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ront d'eux-mêmes, et bientôt, au lieu d'être cherchés au loin, arrangés avec inquiétude, et comme appliqués de force, vous serez surpris de reconnoître qu'ils faisoient partie de votre plan, que sans vous en occuper vous les aviez conçus, et qu'ils sortent naturellement du sujet, comme les feuilles et les fleurs de la plante qu'elles décorent; croyez enfin que le projet d'orner son style tend presque toujours à le déparer. L'idée que vous avez à rendre est-elle agréable? laissez-la se présenter elle-même sous les traits qui vous ont séduit; est-elle forte? qu'a-t-elle besoin de secours? il leur suffira de paroître comme elles vous ont apparu; ce sera Vénus sortant de l'onde avec sa ceinture, ou Minerve s'élançant tout armée du cerveau de Jupiter.

C'est un grand art sans doute que celui de s'exprimer clairement; mais c'est un art dont la nature est tout le secret, dont elle prescrit ou plu tôt dont elle dirige toutes les opérations prèsque à l'insçu de ceux qui la prennent pour guide. Les femmes en offrent un exemple bien sensible: estce au travail qu'elles doivent ce style si léger, si facile et si clair dont quelquefois nous sommes jaloux? Non, c'est à la nature. N'attendez pas qu'elles réfléchissent long-temps sur l'ordre à mettre dans leurs idées; mais leurs idées, rapidement exprimées, se trouveront dans l'ordre où la réflexion les auroit placées : rivales, dans leurs jeux, de nos plus heureux efforts, les difficultés

même qui nous effraient le plus ne les arrêtent point; et leur légéreté, qui franchit l'obstacle, nous apprend que la pénétration voit mieux que l'étude, et que la nature en sait plus que la science, Ne leur disputons point un avantage qui tient de si près à tant d'autres charmes : tout en elles est plus expressif; des fibres plus délicates, une physionomie plus mobile, un accent plus flexible, un maintien plus naïf; tout parle plus clairement à nos regards; tout porte mieux l'empreinte de leur caractère, de leurs affections et de leurs pensées; leur ame enfin semble moins invisible; et par ce qu'elles paroissent, on juge mieux de ce qu'elles sont, depuis la rustique habitante de la plus humble chaumière, jusqu'à la fille des Césars, que nous admirons sur le trône qu'elle embellit, dont l'air aussi auguste que son rang, dont l'éclat, vainqueur du diadême, laisse en doute, qui des deux a le plus fait pour elle, de la nature ou de la destinée.

Pourquoi donc tant d'auteurs semblent-ils craindre d'écrire ce qu'ils pensent, et de se montrer tels qu'ils sont? Est-ce comme Jupiter, pour ménager des yeux trop délicats? Est-ce comme Protée, pour échapper à des regards trop curieux? Pourquoi souvent les hommes les plus faits pour éclairer les autres, n'osent-ils répandre leurs lumières? Ici, comme ailleurs, le faux honneur est ennemi de la vraie gloire ; et le vain scrupule de dire ce qui a été dit, l'emporte sur la nécessité

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de faire concevoir ce qui n'avoit pas été conçu. Il est vrai que plus d'un lecteur, lorsqu'on lui explique ce qu'il comprend, semble accuser l'écrivain de ne pas lui rendre justice; l'esprit, toujours actif, prend plaisir à chercher, à trouver :lui-même son chemin; il aime, après quelques écarts, à se rencontrer avec son guide, à le devancer, à l'attendre, à le rejoindre; enfin, il veut être associé au travail, et sait plus de gré de ce qu'il devine que de ce qu'on lui démontre. Prétexte frivole! Faut-il, pour laisser aux autres le soin de méditer, s'en dispenser soi-même? fautil, pour être agréable à quelques-uns, se rendre inutile à tous? Que d'observations précieuses, faute d'un style plus clair, ont péri avec ceux qui auroient pu les éterniser! Quelquefois un esprit supérieur, occupé de sublimes contemplations, suppose le commnun des hommes plus près de lui, et néglige de s'en rapprocher. D'autres, fiers de leurs forces et de leur élévation, aiment mieux briller d'un vain éclat aux yeux du vulgaire, que de l'éclairer et de l'amener par des routes faciles au point où ils étoient arrivés ; ils ne permettent pas de les suivre, dans la crainte qu'on ne les atteigne; ils ignorent que les élans du génie ne doivent se mesurer que par les pas qu'il fait faire à la raison.

Qui sait à quel degré de sagacité pourroit un jour s'élever l'esprit humain, si tous les hommes, tendant au même but, s'occupoient, à l'envi les

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uns des autres, soit à porter dans tout ce qu'ils diroient, soit à chercher dans tout ce qu'ils entendroient, toute la clarté dont notre intelligence est capable ou susceptible; s'ils s'exerçoient à présenter, à considérer les objets sous toutes les faces, prêts à tout rejeter lorsqu'ils verroient un côté défectueux, car la vérité n'en a point? Le jugement se rectifie par l'application, comme un cordeau se dresse à mesure qu'il se tend. A force de regarder, on apprend même à voir; et notre raison peut s'instruire à discerner la vérité, comme l'œil du lapidaire à connoître le dia, mant. Combien une vérité de plus, combien sur-tout une erreur de moins changeroit peut, être le destin du monde! Reconnoître et marquer à des signes certains les vérités et les erreurs, voilà toute la tâche de l'esprit; ce sont là les deux sources de nos biens et de nos maux; sources trop voisines, hélas! où les aveugles mortels vont puiser indistinctement! Quelle différence dans les conséquences! mais quelle ressemblance dans le principe! Souvent la vérité, aperçue de trop loin, ne présente à l'esprit qu'une idée vague et confuse, qui n'attire ni son attention ni sa confiance; souvent l'erreur offre un ensemble plus remarquable et des traits mieux caractérisés. La première est comme une terre éloignée, qui, dans les vapeurs de l'horison, s'est montrée au navigateur sous l'apparence d'un nuage. La seconde est comme un

nuage qui s'est montré sous la figure d'une térre éloignée; chaque regard voit celle-ci abandonner sa première forme; chaque regard ajoute à l'autre un nouveau degré de consistance et de réalité ainsi la vérité se confirme, et l'erreur se dissipe à la réflexion; ainsi, dans le style même où cette réflexion répandroit toute sâ lumière, la vérité trouveroit sa preuve, et l'erréur sa réfutation.

Jusqu'où la clarté du style ne peut-elle point atteindre ! Sans elle la science ne seroit qu'un douté, et la morale resteroit en question. Notrė pensée entrevoit, dans l'immense domaine des sciences, une foule d'objets qui lui semblent encore inaccessibles. La clarté du style ne nous y menera point sur-le-champ, mais elle en mar querà du moins la distance, et peut-être lá route; elle n'écartera point tous les obstacles, mais elle les fera connoître ; ce n'est qu'avec l'aide du temps qu'elle se répandra sur une aussi vaste étendue; elle ne peut tout sans lui, mais il ne peut rien sans elle. Tôt ou tard plusieurs grands hommes, utilés et lumineux interprètes les uns des autres, rassemblant successivement au foyer de leurs génies toutes les notions acquises de leurs temps, en augmenteront la force, et les feront passer à d'autres génies, qui leur donneront encore un nouvel accroissement; et, par ces moyens plusieurs fois répétés, ils rapprocheront enfin de l'esprit humain les vérités

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