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la création de douze charges nouvelles; qu'on approfondisse les motifs des révoltes et des guerres civiles, des assassinats des Souverains et des mas sacres des peuples, on verra que de pareils atten tats appartenoient moins aux passions de quelques individus, qu'à la férocité et à l'ignorance géné rales des Nations.

Par quelle étrange inconséquence des hommes uniquement occupés à éclairer leurs concitoyens, et sur leurs devoirs et sur leur bonheur, pourroient-ils se proposer d'affoiblir le respect qu'on doit aux lois qui font leur propre sûreté, et à l'autorité souveraine, qui crée et qui maintient les Iois?

Dira-t-on que leur zèle pour la liberté est dangereux dans un gouvernement monarchique? Sans doute ils aiment la liberté; ils ont appris dans T'histoire des Grecs et des Romains que c'étoit le principe de la grandeur et de la force des Etats; mais ils savent distinguer la liberté civile, qui consiste à n'obéir qu'aux lois, d'avec la liberté politique, qui appelle chaque citoyen à la formation des lois ; ils savent que la liberté civile est la seule qui contribue au bonheur des hommes, et qu'elle peut se trouver dans une Monarchie comme dans une République; ils savent que la liberté politique, qui n'est qu'un moyen de s'assurer la première, fut dans les républiques anciennes une source continuelle de dissentions, de guerres, massacres, de révolutions et de malheurs ; ils sa

de

vent que la paix et la stabilité sont le premier objet de tout bon Gouvernement. Ils voyent enfin que Platon, Aristote, Xénophon, qui connoissoient tous les avantages de cette liberté politique dont leurs concitoyens étoient si jaloux, étoient en même temps si vivement frappés de ses inconvéniens, qu'ils paroissoient préférer le gouverne ment monarchique au gouvernement républicain. D'un autre côté, le grand homme à qui nous devons l'Esprit des Lois, et qui le premier a déterminé les vrais principes de la Monarchie, trouve dans cette forme de Gouvernement tout ce qui peut rendre une Nation grande, riche et heureuse; le plus éloquent défenseur des droits des hommes, se félicitoit de vivre sous un Monarque. Le gouvernement républicain n'a jamais pu subsister que dans de petits Etats. La liberté romaine ne régnoit que dans l'enceinte de Rome; c'étoit un instrument d'oppression pour le reste du monde. Un grand Empire a besoin d'un gouvernement simple, et nos mœurs sont faites pour la Royauté, parce qu'elles ont été formées par

elles.

Ainsi, soit que nous consultions la Philosophie ou l'Histoire, soit que nous écoutions cette affection naturelle pour ses Rois qu'un François respire avec la vie, tout semble nous prouver que la Monarchie, limitée par ses propres lois, tempé rée sur-tout par les mœurs, est le seul Gouvernement qui convienne à une Nation nombreuse,

guerrière, légère et sensible, gouvernée depuis douze cents ans par des Monarques.

Ajouterai-je à ces considérations générales que la magnificence d'une Cour brillante et polie ap pelle et encourage tous les Arts; que la considé ration dont jouit un homme de lettres en France tient aux mœurs propres à la Monarchie, et que jeté par ses travaux même hors des routes qui mènent à la fortune, c'est du Souverain que dépendent les récompenses dont il jouit ou qu'il espère.

Le Philosophe ne peut sans doute, ni détourner sa vue des maux qui affligent ses concitoyens, ni retenir les cris de douleur que lui arrache ce spectacle; mais si sa voix se fait entendre, ce n'est point pour soulever les esprits, c'est pour faire parvenir les plaintes du malheur jusqu'aux oreilles de ceux qui peuvent le soulager. Des hommes accoutumés à cultiver leur raison dans la solitude, à réfléchir en paix sur les causes des événemens, à en prévoir les conséquences, ne troubleront jamais le monde, même pour le rendre plus heureux. Pourroient-ils ignorer que les dissentions intestines sont les plus cruelles de toutes les tyrannies? Pourroient-ils consentir à livrer la génération présente à des malheurs affreux et inévitables, dans l'espérance si incertaine de procurer à la génération future un bonheur passager?

Dans les révoltes et les guerres civiles qui ont autrefois troublé le Royaume, dans les divisions

moins importantes qui s'y sont élevées depuis, on trouve à la tête des partis opposés à l'autorité, des hommes de tous les états et de tous les rangs.. Y trouve-t-on des gens de lettres? Certainement il y en avoit très-peu parmi les ligueurs, tandis qu'on vit constamment attachés au parti des Rois. les personnages de ce temps-là les plus éclairés, les cardinaux d'Ossat et du Perron, le sage de Thou,. et cet archevêque de Bourges qui osa absoudre

Henri IV.

De toutes les révolutions qui ont changé la forme des Etats, il n'y en a peut-être pas peut-être pas deux qui aient eu pour but d'établir un système d'ordre et de tranquillité publique. Les chefs des factions. n'ont d'ordinaire aueun plan, aucun objet d'ambition déterminé; ils intriguent par inquiétude et tourmentent les Nations pour échapper au tourment du repos.

Pourquoi les gouvernemens d'Europe ne sontils plus troublés par les soulèvemens et les conspirations? Pourquoi les peuples ne sont-ils plus foulés par une multitude d'oppressions aussi absurdes que cruelles? Les Gouvernemens auroientils changé de forme et de principes? Non, mais les mœurs se sont perfectionnées.

Dans les siècles d'ignorance tout est barbare, les lois, les mœurs, les gouvernemens; la religion même est souillée de cette barbarie universelle.. Toutes les passions et tous les crimes concourent à dégrader et à tourmenter la nature hu-

Parcourez l'histoire de l'Europe avant la renaissance des lettres, et vous n'y verrez que des troupeaux d'esclaves féroces, opprimés par des maîtres plus férocés encore. Les lois, au lieu de veiller à la sûreté des citoyens étoient une source d'oppressions nouvelles.

On est effrayé du nombre prodigieux d'assassinats qui se commirent en France dans le quatorzième, le quinzième et le seizième siècle, et plus encore des apologies qu'on osoit en faire impunément dans les assemblées les plus augustes.

Lorsqu'on expédia des ordres pour faire égorger tous les protestans qui se trouvoient dans les différentes villes du Royaume, plusieurs commandans de place refusèrent d'exécuter cette abominable commission. On a loué ce généreux courage, et c'est avec justice; mais ces éloges sont la plus cruelle satire d'un siècle, où c'étoit une action de vertu que de ne pas commettre un grand crime.

Quelles vérités nouvelles, quelle puissance bienfaisante, quels réglemens salutaires, ont pu substituer l'ordre à la confusion, la subordination à l'anarchie, la politesse à la férocité? On chercheroit vainement la cause de cette heureuse révolution ailleurs que dans le progrès des lumières, qui en éclairant par degrés les hommes sur leurs véritables intérêts, ont donné à l'opinion publique une direction plus conforme au bien de la société.

Je n'appelle point opinion ce mouvement pas

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