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à sa mémoire un tribut de tendresse et de vénéra tion, et qui auroit reconnu son petit - fils dans l'auteur de la félicité publique.

L'Académicien à qui je succède, né dans la magistrature, avoit été entraîné vers les lettres par un goût invincible. L'essai de ses talens avoit été d'enrichir notre littérature du chef-d'œuvre de la nation notre rivale. C'est avec ce titre brillant qu'il avoit été reçu dans cette Académie. Sa maison devint même un lycée où se réunissoient la science, l'esprit et la décence, où ce grand Montesquieu dissertoit avec le naturaliste Réaumur, où toutes les sciences se communiquoient à l'envi leurs secrets. C'est-là, c'est au milieu de ces entretiens intéressans que ce vertueux citoyen conçut et exécuta le projet de se dévouer entièment à de la borieuses et effrayantes compilations sur la valeur des monnoies et sur le prix des denrées, travaux fastidieux pour le traducteur de Milton, mais dignes de l'ami de Montesquieu, puisqu'ils sont uti les à l'humanité.

Le public en a vu des essais, qu'il a dû prendre pour des ouvrages complets. Cependant d'autres ouvrages bien plus étendus ont été trouvés après sa mort, et le public n'en sera point privé. Le temps n'est plus où une politique jalouse faisoit ensevelir de pareils trésors dans des archives secrètes, où ils étoient bientôt oubliés. Ces précieux manuscrits ont été remis à un Ministre dont les opérations ne sont enveloppées d'aucun voile; qui

pensé que son coeur doit être ouvert à tous les citoyens, parce que leur bonheur doit être l'unique objet de ses travaux; et qui trouvera toujours dans l'estime et l'amitié des gens de lettres, le digne prix de tout le bien qu'il veut faire aux hommes.

C'est ainsi que, sous l'empire des lettres, chaque citoyen travaille pour l'état ; et l'homme d'état s'éclaire des lumières de tous ses concitoyens. C'est ainsi que les différentes professions, les différens caractères, les différens talens sont entraînés par une pente commune, vers un objet unique; et cet objet est le bonheur des hommes..

..Songeons enfin que le plus beau génie de notre siècle auroit cru sa gloire imparfaite, s'il n'eût employé, à secourir les malheureux, l'ascendant qu'il a pris sur le public. Je sais que ce n'est point à moi à louer les talens de cet homme universel, en présence du public accoutumé à lui prodiguer ses acclamations, et devant vous, Messieurs, à qui seuls il appartient de décerner les palmes du génie; mais il m'est permis de remercier, au nom de l'humanité, le généreux défenseur de plusieurs familles infortunées ; celui qui, du fond de sa retraite, sait mettre les innocens sous la protection de la nation entière; et je dois observer, à l'hon; neur de mon siècle, que les poètes immortels qui ont illustré la Cour d'Auguste et celle de Louis XIV, n'ont pas eu cette gloire de joindre aux titres littéraires le titre sacré de protecteur des op primés.

Il est donc temps de rendre un juste hommage à ce siècle dans lequel nous avons vécu, et au règne qui vient de finir.

Louis XV aima plusieurs sciences. On le vit souvent admettre dans sa familiarité l'Astronome, le Géographe, le Mécanicien, le Naturaliste, et il s'intéressoit à leurs travaux. Il faut cependant avouer que ce ne furent point ses goûts personnels qui hâtèrent les progrès des sciences favorisées. Mais sous son règne, les savans de tous les genres furent protégés, parce qu'il savoit que cette protection leur étoit due, parce qu'un sentiment naturel le portoit à honorer le mérite, et toujours sans le faste de protection, sans aucun retour vers sa propre gloire, sans vouloir diriger les travaux qu'un Souverain ne doit qu'encourager, sans prétendre dicter des lois impérieuses au génie; et c'est sous cette douce et tranquille administration, que les sciences livrées à elles-mêmes, ont fait des progrès supérieurs à ceux des autres siècles; que la raison humaine s'est perfectionnée; enfin que l'humanité a semblé renaître dans les coeurs et en chasser les restes de la barbarie : l'humanité qui existe en nous avant la science, et même avant la sagesse : l'humanité qui n'est point un présent de la philo sophie, mais qui fut souvent étouffée par des préjugés, enfans de l'ignorance, par une passion exclusive et insensée pour la seule gloire des armes, par des haines aveugles de parti, de nation, de religion, et qui reprend aisément son empire dans

l'instant heureux où le retour de la raison ramène la morale à ses vrais principes, et où le charme des lettres fait revivre les vrais sentimens de la nature.

Heureux le Monarque destiné à donner des lois à une nation chez qui tous préjugés contraires au bonheur des hommes commencent à s'évanouir, et dans le moment où le patriotisme et la bienfaisance sont les vertus que le public aime à encenser!

Vous, Monsieur (1), qui avez le bonheur d'appro eher du Roi, et la gloire d'avoir contribué à son éducation, vous nous avez annoncé que sa grande ame s'indigne de la louange, dès qu'elle approche de la flatterie. C'est nous dire assez que toute lou. ange nous est défendue; car les éloges donnés à un Roi sont toujours voisins de l'adulation.

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La postérité seule peut louer dignement les Rois, puisqu'elle seule a le droit de les juger; mais l'amour des peuples a une autre expression à laquelle ils ne sauroient se méprendre, et qui est la récompense de leurs bienfaits.

Osons donc substituer à ces éloges, qu'un long usage sembloit avoir consacrés, la naïve et sincère expression des sentimens des gens-de-lettres. Plus le Roi se refuse aux louanges, plus il nous inspire la confiance de lui adresser nos vœux et de lui montrer nos espérances; car une ame inaccessible à la flatterie est toujours ouverte à la vérité.

i (1) L'abbé de Radonvilliers, directeur de l'Académie.

Le Roi protégera les Lettres; il le doit à sa gloire, il le doit au public, à qui la littérature devient tous les jours plus chère, et dont les vœux unanimes déterminent toujours la volonté des Dons Rois. Espérons qu'il sera érigé, sous son règne, de grands monumens; qu'il sera fait des établissemens utiles aux Sciences; qu'on exécutera de ces grandes entreprises qui doivent être faites par les Souverains, parce qu'elles ne peuvent l'être que par eux.

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Il est vrai qu'on ne voit point parmi vous un ministre puissant qui vienne se reposer de ses travaux dans le sanctuaire des Muses, et faire réfléchir sur elles les rayons de sa gloire; mais il existe un génie invisible, qui, prêtant à la jeunesse du Roi les secours de l'expérience, lui fera connoître toutes les ressources de la nation qu'il· a le bonheur de gouverner; et on reconnoîtra sans peine la main qui rassembla dans de vastes édifices toutes les productions de la nature, et dans d'autres le dépôt immense des connoissances humaines; qui dirigea les voyages des savans dans toutes les parties de l'univers, soit pour recueillir les précieux restes de l'antiquité, soit pour rapporter cette mesure de la terre que la France a la gloire d'avoir donnée aux autres nations.

Mais ces bienfaits éclatans ne sont pas les seuls que les Lettres doivent attendre dans le dix-huitième siècle.

Quand on sortoit de la barbarie, c'étoit aux

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