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respira dans tous ses écrits, et leur imprima ce caractère noble et touchant qui donnera à l'auteur encore plus d'admirateurs et d'amis dans les siècles futurs, qu'il n'a eu dans le nôtre d'envieux et de calomniateurs.

Ainsi, loin d'être le fléau des beaux-arts, la philosophie en a conservé le feu sacré. Loin de corrompre le goût, elle n'a fait que l'épurer et l'étendre. On est devenu plus difficile sans doute sur la justesse des figures et des expressions, sur l'ordre et l'exactitude des pensées. Il ne suffit plus d'accoupler avec facilité des rimes exactes, et de revêtir des idées triviales de ces images parasites de l'ancienne mythologie, agréables par ellesmêmes, mais devenues insipides par un emploi trop répété; espèce de jargon que les jeunes gens prennent pour de la poésie, et qui n'en est pour ainsi dire que le ramage. Il faut aujourd'hui satisfaire l'esprit aussi bien que l'oreille, et ne s'adresser à l'imagination, que pour arriver plus sûrement à l'ame.

Les bons ouvrages, en se multipliant, ont dû rendre la médiocrité insupportable; mais on n'en est que plus sensible aux véritables beautés. Jamais on n'a mieux apprécié ni plus généralement şenti le mérite des grands modèles. Les Molières, les Racines, les Lafontaines, si indécemment critiqués dans le siècle du goût, même par des sonnes qui avoient du goût, n'ont plus aujour

per

d'hui que des admirateurs parmi ces hommes qu'on accuse de raisonner et de ne point sentir.

La perfection du goût dans les Arts n'est point l'effet du travail, des réflexions, du génie même de quelques hommes; elle doit naître d'un certain enthousiasme général qui agite tous les esprits, qui se communique par une espèce de contagion, et qui féconde les germes cachés du talent et du génie. Cet enthousiasme s'allumera plus aisément dans une nation où la liberté politique fortifiera l'énergie et l'élévation des ames, où les mœurs seront tout à-la-fois simples et fortes, où l'imagination sans cesse exaltée par une religion toute de pompe et de spectacle, sera aisément remuée par les objets physiques, où l'esprit exercé par l'habitude de juger les productions de tous les Arts, sera accoutumé à saisir promptement les rapports les. plus déliés et les plus éloignés, et à se former par la comparaison un modèle idéal du beau dans tous les genres; dans une nation enfin où la multitude, dispensée par la nature du Gouvernement et par la richesse publique, de se livrer aux travaux grossiers et pénibles, qui par tout ailleurs abrutissent le peuple, ne sera occu. pée qu'à varier ses plaisirs et à se rendre compte de ses jouissances.

Ce sont les Grecs dont je viens d'esquisser le ta bleau: mais ces Grees qui ont été nos modèles dans tous les Arts, ont été en même temps nos maîtres daus la philosophie. C'étoit dans les écoles des

Socrates et des Platons qu'alloient se former les orateurs, les poètes, les artistes et leurs juges. La même révolution qui détruisit les mœurs et la liberté de ce peuple extraordinaire, éteignit àla fois le flambeau des Arts et celui de la philosophie.

Les Arts sont une création de l'esprit humain : il seroit bien inconcevable que l'ouvrier en se per fectionnant tendît à détruire son propre ouvrage, Cette idée est absurde; mais ce qui est à-la-fois absurde et atroce, c'est de prétendre que la philo sophie, qui n'est que la recherche de la vérité, puisse nuire à la religion et à la morale, qui ne peuvent avoir pour base que l'éternelle vérité.

On a reproché à la philosophie de favoriser l'incrédulité, parce qu'il y avoit des philosophes incrédules. Les ennemis de la religion avoient employé contre elle le même sophisme; ils lui ont attribué tous les crimes et les excès qu'on a couverts de son nom.

Quelle étrange manière de servir la religion, que de vouloir faire croire au peuple qu'elle a pour ennemis les hommes les plus éclairés! Si l'on savoit tout ce que l'autorité a d'influence sur l'opinion, si l'on savoit combien de jeunes gens sont entraînés dans le malheur de l'incrédulité par la vanité de penser comme des hommes qu'on admire, la religion elle-même s'éleveroit contre une imputation si dangereuse. Mais ce n'est pas la vraie piété qui suggère cette calomnie, ce sont les

plus viles et les plus cruelles des passions humai nes. Le zèle n'est que l'instrument de la jalousie et de la haine, et l'on n'attaque la philosophie que pour nuire à quelques philosophes. Cela est si vrai, que souvent des écrivains qui avoient été insultés pendant leur vie comme incrédules, se retrouvent après leur mort au rang des hommes les plus religieux. Descartes fut accusé d'athéisme, et ses argumens en faveur de l'existence de Dieu, sont adoptés aujourd'hui dans toutes les écoles de théologie. Pascal et Mallebranche furent mis au nombre des athées par le jésuite Hardouin, accusé lui-même d'incrédulité avec autant de justice. On vient de faire une brochure pour prouver que Montaigne étoit très-religieux. Pourquoi n'at-on pas pour les grands hommes vivans la même charité qu'on a pour les morts?

Les accusations gratuites d'irreligion étoufferoient jusqu'aux germes des plus utiles découvertes, si les Gouvernemens sages ne les traitoient avec le mépris qu'elles méritent.

C'est l'ignorance qui est le fléau le plus redou table de la religion. Qu'on se rappelle ce qu'étoit le Christianisme dans ces siècles de ténèbres qui ont suivi l'anéantissement des lettres et des Arts en Europe. Cette religion, si pure dans son origine, s'étoit corrompue en se mêlant à des mœurs grossières. Sans cesse, une foule d'opinions ab surdes et d'hérésies dangereuses se formoient au sein de l'église, et la déchiroient par des querelles

sanglantes; mais parmi tous les hérésiarques et les fanatiques on ne trouve le nom d'aucun philosophe. Au contraire, le peu d'hommes éclairés du seizième siècle refusèrent de se joindre aux réformateurs. Ils savoient que les abus amenés par l'ignorance disparoîtroient d'eux-mêmes par les progrès de la raison, et sembloient prévoir les plaies sanglantes que le fanatisme alloit faire à l'humanité.

Dans le même siècle, l'Italie étoit remplie d'athées, et certainement les philosophes y étoient fort rares. Aujourd'hui le pays de l'Europe, qu'on regarde généralement comme le pays où il y a le plus de philosophie, est celui où, malgré l'extrême liberté de la presse, l'athéisme craint le plus de se produire au grand jour, et où la religion est peut-être le moins attaquée.

Accusera-t-on d'être ennemi de l'autorité et des lois ce même esprit philosophique qui, en apprenant au peuple à distinguer les droits de l'autel d'avec les droits du trône, à ne pas confondre les intérêts d'une religion sainte avec les intérêts des passions humaines, n'a pas moins servi à la sûreté des Princes, qu'à la tranquillité des peuples?

Qu'on se rappelle l'histoire de tous les usurpa. teurs, depuis Simon de Montfort jusqu'à Cromwell; qu'on remonte à la source de toutes les divisions intestines des Etats, depuis les séditions de Constantinople pour la couleur des cochers du Cirque, jusqu'aux troubles de la Fronde pour

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