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timens héroïques; mais aucun n'auroit osé consacrer ses talens à sa patrie.

Corneille lui-même ne put déployer sa grande ame que quand il eut à peindre celle des hommes célèbres de l'antiquité. Ce n'est que sous ces noms respectés qu'il dicta ses immortels préceptes aux Rois, aux guerriers, aux citoyens de tous les ordres et de tous les âges.

Rendons cependant justice aux vues profondes de votre fondateur. Quand ce Ministre, dont toutes les pensées étoient celles d'un homme d'état, conçut le projet de créer en France un corps littéraire, eroyons qu'il avoit prévu jusqu'où s'etendroit un jour l'empire des lettres chez la nation qu'il avoit entrepris d'éclairer.

Ses vœux furent remplis, et bientôt les lettres prirent un tel essor, que l'Académie ne put avoir d'autre protecteur que le Roi lui-même. Cependant la foiblesse de Louis XIII expirant, la jeunesse de son successeur, et les troubles du royaume vous obligèrent de chercher encore un asile pendant les orages. Il vous fut offert par Séguier, non moins ami des lettres que Richelieu. Vous lui déférâtes le même titre qu'à votre fondateur. Il vous prêta un appui qui vous étoit encore nécessaire, et n'attenta jamais à votre liberté; ce qui n'est pas un éloge médiocre pour un protecteur.

Après sa mort, le Roi prit en main l'administration de l'Académie, comme, après Mazarin, celle de tout son royaume.

Louis, né avec un esprit juste et l'ame la plus ferme et la plus élevée, étoit fait pour porter au plus haut point les vertus auxquelles il seroit appelé par le génie de son siècle: s'il eût vécu dans le temps des Valois, il n'eût peut-être été que guer. rier et conquérant; s'il régnoit aujourd'hui, il ne seroit sans doute que législateur et bienfaiteur de son peuple. Dans le moment où il fut placé sur le trône, il mit le comble à la gloire des François des victoires, et prépara leur bonheur par des lois plus sages que celles qu'on avoit connues jusqu'alors, et par la protection qu'il accorda aux lettres.

par

La brillante littérature appelée en France avec les beaux Arts du temps de François Ier, parvint sous Louis XIV, à ce degré de splendeur après lequel elle ne fait souvent que décroître; et les sciences de raisonnement, dont la marche est plus lente, mais qui n'ont jamais de mouvement rétrograde, arrivèrent aussi à la voix de ce Roi et furent posées par lui sur la plus solide de toutes les bases, sur des établissemens dirigés par Colbert. Ce fut sous ce règne que disparut tout-à-fait le préjugé barbare qui avoit condamné nos ancêtres à l'ignorance. Le nom et l'objet de chaque science furent connus, et les savans de toutes les classes obtinrent la considération qui leur est due.

Il parnt un sage qui parloit également la langue de tous les savans et celle des gens du monde, et qui avoit le don de répandre la lumière et l'agré

ment sur les sujets les plus obscurs et les plus ingrats: c'étoit le neveu des Corneilles. Ce fut lui qui servit d'interprète entre tous les hommes de son siècle; et c'est depuis cette époque qu'il n'existe plus de barrière entre la science et les talens, et que l'art d'écrire est presque inséparable de l'art de penser.

Aujourd'hui les secrets de tous les Arts sont dévoilés, ou vont l'être. On a trouvé ce qu'on auroit cherché inutilement dans les siècles passés, des artistes capables de les écrire, et des lecteurs ca pables de les entendre.

L'étude de la nature n'est plus une froide contemplation, elle remue l'ame par des ressorts aussi puissans que ceux de l'épopée. Le Pline françois a su, par la seule magie du style et sans le secours de la fiction, prêter aux brutes son éloquence, et nous intéresser par lesêtres inanimés..

La géométrie elle-même est justifiée du reproche d'aridité qu'on lui a fait pendant tant de siècles. Les oracles de cette science sont encore proférés dans une langue mystérieuse; mais les prêtres de ce temple ne se tiennent plus éloignés des autres hommes. Celui qui instruisit les savans par de lumineuses théories, sait aussi obtenir du public les applaudissemens dus à l'homme de génie. Le profond mathématicien devient le rival de Tacite : Que dis-je ? Il s'élève au sommet de toutes les sciences, et c'est lui qui en a tracé le tableau gé néral et tous les rapports. Il marche parmi vous,

Messieurs, le front ceint d'un laurier inconnu à Newton lui-même..

Enfin la littérature et la philosophie semblent avoir repris le droit qu'elles avoient, dans l'ancienne Grèce, de donner des législateurs aux na tions.

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Nous n'avons plus, à la vérité, la tribune des Démosthènes et des Cicérons. Les Souverains et les Républiques n'appellent point encore les philosophes sur la foi de leur renommée, pour leur dieter des lois. Cependant une voix s'est élevée, et c'est au milieu de vous, Messieurs, c'est du sein de cette Académie: Montesquieu a parlé, et les nations ont accouru pour l'entendre. Il eut des disciples passionnés ; il fit naître de puissantes contradictions. Quelque jugement qu'en porte la postérité, il est toujours certain qu'aujourd'hui les philosophes regardent la législation comme un champ ouvert à leurs spéculations, et que les jurisconsultes cherchent à porter dans leurs travaux le flambeau de la philosophie.

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Osons dire même qu'un heureux enthousiasme s'est emparé de tous les esprits, et que le temps est venu où tout homme capable de penser, et sur-tout d'écrire, se croit obligé de diriger ses mé ditations vers le bien public.

L'histoire destinée à être l'école des Rois et des Grands, s'étoit presque entièrement bornée, depuis plusieurs siècles, à des récits de combats. Aujourd'hui on y démontre aux ambitieux l'inu

tilité de leurs rivalités et de leurs guerres; on leur prouve que la cruauté est aussi une absurdité; et j'ose prédire, Messieurs, qu'à l'avenir, nul de vous ne rappell era le souvenir des tems d'héroïsme et de barbarie,sans détester ce qui a fait l'admiration de nos ancêtres.

Ce sont à présent les sages de toutes les nations qui se sont chargés d'approfondir les principes de toutes les sociétés, et de nous faire connoître les hommes de tous les siècles.

Déjà le progrès des mœurs, depuis Charlemagne jusqu'à nos jours, a été présenté dans des tableaux faits pour intéresser les lecteurs de tout âge, de tout sexe, de toute condition. Déjà les différentes constitutions des empires qui nous environnent ont été développées. Nous connoissons la suite des événemens qui les ont formées, et l'in fluence qu'elles ont eues sur le sort des peuples.

Je vois un philosophe, un littérateur qui rempliroit plus dignement que moi la place dont vous m'avez honoré ; je le vois renoncer aux succès flatteurs qu'il obtint plus d'une fois dans le commerce des Muses, pour se livrer à de pénibles recherches sur les causes du bonheur des hommes; je le vois, après s'être distingué dans la guerre, annoncer aux Souverains la nécessité de la paix, digne de plusieurs ancêtres que l'histoire nomme parmi nos plus célèbres guerriers; digne aussi de ce savant, cet éloquent, ce vertueux Magistrat, qu'aucun citoyen ne peut entendre nommer, sans rendre

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