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sphère tumultueuse, au-dessus de la région des vents et du tonnerre; et c'est dans le séjour du calme et de la sérénité, c'est aux rayons les plus clairs de l'astre du jour, qu'il allume ce bûcher mystérieux où il prend un nouvel être.

DISCOURS

Prononcé le 25 août 1789, par M. l'abbé BARTHÉLEMY, lorsqu'il fut reçu à la place de M. BEAUZEE.

Messieurs,

POUR rendre à la mémoire de M. Beauzée un hommage digne de vous et de lui, il suffiroit de dire qu'il vous avoit inspiré une haute estime, et qu'il vous a laissé des regrets sincères; mais un devoir que je chéris m'engage à vous entretenir pendant quelques momens de ses travaux et de ses vertus.

Dès sa jeunesse, les sciences exactes attirèrent son attention, qui bientôt se fixa tout entière sur les langues anciennes et modernes. La métaphysique de la grammaire offroit à ses regards une vaste région, rarement fréquentée par les voyageurs, couverte, en certains endroits, de riches moissons, en d'autres de roches escarpées, ou de sombres forêts. M. Beauzée y fit un long séjour, la parcourut dans tous les sens, et en publia une description circonstanciée, sous le titre de Grammaire générale; persuadé que les lois du langage dérivent d'un petit nombre de principes généraux qu'il avoit retrouvés dans toutes les langues, il

remonte à ces premiers principes, et, les appliquant aux cas particuliers, il en fait sortir une foule de préceptes lumineux. Au milieu de tant de discussions arides et d'idées abstraites, on a de la peine à le suivre; mais on est toujours forcé d'admirer la finesse de ses vues, ou l'intrépidité de son courage.

Peu content d'avoir développé le mécanisme des langues, il s'occupoit souvent de l'appréciation des signes de nos pensées, moins importante sans doute, mais aussi moins dangereuse pour notre repos que l'appréciation des biens et des maux de la vie.

Séparer, dans chaque expression, les idées ac cessoires de l'idée principale qui lui est commune avec d'autres expressions, est une des nombreuses qualités de l'esprit humain, refusée quelquefois au génie, souvent suppléée par l'éducation ou par l'usage du monde; c'est elle qui choisit le mot propre, qui fournit des définitions exactes, et qui répand de l'intérêt sur le style soigné et mème sur la conversation négligée. M. Beauzée discernoit les caractères distinctifs des synonymes, comme un œil perçant découvre les nuances presque imperceptibles d'une couleur; ce talent et de longues méditations lui dévoilèrent insensiblement tous les mystères de la langue françoise. Quand il enrichissoit notre littérature des productions étrangères, c'étoit un interprète fidèle et plein de ressources; quand il falloit s'ex

pliquer sur des difficultés relatives à l'art de la parole, c'étoit un législateur dont on respectoit les décisions. Cependant il se méfioit de ses forces en donnant une nouvelle édition des synonymes de l'abbé Girard, il y joignit quelques articles de sa composition, et il en fit des excuses.

Sa supériorité lui donnoit des droits à la mo. destie. La simplicité étoit dans ses manières, parce qu'elle étoit dans son cœur; comme il ne s'étoit point familiarisé avec les formes séduisantes de la société, on pouvoit compter sur sa parole et sur ses actions. Doux, sensible, plus indulgent pour les autres que pour lui-même, il sembloit ne suivre, dans ses rapports avec eux, que l'instinct de la bonté, dans tout ce qui lui étoit personnel, que l'instinct de la vertu.

La fortune, en lui refusant ses dons, n'avoit laissé à son courage que de trop fréquentes occa→ sions de s'exercer; heureux néanmoins, parce qu'il n'eut besoin que de ses plaisirs, bornés au goût des lettres et aux douceurs de l'amitié. Quels charmes répandoient sur ses jours cette communication d'idées et de sentimens, ces liaisons intimes qui le rendoient assidu à vos séances! liai sons dont j'ai trouvé de si beaux modèles dans une autre compagnie savante, où la confiance et l'union règnent au milieu des plus profondes connoissances, où je ne sais quel motif m'attire le plus, si c'est le désir d'écouter mes maîtres, ou celui de voir mes amis.

M. Beauzée n'est plus, et je connois mieux que personne la perte que vous avez faite. Le jour où vous daignâtes m'accorder sa place, je sentis, dans toute son étendue, le prix de ce bienfait : pourquoi faut-il qu'aujourd'hui ma reconnoissance soit mêlée d'inquiétude?

La Grèce avoit ménagé deux triomphes aux athlètes qui se distinguoient dans ses jeux solennels. Au moment de la victoire, le héraut proclamoit leurs noms, que des milliers de voix élevoient jusqu'aux Cieux. Quelques jours après, tous les vainqueurs étoient couronnés dans une cérémonie pompeuse au bruit des instrumens, aux applaudissemens réitérés d'un peuple immense; mais du moins ils pouvoient supporter une gloire qui n'exigeoit pas une nouvelle épreu ve, et qui, leur étant commune à tous, n'arrêtoit les regards sur aucun d'eux en particulier. Maintenant ils restent fixés sur l'orateur, à qui ils semblent demander compte de votre choix. Ce concours si flatteur de témoins si éclairés, ce silence, cette attente, les préventions même trop favorables, tout sert à l'intimider; tout, dis-je, jusqu'à des ressouvenirs qui se présentent tout-à-coup à son esprit. C'est dans ce palais de nos Rois, dans cette salle, du lieu même où je suis assis, que, depuis plus d'un siècle, les plus grands génies et les plus beaux talens ont signalé leur avénement à l'Académie, les uns en célébrant la gloire de vos augustes protecteurs, les autres

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