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liberté est un principe de vie, et le despotisme un principe de mort.

Mais quel autre Orphée, quelle voix harmonieuse a rappelé sur ces côteaux dépouillés les arbres majestueux qui les couronnoient, et rendu à ces lieux incultes l'ornement de leurs bocages frais, de leurs vertes prairies et de leurs ondoyantes moissons? Quels puissans accords ont de nouveau rassemblé les pierres éparses de ces murs autrefois bâtis par les Dieux? Tous les édifices sont relevés sur leurs fondemens, toutes les colonnes sur leurs bases, toutes les statues sur leurs piédestaux; chaque chose a repris sa forme, son lustre et sa place; et dans cette création récente, le plus aimable des peuples a retrouvé ses cités, ses demeures, ses lois, ses usages, ses intérêts, ses travaux, ses occupations et ses fêtes. C'est vous, Monsieur, qui opérez tous ces prodiges vous parlez, aussitôt la nuit de vingt siècles fait place à une lumière soudaine, et laisse éclore à nos yeux le magnifique spectacle de la Grèce entière au plus haut degré de son antique splendeur. Argos, Corinthe, Sparte, Athènes, et mille autres villes disparues sont repeuplées. Vous nous montrez, vous nous ouvrez les temples, les théâtres, les gymnases, les Académies, les édifices publics, les maisons particulières, les réduits les plus intérieurs. Admis, sous vos auspices dans leurs assemblées, dans leurs camps, à leurs écoles, à leurs cercles, à leurs re

pas, nous voilà mêlés dans tous les jeux, spectateurs de toutes les cérémonies, témoins de toutes les délibérations, associés à tous les intérêts, initiés à tous les mystères, confidens de toutes les pensées; et jamais les Grecs n'ont aussi bien connu la Grèce, jamais ils ne se sont aussi bien connus entre eux, que votre Anacharsis vous les a fait connoître.

Dans ces tableaux nouveaux, parlans et vivans, tous les objets s'offrent à nous sous tous les aspects. Les hommes et les peuples, toujours en rapport, toujours aux prises les uns avec les autres, nous découvrent, à l'envi, leurs vices et leurs vertus. L'enthousiasme, la haine et l'impartialité tracent alternativement le portrait de Philippe. Les tristes hymnes des Messéniens accusent l'orgueil de Lacédémone. Les Athéniens laissent entrevoir leur corruption au travers de leurs agrémens. Le suffrage ou le blâme distribué tourà-tour par des partisans ou par des rivaux, tous les témoignages favorables ou contraires, soigneusement recueillis, fidèlement cités, sagement appréciés, suspendent et sollicitent des jugemens que vous laissez modestement prononcer à votre lecteur; il tient la balance, mais vous y mettez les poids.

Il vous appartient, Monsieur, plus qu'à personne, de converser avec ces hommes étonnans, de leur législation, de leur religion, de leurs sciences, de leur morale, de leur histoire, de

leur politique. S'agit-il de leurs arts? quel pinceau pourroit mieux retracer l'élégance de leurs chef-d'œuvres? Quand vous faites parler leurs orateurs et leurs poètes, votre style rappelle toute l'harmonie de leur langue. Exposez-vous les doganes faux ou vrais de leurs philosophes? c'est en donnant à la vérité les caractères qui la font triom. pher; c'est en prêtant à l'erreur tous les prestiges qui excusent ses partisans. Enfin, est-il question de la première et de la plus noble passion des Grecs, de leur patriotisme? en nous les offrant pour modèles vous nous rendez leurs émules. Mais que dis-je? en fait de patriotisme, les exemples des Grecs nous seroient-ils nécessaires? Non, non, ce feu sacré, trop long-temps couvert, mais jamais éteint, n'attendoit ici que le souffle d'un roi citoyen pour tout embraser; déjà un même esprit nous vivifie, un même sentiment nous élève, une même raison nous dirige, un même titre nous enorgueillit; et ce titre, c'est celui de François. Nous savons, comme les Grecs, qu'il n'est de véritable existence qu'avec la liberté, sans laquelle on n'est point homme, et qu'avec la loi, sans laquelle on n'est point libre. Nous savons, comme eux, qu'au milieu des inégalités nécessaires des dons de la nature et de la fortune, tous les citoyens sont du moins égaux aux yeux de la loi, et que nulle préférence ne vaut cette précieuse égalité, qui seule peut sauver du malheur de hair ou d'être hai. Nous savons, comme

eux, qu'avant d'être à soi-même, on étoit à sa patrie, et que tout citoyen lui doit le tribut de son bien, de son courage, de ses talens, de ses veilles, comme l'arbre doit le tribut de son ombre et de ses fruits aux lieux où il a pris racine.

Au reste, Monsieur, la peinture naïve des Grecs ne fait point tout le mérite de votre ou vrage, et celle de l'auteur qui se voile et se trahit sans cesse, y répand un intérêt encore plus attachant. On est toujours tenté de substituer votre nom à celui de ces sages si aimables auxquels vous donnez vos traits sans vous en apercevoir. On sent, en vous lisant, que leurs maximes sont vos principes, que leurs lumières sont dans votre esprit, que leurs vertus sont dans votre cœur, et que vous vivez avec eux, pour ainsi dire, en com munauté de biens, également riche de ce que vous leur empruntez et de ce que vous leur prê tez. C'est vous que l'on retrouve encore mieux que les Grecs dans cet hommage pur qu'à chaque instant vous vous plaisez à rendre à l'amitié. Nulle part on ne reconnoît mieux sa divine inspiration,' ses doux accens, son influence pénétrante; c'est l'amitié qui, de sa main fidèle, traça l'image de Phédime avec la délicatesse, avec la pureté de l'ame de Phédime elle-même; c'est elle qui fait reparoître un instant cet Arsame, si justement, si généralement pleuré! On voit avec attendrisseinentle grand homme qui n'est plus, survivre encore mieux à lui-même par l'amitié que par la re

nommée, et trouver dans le cœur d'un ami ver. tueux, non un mausolée, mais un temple.

C'est ainsi, Monsieur, qu'en réunissant l'exer. cice et la récompense de vos vertus, vous avez passé pendant long-temps et vous passez encore la vie la plus douce et la plus utile, entre la noble élite des premiers personnages des anciens temps, et de ceux de votre siècle. En vain cependant, content d'un sort aussi désirable, auriez-vous tenté de vous dérober entièrement aux regards du public: la société avoit aussi ses droits à réclamer, et l'obscurité à laquelle on vous a vu toujours inutilement aspirer, auroit fait trop de tort à vos contemporains; ils connoîtroient moins ce caractère simple comme l'enfance, sage comme l'antiquité; cet art précieux et sublime de mêler toujours la grâce à la vérité, l'indulgence à la censure, la bienveillance au conseil, et l'amusement à la leçon ; de prêter son esprit au lieu de le monde se servir de sa raison pour féconder celle des autres; d'instruire les plus instruits, et de s'instruire encore avec les plus ignorans; de plaire à tous, et de se plaire avec tous; enfin, nous ne saurions pas que Platon, Aristote, et sur-tout Socrate vivent encore, et qu'en ce moment l'Académie françoise ne peut porter aucune envie à celle d'Athènes.

trer;

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