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dresse une consolation à ses peines, et dans leur entretien un délassement de tant de devoirs don't il se faisoit une sérieuse affaire, et de tant d'affaires dont il se faisoit d'impérieux devoirs. Tel est en effet le charme attaché à l'amitié au milieu de tous nos mécontentemens, au milieu de notre indignation même la plus juste, cette sage passion plaide encore au fond de notre cœur la cause du genre humain, et nous fait toujours voir, soit en réalité, soit en illusion, le degré de perfection dont l'homme est susceptible. Ah! sans doute elle ne trompoit point M. l'archevêque de Lyon! Aussi quand ses regards, fatigués de voir toujours des mécontens, des envieux, des adversaires, et même des ennemis, ne lui montroient plus que du mal dans le monde, il les tournoit vers son ami le plus cher (1), et il pardonnoit à l'humanité.

Les belles-lettres se joignirent à l'amitié pour travailler au bonheur de M. de Montazet; adopté par elles dès ses plus jeunes années, il ne leur fut jamais étranger: en vain sembloit-il se refuser à leur attrait, elles entrèrent d'elles-mêmes dans toutes ses occupations et dans toutes ses entreprises compagnes assidues de ses travaux, elles veilloient à sa gloire au milieu des assauts qu'il eut à soutenir ou à livrer, et prenoient toujours le soin d'aiguiser ou de polir ses armes vic

(1) M. le duc de Nivernois.

torieuses. M. de Montazet avoit paru, dans ses premiers essais, également propre à tous les genres son esprit, mûr dès son printemps, étoit encore jeune dans son automne; et ses talens sûrs et modestes ne cherchèrent et ne manquèrent jamais l'occasion de se montrer dans tout leur éclat. On n'a point oublié, depuis plus de trente ans, cette chaleur communicative, cette douce éloquence avec laquelle il peignoit les sentimens et les besoins de la province de Bourgogne devant un jeune prince dont il prédisoit dès-lors les utiles et brillantes destinées; discours mémorable, ainsi que plusieurs autres du même auteur, où les vertus empruntent l'organe du sentiment, où la force est toujours adoucie par la grâce, où la raison, sûre de convaincre, préfère de persuader.

Mais M. l'archevêque de Lyon, par un sacrifice dont un si rare talent est encore plus rarement capable, se renferma presque tout entier dans le genre que l'austérité de ses fonctions lui prescrivoit; et, par une conséquence naturelle, la plupart de ses ouvrages, étrangers aux goûts et aux connoissances de la plupart de ses lecteurs, auroient pu mériter la célébrité sans l'obtenir; mais à coup sûr ils n'ont pu l'obtenir sans la mériter. Si par-tout il fait disparoître l'aridité des matières qu'il traite, s'il attache ses lecteurs, même les plus frivoles, à l'écrit qu'ils avoient peut-être hésité d'ouvrir, s'il mêle un charme imprévu aux choses qui en paroissent le moins susceptibles;

c'est moins l'ouvrage de l'art que le triomphe de la raison: ce ne sont point des fleurs qu'il répand, mais des lumières; et jusques dans les questions les plus abstraites, attentif à rapprocher toutes les idées de la portée de tous les esprits, il donne à chacun le moyen de connoître et le droit de pro

noncer.

Je crois donc, Messieurs, rendre encore un hommage à sa mémoire, en vous soumettant quelques réflexions sur la clarté du style, sur cet attribut distinctif qui m'a frappé dans tous ses écrits, et qui me paroît leur avoir imprimé le sceau de leur perfection.

La clarté du style est le premier indice et le plus sûr garant de celle de l'esprit ; semblable à la lumière du jour, qui se compose de plusieurs rayons, elle dépend non-seulement de la propriété des expressions, mais du choix des images, de la justesse des tours, et sur-tout de l'ordre des idées. Il y a dans tous les genres, depuis le plus grave jusqu'au plus frivole, depuis l'Epopée jusqu'à l'Idylle, depuis la plus sublime philosophie jusqu'à la plaisanterie la plus légère, une marche constante, une dépendance successive, un enchaînement invariable, et presque une filiation de causes et d'effets, de principes et de conséquences, qui, observée ou méconnue, produit la lumière ou l'obscurité.

Les ténèbres étoient avec le chaos, et la lumière parut avec le monde; les travaux de l'esprit sont

eux-mêmes une sorte de création; ce qui n'étoit qu'idéal, ils le rendent sensible, et donnent une existence à ce qui n'en avoit point les plus étonnantes productions tiennent à une idée mère, à un premier germe, dont la simplicité renferme les moyens secrets de son développe ment; ce premier germe, il faut qu'une reflexion assidue le féconde; il faut qu'elle suive, qu'elle dirige ses accroissemens divers; que des principales divisions elle s'étende aux plus petites parties; que, toujours attentive à ne rien admettre d'étranger, à ne rien négliger de nécessaire, elle assigne aux moindres détails leurs places, leur forme et leurs raisons; et qu'après avoir tout fait, elle ne laisse au langage que le soin de tout dire. Une tâche ainsi préparée offre plus de charmes que de peines; toutes les idées, clairement aperçues, semblent avoir adopté d'avance les expressions qui leur conviennent; et les mots naissent des choses dans un esprit bien clair, comme dans une eau bien pure les images naissent des objets.

Rendre fidèlement son idée, c'est à la fois le but et le secret de l'art d'écrire; en imitant ainsi, l'on est sûr d'être original; et dans ce genre, plus on est exact et moins on est servile.

La rhétorique peut chercher d'autres secours, mais la fière éloquence les dédaigne; elle dicte, et l'autre essaie de répéter; l'une cherche dans ses paroles un soutien à la foiblesse de ses pensées, l'autre attend de ses pensées mêmes les expres

sions qui les manifestent; enfin, l'une est à l'au tre ce que la galanterie est à la passion: ce sont les mêmes discours, ce n'est point le même accent. Pensez donc avant d'écrire, dirois-je à un jeune écrivain, et n'écrivez que ce que vous avez penisé, et tous les points seront remplis : ne vous défiez pas de la langue; un foible talent peut s'en plaindre, mais elle n'a jamais trompé le genie; vous la verrez s'enrichir à mesure que Vous penserez: ayez des notions précises, et chaque terme sera juste, et les expressions ne manqueront pas plus à vos idées que les chiffres aux nombres. Un mot impropre décèle une pensée obscure. L'auteur ne cesse d'être entendu que lorsqu'il a cessé de s'entendre, et ce défaut est plus commun plus pardonnable même qu'on ne pensé ; l'inspi ration est si rare, la disposition si variable, la mé ditation si facilement interrompue, que souvent les idées échappent dans leur vol à la mémoire qui veut les arrêter, et au discours qui essaie de les peindre; souvent le portrait est à peine commencé, et déjà le modèle a disparu : alors suspendez le travail, ou renoncez au succès; craignez sur-tout de montrer votre détresse, en essayant de la cacher sous ce luxe imposteur, cette parure artificielle, si chère à la médiocrité, si prodiguée par le mauvais goût; voile inutile, dont on couvre, ou des beautés qu'il valoit mieux laisser voir, ou des défauts qu'il valoit mieux éviter; rejetez les faux ornemens, les véritables s'offri

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