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au commerce des Muses, mérita d'être celui de toutes les nations, de tous les âges et de tous les états; il n'appartenoit, dis-je, qu'à Horace, de développer des principes qu'on suivoit sans les connoîtré, et de réduire le sentiment en préceptes. Avec quelle rapidité coulent-ils de sa plume dans cette épître aux Pisons, qu'il composa en se jouant, et qui obtint de la postérité le nom d'Art Poétique !!

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Peut-être l'éloquence eut-elle une autre mar che; peut-être Cicéron fut-il plutôt occupé à élever la prose latine au niveau de celle des Grecs, qu'à la rapprocher du génie de sa nation; mais s'il mit trop de recherchés à imiter l'harmonie de la période grecque, la profonde raison qui règne dans ses harangues, comme dans ses ouvrages de littérature, montre assez qu'il pensoit avant de parler, et qu'il ne s'adressoit qu'à des hommes sensés. Quoi qu'il en soit, c'est à ses efforts si souvent heureux, et si rarement pénibles, que la prose latine dut son lustre et sa gloire; et lorsque quittant la tribune aux harangues, elle prêta ses charmes à l'histoire, elle devint sous la plume des Tite-Live, des Salluste et des Tacite, le modèle le plus parfait que l'antiquité nous ait laissé.

Que restoit-il donc à désirer aux Romains! Le Capitole s'étoit enrichi des dépouilles de cent peuples vaincus; mais des trésors plus précieux, les conquêtes de l'esprit, demandoient un asile. Le temple du goût fut élevé par les mains de la

poésie et de l'éloquence. Pourquoi cet édifice eutil si peu de solidité? Pourquoi le vit-on s'ébranler et se dégrader long-temps avant que les barbares vinssent consommer sa ruine? En accuseronsnous cette fatalité qui veut que toutes les choses humaines aient un progrès et une décadence? Non, Messieurs, nous ne devons avoir recours à ces similitudes, à ces analogies forcées, que lors qu'après avoir consulté notre raison, nous trouvons qu'elle ne nous a donné aucune réponse satisfaisante. Les animaux et les végétaux croissent et dépérissent, parce que le principe qui sert à les nourrir, tend aussi à leur destruction: il n'en est pas de même du goût et des connaissances, qui, n'étant pas concentrés dans un seul individu, et se transmettant de race en race, ne portent en eux-mêmes aucun principe destructeur.

Jetons un regard plus attentif sur cette époque singulière où l'espace d'un siècle suffit à la perfection et à la décadence des lettres, où la lumière brilla de l'éclat le plus vif et disparut tout-à-coup, comme ces météores passagers qui ne percent un moment l'obscurité des nuits, que pour les rendre ensuite plus ténébreuses et plus lugubres: nous verrons, Messieurs, qu'après les guerres civiles, les Romains enorgueillis de la conquête du monde, encore récente, étoient plus flattés de cette gloire chimérique, qu'affligés de la perte de leur liberté; qu'ils regardèrent le vainqueur d'Antoine et de Brutus, plutôt comme un pacificateur que

comme un maître, et qu'en éprouvant auprès de lui tout le poids de l'autorité, ils n'eurent pas du moins le sentiment accablant de l'humiliation. Le génie exalté par les guerres civiles, les talens excités par le commerce des Grecs, durent donc conserver encore leur activité et leur ressort: il n'en fut pas de même sous le gouvernement capricieux et féroce de ses successeurs. Bientôt au fardeau de l'oppression se joignit la honte d'obéir à un Empereur qui n'étoit pas né citoyen de Rome. A la suite de ces princes étrangers, on vit venir des provinces les plus éloignées, une foule de nouveaux littérateurs, de nouveaux philosophes, fruits précoces des connoissances qui s'étoient étendues avec les armes romaines. La philosophie profita de leurs travaux ; mais le bon goût dut en souffrir: car si la raison aime à faire des prosélytes, le goût plus fier et plus exclusif, ne reconnoît pour disciples que ceux qu'il a élevés lui-même, et qui sont nés sous ses auspices.

Ajouterai-je encore que la morale même influa sur les lettres ? L'esprit humain, toujours exagé ré, toujours prêt à passer d'une extrémité à l'autre, ne réprouva la licence des mœurs, devenue trop générale, que pour se livrer à l'austérité stoïque. Cette austérité pénétra dans le langage et dans le style. Le sévère disciple de Zénon crut devoir s'interdire jusqu'au luxe des paroles; ses pensées, toujours fortes, toujours énergiques, ne purent se prêter à des ornemens qui les gênoient

dans leur marche, et les empêchoient de se presser les unes sur les autres. De là ce goût des sentences et des antithèses; de-là ce changement dans le style et dans la littérature, qui se fit apercevoir long-temps avant que la tyrannie eût imposé silence aux écrivains, et que l'invasion des barbares eût détruit jusqu'à la trace de leurs ou

vrages.

Détournons nos regards de ces funestes objets. Eh! qui pourroit voir sans amertume l'histoire grossir ses fastes des malheurs de la terre, tandis qu'une lacune de dix siècles interrompt les annales de l'esprit humain? Semblables au voyageur, qui, las d'errer dans les ténèbres, tient les yeux fixés sur l'Orient, pour y chercher les premières clartés de l'aurore, continuons d'observer la Grèce et l'Italie. Du commerce réciproque de ces heureuses contrées, nous verrons renaître encore et les beaux-arts et les belles-lettres : une seconde fois l'Italie doit à la Grèce ses maîtres et ses modèles; une seconde fois elle les imite et les égale.

Quel sera le fruit de cette nouvelle révolution? Si dans les beaux jours de Rome, le goût délicat et pur, le bon goût dut son origine à la communication établie entre deux peuples spirituels et éclairés, que ne feront pas ces nouveaux disciples, dont l'admiration et la critique vont s'exercer à-la-fois sur les Grecs et sur les Latins, et qui, possesseurs de deux immenses trésors, peuvent y puiser sans réserve et choisir sans partialité!

Avouons-le, Messieurs, l'effet ne répondit pas à l'apparence, et cette apparence elle-même ne pouvoit tromper que des yeux peu clairvoyans. Une trop grande distance séparoit les nouveaux littérateurs des anciens ; et cette distance étoit d'autant plus difficile à franchir, qu'elle se faisoit sentir également dans le langage et dans les mœurs: dans le langage, par le mélange des idiomes barbares avec les langues anciennes; dans les mœurs, parce que toutes les idées politiques et religieuses étoient changées, parce que l'esprit des nations du Nord avoit influé et même prévalu sur celui des nations du Midi, parce que toute législation étant anéantie ou avilie, les vertus et les vices avoient pris un caractère isolé et individuel, que le courage n'étoit plus que de la chevalerie, l'héroïsme que du romanesque, l'amour que de la galanterie, la religion même qu'un assemblage monstrueux des dogmes les plus saints et des pratiques les plus puériles et les plus ridicules.

Parmi tant d'obstacles qui s'opposoient à la restauration des lettres, que pouvoit-on espérer? Le goût national, si l'on peut donner ce nom à un goût grossier et barbare, étoit trop éloigné de celui des anciens, pour qu'ils agissent l'un sur l'autre aussi restèrent-ils absolument séparés ; de sorte que les hommes tirés de leur lethargie par les Muses qui fuyoient devant le fer ottoman, suivirent alors deux routes différentes: les uns,

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