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les plus éloignées de la portée actuelle de notre intelligence; semblables à ces purs cristaux, qui, disposés par d'habiles mains, se transmettent successivement les rayons qu'ils ont concentrés, font disparoître l'intervalle, offrent distinctement à nos regards ce qu'ils ne devoient jamais aperce voir, et les promènent sur des terres et sur des eaux qui n'appartiennent point à notre globe.

Espoir ambitieux, plus fait pour nos vagues désirs que pour nos vrais besoins! Nous n'avons sur la science qu'un droit de conquête; elle est pour nous un nouveau monde; mais la morale est notre patrimoine; c'est un champ qui ne s'étend pas au-delà de notre horizon; dans son enceinte, il n'est rien que le flambeau de la méditation et la clarté du style qui en dérive ne puissent offrir à nos regards; il faut la parcourir cette enceinte, il faut la cultiver, il faut connoître, indiquer, répandre les vrais semences du contentement particulier et de la commune félicité.

L'ouvrage est commencé; déjà les hommes, s'éloignant tous les jours davantage de leur première férocité, sont plus rapprochés pour des intérêts mieux connus. Les arts, les sciences, les lettres, des égards mutuels, une prévenance réciproque, une concorde au moins apparente, rendent la condition du genre humain plus douce, et la terre plus habitable. Tels sont les progrès que la société doit aux bienfaisantes leçons d'une morale clairement exposée; mais combien elle

peut leur en devoir encore! Espérons que le jour de notre esprit n'est qu'à son matin, et que plus il approchera de son midi, et plus nous verrons diminuer cette ombre fatale où l'erreur trouve son refuge, et dont la mauvaise foi se fait un rempart. Pourquoi n'ont-elles point encore disparu ces trompeuses obscurités, si long-temps attachées à nos conventions, à nos pactes, à nos traités, et même à nos plus saintes lois? Pourquoi cette barbarie, à laquelle chaque homme a renoncé, est-elle restée parmi les hommes reunis? Pourquoi les nations, les familles, les différentes classes, les diverses professions conserventelles cet égoïsme hostile, dont les individus semblent corrigés? Quelle voix assez forte pourra faire entendre à tous les peuples, à toutes les sociétés, qu'il vaut mieux s'entr'aider que se nuire? Qui pourra dire clairement à tous les hommes qu'ils se trompent, que tous les calculs de l'intérêt personnel sont faux, puisqu'au lieu de s'y compter pour un, on s'y compte pour tous? N'écrira-t-on jamais en traits de lumière, que le mal des uns n'est point le bien des autres; que le genre humain a reçu de la nature un héritage commun; que la félicité générale est un champ indivisible où tous doivent semer, où tous doivent recueillir; et qu'on attire sur soi la famine en desséchant les moissons de ses voisins?,

Ces maximes salutaires, si souvent, si vainement répétées, n'ont besoin, sans doute, que

d'être mieux expliquées, pour être à jamais suivies. Si la vérité n'est point la loi du monde, c'est moins la faute de ceux qui l'entendent, que de ceux qui la disent; elle n'est rejetée que tant qu'elle est méconnue; elle n'est méconnue que tant qu'il reste un moyen un moyen de la méconnoître. N'oublions pas qu'il lui faut la sanction de l'évidence; que cette évidence n'est point à son comble, lorsque la mauvaise foi elle-même essaye encore de s'y refuser; qu'elle doit avoir sur tous les esprits le même pouvoir que le jour sur tous les yeux; enfin qu'elle est à la fois le devoir de celui qui parle, et le besoin de ceux qui écoutent.

Le moment approche où l'éloquence françoise va prendre un nouvel essor; trop long-temps captive dans l'enceinte de nos tribunaux, elle s'est vue réduite à la défense de quelques intérêts ignorés; et des voix souvent dignes d'instruire le genre humain, étoient à peine écoutées d'un petit nombre d'auditeurs ou distraits ou prévenus; les magistrats eux-mêmes, souvent troublés par elle, au lieu d'en être éclairés, et trop accoutumés à lui voir soutenir les deux partis contraires avec le même art et la même chaleur ne lui prêtoient qu'une attention inquiète, et se défioient également de ses erreurs et de ses piéges. Mais la scène s'ouvre, et que vois-je ? C'est, comme dit le chantre de Caton, c'est l'auguste image de la patrie, ou plutôt c'est la patrie en personne; c'est cette multitude immense, in

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connue, pour ainsi dire, à elle-même depuis tant de générations; c'est la France enfin éclairée par l'étude, par les discussions, par de sages conseils, et par de longues souffrances : ses maux ont touché le cœur vertueux et sensible de son roi; il en médite la guérison; il rappelle à son aide un génie qu'elle invoquoit ; il l'appelle elle-même, comme un excellent père appelleroit une famille adulte, pour délibérer sur les intérêts communs. Non, une bonté si profonde, des vœux aussi purs, d'aussi généreux projets ne seront point trompés; il les verra payer de plus de gloire que jamais un roi n'en acquit, de plus de bonheur que jamais un roi n'en donna. Mais déjà les nations attentives se transportent par la pensée au milieu de cette assemblée auguste, et croient d'avance entendre 'les interprètes qu'elle aura choisis pour parler en

son nom.

Ah! qui que vous soyez qui devez remplir un aussi auguste ministère, conuoissez le devoir sacré qu'il vous impose! Ce devoir, c'est la véẻrité; cherchez-la dans toute son étendue, montrez-la dans toute sa candeur : le règne de l'exagération est fini; elle disparoît devant la grandeur des choses qui se préparent. Vous ne parlerez point à ces flottantes multitudes d'Athènes et de Rome, toujours prêtes à changer d'avis à la voix d'un orateur, machinalement soumises à l'impulsion de ses mouvemens, et plus dociles

à la véhémence qu'à la raison. C'est l'élite imposanté d'un des peuples les plus nombreux et les plus spirituels de l'univers, qui vous entendrá dans le plus éclairé des siècles ; et la raison de plusieurs milliers d'hommes sera comme déposée dans chacun des hommes qui vous écouteront. Les fastes de l'univers n'offrent point d'exemple d'un pareil auditoire. Et quel audacieux concevroit le projet de le séduire ou de le subjuguer? Non, non, et les expressions emphatiques, et les tours adroits, et l'insidieuse finesse, et la vaine hyperbole, et les mouvemens impétueux, toutes ces armes enfin, si souvent utiles au mensonge, offenseroient la sainteté du lieu. Là, tout appareil seroit vain, tout prestige seroit découvert, tout artifice confondu; et la vérité seule, brillante de sa douce et native lumière, osera paroître à de tels regards.

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Rappelons-nous dans ces grandes circonstances, la savante fiction du phoenix que le prodige de la renaissance affranchit de la condition mortelle, et qu'il soit l'emblême de la plus belle et de la plus durable des monarchies, prête à se régénérer! Lorsque cet oiseau, favorisé du ciel, est averti par ses forces déchues et par ses ailes moins légères, que le cours de ses destins est prêt à s'arrêter, ce n'est point aux flammes des incendies, ce n'est point au tourbillon des volcans qu'il épure les principes de son existence; mais il s'élève, au-dessus des vapeurs de cette

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