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sieurs têtes augustes, couvre l'Europe d'un deuil universel, et plonge Lyon dans la misère; tantôt une loi somptuaire, ou de nouvelles manufac tures établies chez un peuple étranger, réduit chez nous les salaires et la subsistance de cent mille artisans, et disperse les instrumens vivans de notre richesse chez nos voisins et chez nos rivaux; tantôt les fléaux du ciel, et les fléaux politiques, souvent plus terribles encore, répandant le trouble, l'inquiétude et la défiance dans les esprits, amènent à leur suite une économie à laquelle, pour le bonheur commun, il falloit ne jamais renoncer, ou ne jamais revenir. Alors tout ce que les grands et les riches croient devoir retrancher sur leurs dépenses superflues, se trouve en partie retranché du nécessaire des utiles habitans de la ville de Lyon; et plus d'une fois, sans la main protectrice de M. l'archevêque, cette précieuse colonne de notre commerce étoit prête à s'écrouler. Dans ces momens de crise, prompt à se montrer au milieu de son peuple affligé, ses discours promettoient des temps plus heureux, ses bienfaits permettoient de les attendre; et pendant que ses revenus sembloient doubler

pour les aumônes, sa touchante éloquence attiroit de nouveaux secours, et son génie préparoit des ressources imprévues. C'est ainsi que, dans la commune détresse, il devenoit le trésor commun, et que la vertu d'un homme balançoit une calamité publique.

On dira peut-être que l'orgueil pourroit se parer de tels sacrifices. Eh bien! qu'il s'en pare, et nous lui applaudirons. Mais, pour nous assurer des motifs de M. l'archevêque de Lyon, suivons-le dans ces tristes refuges de la pauvreté souffrante, sur lesquels les regards des riches se sont de tout temps si rarement abaissés. Il veut tout voir, tout entendre, appaiser tous les murmures, écouter toutes les plaintes, satisfaire à toutes les demandes; et du moins opposer tous les biens qu'il peut faire, à tous les maux qu'il ne peut soulager. Aussi voyez son image si religieusement conservée dans ces lieux de douleur, et qui les console encore par le souvenir du consolateur qu'elle retrace. Long-temps attendue, elle paroît enfin. Aussi-tôt on se lève, on se traîne de toutes parts à sa rencontre, on lui tend des mains défaillantes; elie est arrosée de larmes de joie par des yeux prêts à s'éteindre, et des voix mourantes la bénissent. Mais bientôt le désordre succède à l'ivresse; on ne veut point perdre de vue un objet aussi cher, on le demande, on le réclame pour toutes les salles; on se presse, on se pousse, et les plus malades ont retrouvé des forces pour se le disputer. Ces pieux transports, si tumultueusement exprimés, avoient un motif, et j'oserai le dire. ... Un jour que, dans ces tristes asiles, il avoit porté ses bienfaits et sa vigilance accoutumés, il crut encore apercevoir un mécontentement général: il en demande la raison. Tous

les lits étoient infestés par de fâcheux insectes, ennemis trop communs du repos des hommes. Il consulte; point de remède : il faudroit des lits, de fer, et la dépense seroit énorme. On calculoit. Il ne calcula point: tous les lits furent bientôt changes; et le retour du sommeil, dans une demeure où il est si nécessaire, est encore un de ses bienfaits.

Bonté touchante, secourable inquiétude, be soin délicieux des plus belles ames, soyez à jamais la base de la morale universelle, le lien de tous les peuples, et le ralliement de toutes les religions! S'il vous falloit des récompenses, ne craignez point d'en manquer. Les hommes peuvent être ingrats, mais le genre humain ne l'est point. Et si l'on conserve dans la ville de Lyon un si tendre respect pour l'image de son vertueux bienfaiteur, quels hommages réservons-nous à la vivante et sensible image (1) de la bienfaisance même qui, des rives paisibles du plus beau lac du monde, est venue au secours de tout ce qui souffre parmi nous, telle que la fable nous dépeint les intelligences supérieures qui se plaisoient à porter sur la terre leurs conseils et leurs bienfaits.

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Mais la jalousie survit quelquefois long-temps à ceux qui l'ont fait naître ; et je crois l'entendre demander sourdement pourquoi M. l'archevêque de Lyon, avec des vertus aussi douces, aussi

(1) Madame Necker.

propres à faire le bonheur des hommes, ne futil point heureux lui-même ? pourquoi n'a-t-il point préféré la paix à tant de contentions, à tant de débats dont les tribunaux ont si souvent retenti? pourquoi a-t-il passé volontairement, au milieu des orages, tant de jours qui pouvoient être plus sereins? S'il falloit une apologie à la vertu, je saurois montrer M. l'archevêque de Lyon sortant vainqueur de toutes ses discussions, sans que jamais on ait imputé ses triomphes à la faveur, que l'envie croit être d'un si grand poids dans la balance même de la justice. Qu'en est-il résulté? Son faste ou sa fortune en furent-ils accrus? Mais non; toujours simple dans sa noblesse, il ne connut de luxe que pour la bienfaisance: mais en mourant, il ne laissa que son nom et ses exemples. J'en atteste ses parens chéris et déshérités, qui, dans ce moment, fiers de sa gloire, émules de ses vertus, jouissent de voir le patrimoine public accru de l'héritage qu'ils avoient le droit d'attendre ; et leur amour a fait graver sur le marbre de sa tombe, un fait qui n'eût peut-être été connu que par les murmures de tant d'autres familles.

Gardons-nous donc d'accuser M. l'archevêque de Lyon; et respectons plutôt cette invariabilité dans ses principes, qui lui fit toujours mettre son devoir avant sa tranquillité. Toute place en effet n'est-elle pas un dépôt dont on doit compte à son successeur? Il faut le transmettre, non

seulement tel qu'on le reçut, mais tel qu'on auroit dû le recevoir : c'est un empire qu'on ne doit pas se contenter de bien gouverner, et qui vous impose encore l'obligation de défendre ses frontières, et de le rétablir dans ses anciennes limites, par un juste respect pour les conventions primitives qui les avoient marquées. En tolérant même les anciens abus, on leur prête le funeste secours du temps et de l'exemple; on préfère son repos à l'ordre public; et l'on manque peut-être à la sainteté des lois, lorsqu'on ne leur demande pas tout ce qu'on en doit attendre.

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M. de Montazet, toujours calme au milieu de tant d'agitations, sut au moins garantir son cœur et son esprit de leur nuisible influence; la nature l'avoit formé pour la société, et s'il n'y avoit pas trouvé de charmes, il y en auroit moins répandu. Tout ce qui le connoissoit admiroit en lui un ton aussi simple qu'élégant, une politesse à-la-fois noble et naturelle, une conversation également solide, facile et prudente, et souvent même une plaisanterie délicate, dont les traits toujours sûrs, toujours fins, mais toujours doux, étoient applaudis même par ceux qui les recevoient. Mais à mesure que le cercle devenoit plus étroit, son cœur sembloit s'épanouir, digne à-la-fois et capable de la confiance la plus entière; il méri toit trop d'amis pour n'en pas avoir, et il eut les amis qu'il méritoit : il trouvoit dans leur estime un encouragement à la vertu, dans leur ten

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