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princes à faire de grands efforts pour introduire la littérature dans leur patrie; mais chez une nation déjà instruite, et par qui la science et les talens sont révérés, le plus précieux de tous les biens pour les gens de lettres, est la liberté de don ner l'essor à leur génie. La gloire, seul but de leurs travaux, peut seule en être le digne salaire, ou si les faveurs des souverains leur sont encore nécessaires, si la profession des lettres exige ce loisir qu'un dieu avoit procuré à Virgile, que la carrière soit ouverte; et ceux qui seront nom. més vainqueurs par le suffrage des peuples; recevront les prix de la main des souverains.

Non, Messieurs, vous ne demanderez point au maître d'un grand empire de se distraire des soins les plus importans, pour se livrer lui-même à vos sciences et à vosarts, et s'en constituer le juge. Vous ne lui direz point, comme dans les siècles d'adula. tion, que son goût, toujours sûr, doit inspirer tous les artistes;queses connoissances personnelles doivent guider les recherches de tous les savans; que ce sont ses suffrages qui doivent entraîner ceux du public.

Disons plutôt à tous les Rois ce que l'antiquité disoit à Rome, maîtresse du monde : que d'autres fassent respirer le marbre et l'airain; que d'autres décrivent le mouvement des astres; vous Rois, n'oubliez jamais que votre emploi est de régir les peuples.

Qui, sans doute, protégez les lettres : mais ce

n'est point la protection d'un savant ni celle d'un artiste qu'elles vous demandent ; c'est celle d'un Roi qui honore les sciences, parce qu'elles feront la gloire de son règne, et qu'il leur a déjà l'obligation d'avoir trouvé une nation disposée à seconder ses vues, et à sentir tout le prix de ses soins paternels; qui, dans la dispensation de ses bienfaits, ne suit point les mouvemens toujours trompeurs d'une affection personnelle, et ne considère dans les savans que le mérite, les talens, et les travaux, sûr de ne jamais se tromper dans ses jugemens, parce qu'il ne juge que d'après le témoignage infaillible d'une nation éclairée.

DISCOURS

Prononcé le 27 avril 1775, par M. le chevalier DE CHASTELLUX, lorsqu'il fut reçu à la place de

M. DE CHATEAUBRUN.

DES CAUSES QUI PERFECTIONNENT OU CORROMPENT LÉ GOUT.

Messieurs,

Si la place à laquelle vous daignez m'appeler fut toujours la récompense la plus flatteuse pour les gens de lettres, quel prix ne doit-elle pas avoir acquis à leurs yeux, depuis que les applaudissemens du public ont couronné vos suffrages dans l'assemblée la plus brillante (1), et vous ont fait connoître qu'une heureuse dispensation de vos faveurs venoit d'acquitter les dettes d'une Nation sensible et éclairée. Le temple des Muses est donc aussi le sanctuaire de la vertu ! Heureux celui qui, osant s'en approcher, voit sa route tracée par des

(1) Le jour de la réception de M. de Malesherbes.

restiges respectables, qu'il reconnoît avec joie et suit avec confiance! Il peut du moins trouver dans son cœur une excuse à sa témérité; et plein du sentiment qui l'entraîne vers vous, ne consulter que son penchant, content d'obtenir de votre indulgence ce qu'il n'ose attendre de votre justice. Non, Messieurs, jamais l'ambition qui s'élève jusqu'à vous ne fut plus pardonnable; jamais tant de motifs réunis ne rendirent l'honneur de vous appartenir plus cher et plus précieux. Quelque talent qu'on préfère, quelques qualités éminentes qu'on admire, on est sûr de les trouver parmi vous; et soit qu'une étude tranquille et réfléchie retienne le citoyen dans une utile solitude, soit que des devoirs plus pressans le rappellent au sein de la société, c'est toujours ici qu'il peut trouver, et ses guides et ses modèles. Aussi vos honneurs et votre éclat augmentent de jour en jour. Le temps qui flétrit tout, le temps, dont le pouvoir destructeur, s'attachant à ce que les hommes ont produit de plus noble et de plus beau, fait trop souvent succéder les regrets à l'admiration, le temps a respecté un établissement consacré à l'immortalité; et comme il faut que son influence soit toujours ressentie, il se plaît à embellir ce qu'il ne peut détruire. Quelle gloire pour votre fondateur, pour ce Ministre ardent et laborieux qui, placé par le sort dans des temps de crise et de malheur, ne put préparer le calme qu'en dirigeant les orages! Sans doute son ame, agitée par

le mouvement même qu'il imprimoit, dut quelquefois se reposer avec plaisir sur la plus heureuse des idées que lui ait suggérées son génie. Il lut dans l'avenir vos progrès, mais put-il en prévoir l'éten due et la rapidité?

Au moment de sa naissance, l'Académie, concentrant en elle-même les lumières de la Nation, ne voyoit au-delà que d'épaisses ténèbres. Son premier soin fut de cultiver le vaste champ des Arts et des Lettres, depuis long-temps négligé, et de créer ainsi un domaine aux Muses étrangères et délaissées; le second fut d'appeler à elle une Nation encore assoupie, qui n'avoit coutume de s'éveiller qu'au bruit des armes. Je n'entreprendrai pas de décrire vos succès; les noms brillans qui ont illustré le dernier siècle, sont assez souvent répétés par l'admiration et par l'envie. Je dirai seulement que ce concours d'un peuple entier à l'avancement des connoissances humaines, que cet intérêt général qu'on prend aux lettres, que cette attention suivie qu'on leur donne, ne pas des avantages aussi anciens qu'on le pense. Eh! comment pourrois-je en douter, moi, qu'un amour vif et toujours soutenu de vos préceptes et de vos ouvrages a conduit, dès ma plus tendre jeunesse, dans vos assemblées publiques? Là, témoin d'une impression qu'il m'étoit si doux de partager, j'ai vu d'années en années augmenter le nombre de vos auditeurs et la vivacité de leurs applaudissemens; j'ai vu l'émulation croître autour

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