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S'il quittoit sa retraite délicieuse, c'étoit pour revoir ce Jardin royal, ce Cabinet d'histoire natu relle, qui lui doivent ce qu'ils possèdent de plus précieux. Les bâtimens qui renferment une partie de ces trésors avoient été embellis et agrandis par ses soins et même par ses avances. Les merveilles des trois règnes y sont déposées dans un ordre qui semble être celui que la nature indiqueroit ellemême. Ce Jardin, ce Cabinet sont devenus une bibliothèque immense, qui nous instruit toujours, et ne peut jamais nous tromper. Là, M. de Buffon, jetant un coup-d'œil sur tout ce qui l'environnoit, pouvoit jouir, comme le czar Pierre, du plaisir d'avoir repeuplé et enrichi son Empire. Il y recevoit les visites et les hommages des savans, des voyageurs, des hommes illustres dans tous les genres, et même des têtes couronnées. Plusieurs lui apportoient ou lui envoyoient des animaux, des plantes, des fossiles, des coquillages de toutes les parties de la terre, des rivages de toutes les mers. Aristote, pour rassem bler sous ses yeux les productions de la nature, avoit eu besoin qu'Alexandre fit la conquête de l'Asie; pour rassembler un plus graud nombre des mêmes productions, que falloit-il à M. de Buffon? Sa gloire.

DISCOURS

Prononcé le 29 décembre 1788, par M. le chevalier DE BOUFFLERS, lorsqu'il fut reçu à la place de M. DE MONTAZET, archevêque de Lyon.

SUR LA CLARTÉ DU STYLE.

Messieurs,

E parcourois naguère ces plages désolées dont le premier aspect offre l'emblême et la preuve de l'esprit inculte de leurs habitans. J'aimois à péné trer dans ces pays si peu connus, si mal observés, où la main de la nature a tout fait, où la main de l'homme n'a rien changé; j'y conversois avec ces hommes simples, qui, réduits aux seuls besoins physiques, bornés à des notions pour ainsi dire animales, ignorant jusqu'aux noms d'arts et de sciences, paroissent condamnés à des ténèbres éternelles. Hélas! jusqu'à présent ils n'ont point reçu de nous le bienfait que l'obscurité doit attendre de la lumière; notre cupidité s'est fait unė étude barbare d'ajouter encore à leurs erreurs. Vainqueurs de l'Océan (c'est le nom qu'ils nous donnent) vainqueurs, dis-je, de cet Océan qui

les séparoit de nous, possesseurs de richesses qui leur étoient inconnues, distributeurs avares de mille dons perfides, nous leur sommes apparus comme des Dieux, mais comme des Dieux malfaisans qui viennent exiger des victimes humaines.

Voilà les hommes que je quitte, et je me trouve au milieu de ceux dont les plus éclairés attendent et reçoivent à chaque instant de nouvelles lur mières, de ceux à qui la pensée doit ses plus riches trésors et ses plus brillantes conquêtes. J'ai vu jusqu'où l'esprit humain peut tomber; je vois jusqu'où il peut s'élever; j'ai vu ce que la nature avoit fait de l'homme, je vois ce que l'homme a fait de la nature. Dans ces brûlantes régions, la foible étincelle de raison que chaque homme recut en naissant, ne sert qu'à lui seul; elle suffit à peine à le conduire, pendant le cours d'une vie oisive, dans le cercle étroit de ses besoins, et s'éteint avec lui, sans laisser aucune trace. Dans nos climats, au contraire, où l'art d'écrire et l'impression transmettent les idées à l'absence et à l'avenir, l'esprit d'un homme peut appartenir à tous, et celui de tous à chacun. Riches en naissant du bien de nos ancêtres et de celui de nos frères, nous partons du point où les autres sont parvenus, et toujours une nouvelle ambition, toujours de nouvelles entreprises, toujours de nouveaux secours accroissent notre domaine.

C'est à vos travaux, Messieurs, qu'il appartient sur-tout d'étendre et d'assurer la gloire du génie,

en fixant le destin de notre langue, en la garan tissant des caprices des peuples et des vicissitudes des temps, en lui conservant avec la pureté qu'elle doit à vos savantes observations, cette clarté naïve où se retrace encore la franchise de nos ancêtres. De tels soins vous furent confiés par un grand Ministre, qui, sourd aux murmures de son siècle, briguoit l'admiration des siècles à venir, et qui voulut, en éternisant notre langue, éterniser son nom. Pour un aussi grand dessein, il falloit donner des lois à la pensée, qui de sa nature est libre, et les faire suivre à la postérite, qui n'a point de maître. Ambitieux de ce nouveau triomphe, il se servit d'un nouveau moyen; il recourut à cette opinion générale qu'il avoit si souvent bravée, et conçut l'idée d'un tribunal qui, pour régler cette opinion dans tout ce qui tient au langage, la consulteroit ; qui, en écoutant le public, s'en feroit écouter, et qui, soigneux, dans ce tumulte de voix discordantes et mal articulées, de compter les avis, de les peser, et sur-tout de les rédiger, sauroit opposer la plus saine partie de la multitude à la multitude même, la maîtriser par le raisonnement, et lui dicter des arrêts qu'ellemême auroit prononcés.

Les vues de Richelieu furent secondées après

lui par les soins d'un célèbre Magistrat, dont le nom vous est cher à plus d'un titre, et par la constante protection de ce Monarque qui montra pendant si long-temps à l'Europe étonnée un front

digne de toutes les couronnes, avec une ame supérieure à toutes les fortunes. Il appartenoit à de telles mains de donner une impulsion durable. La langue françoise épurée, enrichie, et soumise à des principes fixés par la raison générale, et à des règles tirées de sa propre organisation, devient non-seulement commune à tout le Royaume, mais familière à toute l'Europe, et ne sentira plus que les bienfaits du temps, au lieu de ses outrages. Par une conséquence naturelle, le talent, livré autrefois à ses propres caprices, suivit le sort de la langue, et reçut des lois; et le génie luimême, semblable à Phaeton mieux instruit par son père, apprit que dans la région inaccessible où il aime à s'égarer, il est encore des écueils qu'il doit éviter. Désormais l'un éclairé dans sa marche, et l'autre averti dans son vol, n'ont plus rien à redouter du retour de la confusion et de la barbarie; et ce que les utiles inventeurs de l'imprimerie avoient fait pour étendre et pour conserver les productions de l'esprit humain, votre immortel fondateur l'a renouvelé dans un ordre plus sublime, pour étendre et pour assurer à jamais l'empire du bon goût et de la saine critique.

Telle est, Messieurs, la sublime tâche qui fut confiée à de si dignes mains. Et quelles sont mes forces pour les joindre aux vôtres, pour suivre vos pas dans une carrière que vous applanissez, il est vrai, mais que vous étendez à toute heure? Quoi qu'il en soit, ce n'est pas ici pour moi l'instant

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