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faux; il lui suffisoit d'observer un profond silence) et sa fidélité sur ce point ne se trahit jamais, je ne dirai point par la parole, mais par aucun signe, aucun mouvement extérieur; jamais personne dans les affaires ne fut plus accessible, jamais aussi personne ne fut plus impénétrable: on pourroit lui appliquer ce qu'un ancien disoit d'un politique de son temps; que sa porte étoit toujours ouverte et son visage toujours fermé. Sa conversation étoit assaisonnée de mots et de réflexions qui suppo-' soient une grande connoissance des affaires, et la connoissance plus rare et plus nécessaire encore des hommes par qui les grandes affaires sont conduites. Près de quarante années de services utiles, parurent mériter une distinction : le titre de direc-' teur des affaires étrangeres fut créé pour lui; et presqu'en même-temps on l'éleva aux honneurs de l'Episcopat. Comme il avoit apporté dans sa place un mérite nouveau, on crut devoir lui décer ner une récompense extraordinaire.

En succédant, Messieurs, à cet estimable académicien, je vous apporterai, non les mêmes talens, mais le même zèle pour cette compagnie et pour les lettres. Je m'instruirai par vos lumières en partageant vos travaux; je partagerai sur-tout la reconnoissance que vous devez à vos respectables protecteurs, à cet illustre cardinal, auquel on comparera toujours tous les ministres qu'on voudra louer; à ce digne magistrat, qui après lui se montra le protecteur des lettres, et dont les lettres

ont immortalisé la mémoire; à ce Roi qui a rempli l'Europe de son nom, et qui a été plus grand dans le malheur que dans la victoire; à ce prince, qu'une mort cruelle vient d'enlever à notre amour, et dont les progrès de la philosophie illustreront à jamais le règne ; enfin à ce monarque si jeune, et déja si chéri, dont le premier édit a été un bienfait public, et la première maladie une leçon de courage; qui ne règne que depuis deux mois, qui depuis deux mois a choisi quatre ministres; et qui n'a choisi pour ministres que des hommes éclairés. et vertueux ; qui déteste ou plutôt qui méprise. la flatterie; qui encourage les lettres et la philosophie, comme les organes de la vérité qu'il aime, et des vertus dont il donne l'exemple. L'académicien si distingué par ses talens et si estimable par ses mœurs, qui m'a précédé dans la place que j'occupe aujourd'hui, et qu'on y a vu avec tant d'ap plaudissement, s'est félicité, Messieurs, d'avoir rendu le premier hommage publicà ce monarque, ami de la bienfaisance et de la justice; je me féliciterai d'un avantage encore plus cher à mon coeur, celui d'être le premier académicien qui doive ce titre à ses bontés.

DISCOURS

Prononcé le 16 février 1775, par M. LAMOIGNON HE MALESHERBES, lorsqu'il fut reçu à la place de M.. DUPRÉ DE SAINT-MAUR.

DU RANG QUE TIENNENT LES LETTRES ENTRE LES différens ordres de l'étAT.

Messieurs,

Je reçois en ce jour un honneur auquel je n'avois jamais osé prétendre.

Content d'admirer vos ouvrages en silence, je m'estimois heureux d'être né dans le siècle qui les voit éclore, sans aspirer à être un jour couronné par vos suffrages.

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Deux illustres Académies avoient déjà daigné m'admettre dans les places occupées par les ama, teurs des belles lettres et des sciences. Il est donc aussi parmi vous des lauriers destinés à ceux qui ne se sont fait connoître que par leur amour pour les lettres, et leur vénération pour ·les grands hommes qui les cultivent; ou dois-je croire que vous mettez les sentimens patriotiques au nombre des titres littéraires ?

J'ai eu le bonheur de parler au nom d'une Cour

dont les vœux ont été reçus favorablement du Roi, et dont le zèle, je crois qu'il m'est permis de le dire, a été applaudi par la nation.

Si ce sont là les titres qui me font asseoir parmi vous, je m'en glorifie, Messieurs, encore plus que s'ils m'étoient personnels. J'en dois cependant faire hommage à ceux dont je ne fus jamais que l'organe, qui m'ont éclairé de leurs lumières, m'ont guidé par leurs exemples, ont fait passer dans mon ame les sentimens dont ils sont péné

trés.

Je n'aurai point, Messieurs, la témérité de traiter des questions littéraires devant les juges suprêmes de la littérature. Vos suffrages peuvent m'enorgueillir, mais ils ne doivent pas m'aveugler.

Je me permettrai seulement de considérer en citoyen le rang que tiennent à présent les lettres entre les différens ordres de l'état, et je félicité l'Académie, je félicite mon siècle et ma patrie, dé ce qu'aujourd'hui tout ce qui mérite d'occuper et d'intéresser les hommes est du ressort de la littérature.

Le public porte une curiosité avide sur les objets qui autrefois lui étoient le plus indifférens. Il s'est élevé un tribunal indépendant de toutes les puissances, et que toutes les puissances respectent, qui apprécie tous les talens,qui prononce sur tous les genres de mérite; et dans un siècle éclairé, dans un siècle où chaque citoyen peut parler à la

nation entière par la voie de l'impression, ceux: qui ont le talent d'instruire les hommes, ou le don de les émouvoir, les gens de lettres, en un mot, sont, au milieu du public dispersé, ce qu'étoient les orateurs de Rome et d'Athènes au inilieu du peuple assemblé.

Cette vérité, que j'expose dans l'assemblée des. gens de lettres, a déjà été présentée à des Magistrats, et aucun n'a refusé de reconnoître ce tribunal du public comme le juge souverain de tous, les juges de la terre.

Si nous voulons remonter à l'origine de cette révolution qui s'est faite dans nos mœurs, nous trouverons qu'elle a suivi les progrès de la litté rature, qu'elle a commencé immédiatement après Finstitution des Académies...

Autrefois la plupart des sciences étoient absolument étrangères à ceux qui couroient la carrièrede l'esprit et des talens. Plusieurs Arts, dont nous admirons aujourd'hui la profonde théorie, étoient relégués au nombre des professions viles, et méprisés par ceux même qui se piquoient de philos sophie.

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Les Poètes et les Orateurs, qui composèrent l'Académie naissante, ne s'exercèrent que sur des sujets que leur présentoit l'histoire, ou sur ceux dont l'antiquité leur offroit des modèles ; et dans ces étroites limites, des entraves inconnues aux. anciens resserroient encore leur génie. Ils célébroient les grands hommes, ils exaltoient les sen

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