l'ensemble est sublime; l'envie a voulu y voir de la parure, il n'y a a que de la beauté.

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Celui qui le premier avoit porté de grandes vues et des idées générales dans l'histoire naturelle, celui qui avoit retrouvé le miroir d'Archimède, et fait une foule d'heureuses expériences, celui qui avoit fait plusieurs découvertes, qu'il devoit à sa sagacité plus qu'à ses etudes assidues, a été bien excusable d'avoir porté trop loin le talent de généraliser, et d'avoir eu quelquefois un sentiment exagéré des forces de l'esprit humain. Ce génie actif et puissant devoit se trouver trop resserré dans les bornes que la nature nous a prescrites. Il falloit un nouveau monde à ce nouvel Alexandre. Rapide dans ses idées, prompt dans ses vastes combinaisons, impatient de con, noître, pouvoit-il toujours s'asservir à la marche lente et sûre de la sage philosophie ?

Pardonnons - lui de s'être élancé d'un vol au sommet de la montagne vers lequel tant d'autres se contentent de gravir. C'est de là que, portant ses regards dans un espace immense, il a vu la nature créer, développer, perfectionner, altérer, détruire et renouveler les êtres; il l'a comparée avec elle-même, il a vu ses desseins, et a cru voir les moyens qu'elle emploie. De la hauteur où il s'étoit placé, cherchant à découvrir les causes de l'état du globe, les propriétés premières, et les métamorphoses des substances qui le composent ou qui l'habitent, il s'est précipité dans cet abîme des temps, dont aucune tradition ne révèle les phénomènes, où le génie n'a pour guide que des analogies incertaines, et ne peut former que de spécieuses conjectures. Sans doute la doctrine de la formation des planètes et de la génération des êtres animés, sera citée au tribunal de la raison; mais elle y sera citée avec les erreurs des grands hommes. Les idées éternelles de Platon, les tourbillons de Descartes, les monades de Leibnitz, tant d'autres moyens d'expliquer toutes les origines, tous les mouvemens, toutes les formes, n'ont point altéré le respect qu'on a conservé pour leurs inventeurs, parce que leurs brillantes hypothèses ont prouvé la force de leur imagination et celle de leur raisonnement.

Nous pouvons refuser d'adopter les systèmes de M. de Buffon; mais soyons justes sur la manière dont il les expose et dont il les défend; il ne les

enveloppe d'aucun nuage; il est impossible de les présenter avec plus de modestie. Il ne les donne d'abord que comme des suppositions. Il commence par les appuyer des preuves les plus foibles; de plus spécieuses succéderont bientôt ; il en arrivera de plus puissantes, il les environne de vérités toutes se lient, se fortifient l'une par l'autre ; la dialectique est parfaite, le style est toujours majestueux, clair et facile; c'est celui que la raison pourroit choisir pour parler aux hommes avec autorité.

Quelque degré de vraisemblance que le génie de M. de Buffon ait pu prêter à ses systèmes, gardons-nous de croire qu'ils inspirent aujourd'hui une aveugle confiance; nous ne sommes plus au temps où les erreurs se propageoient sous les auspices d'un grand homme. Toutes les opinions sont discutées; on distingue dans un systême ce qu'il y a de vrai ou de faux; si l'expérience ne le soutient pas, sa foiblesse est reconnue, et on n'a pu la reconnoître sans acquérir de nouvelles lumières. Rendons grâces aux hommes de génie qui ont imprimé du mouvement à leur siècle; pardonnons-leur des illusions, lorsqu'en s'écartant de la vérité, ils ont augmenté le désir de s'occuper d'elle. M. de Buffon a inspiré une nouvelle ardeur pour toutes les sciences qui tiennent à l'étude de la nature. Il a rendu plus commun le plaisir de la contempler et celui d'en jouir; il nous a fait partager son enthousiasme

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pour elle nous la regardons aujourd'hui avec les yeux attentifs ou charmés du philosophe ou du poète; nous lui découvrons de nouvelles beautés, quelque chose de plus majestueux; nous lui arrachons tous les jours quelques secrets, dont nous nous flattons de faire usage.

M. de Buffon a été comblé des faveurs de la renommée; on peut le compter dans le petit nombre des hommes qui ont reçu de leur siècle le tribut d'estime et de reconnoissance qu'ils avoient mérité. S'il eût cultivé un autre genre de, philosophie, peut-être auroit-il été moins heureux. On aime à se délivrer de l'ignorance de la nature, qui ne peut être utile à personne, tandis qu'il y a encore des hommes qui veulent maintenir l'ignorance morale. Le physicien a des admirateurs, et ses critiques ne relèvent que ses fautes. Le phylosophe, dont les études ont pour objet les droits de l'homme et les règles de la vie, reçoit de son siècle plus de censures que d'éloges; quand le temps commence à rendre populaires ses maxiines qui combattent l'injustice, il a moins de détracteurs, mais il conserve des ennemis.

M. de Buffon, dans ses jardins de Montbar cherchant des vérités ou de grandes beautés, rencontrant les unes ou les autres, aimé de quelques amis qui devenoient ses disciples, cher à sa famille et à ses vassaux, goûtoit tous les plaisirs d'une vieillesse occupée, qui succède à de beaux jours qu'ont remplis des travaux illustres.

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