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<< mort. L'homme, comme tout ce qui l'environne, est soumis à l'éter«< nelle fatalité de la transmigration; il passe par toutes les formes de la « vie, depuis les plus élémentaires jusqu'aux plus parfaites; sa place, <<< dans l'immense série des êtres, dépend du mérite des actions qu'il accomplit en ce monde. Ainsi l'homme vertueux, après cette vie, doit <«< renaître avec un corps divin, le coupable avec un corps de damné. >> Jusque-là, rien d'essentiellement contraire au brahmanisme. Mais voici où la ligne de séparation inconciliable se montre. «Selon Sakia, les ré«< compenses et les châtiments n'ont, comme le monde même, qu'une <«< durée restreinte. Le temps épuise le mérite des actions vertueuses et «la faute des mauvaises. La loi éternelle du changement ramène égale<«ment sur la terre le dieu et le damné, pour les soumettre, l'un comme «l'autre, aux misères de la vie, et leur faire parcourir une suite iné«puisable de transformations toujours nouvelles. L'unique moyen de s'y << soustraire, qu'apporte la loi nouvelle, c'est l'anéantissement complet, « dont la mort physique n'est que le signe précurseur pour quiconque << mérite de l'obtenir. » Ceci, joint au mélange des castes, est le principe destructeur du système brahmanique. On conçoit que les brahmanes aient dû s'attacher à le détruire, à l'extirper par tous les moyens politiques et religieux qui étaient en leur puissance, et par lesquels ils ont réussi à l'expulser entièrement de toutes les parties de l'Inde où pouvait s'étendre leur domination. Voilà pourquoi, en retrouvant et mettant au jour ces véritables traits de la naissance du bouddhisme indien, M. E. Burnouf a pu dire qu'il le conduirait jusqu'au moment où il entre dans l'histoire de l'Inde. Mais ce premier fondement nécessaire et certain de toute recherche historique ultérieure n'avait jamais été distinctement posé et établi comme il l'a fait. Au reste, le résultat est plus beau qu'il ne l'a dit et qu'il ne lui convenait de le dire : c'est une grande page retrouvée de l'histoire générale du genre humain.

Nourris, comme nous le sommes, dans la spiritualité du christianisme, cette religion de l'âme, où le bonheur d'une vie intellectuelle, éternellement pure, est promis au juste pour prix de la vertu, et offert au coupable comme suite du pardon toujours accordé au repentir, nous avons peine à comprendre par quelle aberration d'idées l'extinction de tout sentiment physique et moral, en un mot l'anéantissement, ou le nirvâna bouddhique, peut être présenté comme un but désirable, et accueilli comme une espérance par des peuples qui, si simples qu'on les suppose, sont pourtant doués de cette faculté intelligente dont l'expansion indéfinie inspire naturellement à tous les hommes le désir, sinon l'espoir, d'un état futur, où ils pourront être dédommagés des souffrances

endurées dans cette vie. Mais nous concevrons mieux ce fait, si nous considérons de près les effroyables terreurs que doit inspirer aux populations indiennes leur croyance séculaire dans la fatalité de la transmigration, qui ramène éternellement l'homme à travers les misères de l'existence physique, en le punissant, à chaque retour, de fautes antérieures dont il n'a plus la conscience, ni le souvenir pour se préserver d'y retomber. Déjà on a pu voir que le bouddhisme ne détruit point ce dogme; il s'appuie, au contraire, sur l'effroi qu'il inspire, et en tire un de ses moyens de conversion les plus puissants. Il aurait, sans doute, tenté vainement de le détruire dans l'esprit des populations indiennes, où le brahmanisme sacerdotal, et les livres brahmaniques de toutes les époques, se sont attachés, s'attachent encore à l'enraciner profondément, le détaillant sous mille formes et le revêtant des couleurs les plus terribles. Parmi tant d'exemples que l'on pourrait apporter de ces conceptions saisissantes, j'en citerai un, que je tire du Bhagavata Pourâna, ouvrage dont les deux premiers volumes ont été traduits du sanscrit par E. Burnouf, il y a quelques années. C'est un poëme religieux en l'honneur de Chrichna, supposé l'incarnation de Vichnou, deuxième personne de la triade indienne. Quoiqu'on le croie moderne, il est dans l'Inde un des livres brahmaniques les plus vénérés. En racontant la série des misères auxquelles l'homme est astreint par la loi de la transmigration, l'auteur hindou décrit, au chapitre xxxi, les phases de son retour à une nouvelle existence temporaire. Il considère alors l'embryon humain, à partir de l'instant de la conception, lorsqu'il n'est encore qu'un germe imperceptible. Bientôt il devient une masse de chair informe, où se développent peu à peu une tête, des bras, des pieds, des mains, des ongles, et tous les autres organes physiques qui doivent le spécifier. Arrivé à cinq mois, le poëte vous le montre péniblement replié sur lui-même, endormi dans les plus ignobles réceptacles du ventre de sa mère, sans connaissance de son individualité morale, mais ressentant déjà les angoisses de la faim et de la soif, qu'il ne dépend pas de lui d'apaiser. Dans cette condition misérable, il s'éveille, en reçoit la notion distincte, avec le souvenir désespérant de toutes les mauvaises actions qu'il a commises dans ses existences précédentes, et la prescience des douleurs, des souffrances, par lesquelles il va en être puni dans le cours d'une nouvelle vie. Dès lors, effrayé, sans repos, cet être infortuné s'agite vainement au milieu de ses terreurs, déplorant la triste mais inévitable destinée qui l'attend. Enfin, lorsqu'il ne peut supporter cet état effroyable, Maya, la déesse des illusions, qui en fait son jouet, lui ôte la mémoire, la conscience de son passé, puis le lance dans la vie,

à travers les déchirements, les cris, le sang et les pleurs. Conçoit-on maintenant que l'extinction absolue de l'individualité, l'anéantissement complet de l'âme et du corps, en un mot, le nirvâna bouddhique, avec son insensibilité, sa torpeur, et son exemption de tout sentiment moral et physique, ait pu être annoncé et accepté comme un salut et une délivrance, comparativement à la succession, fatalement éternelle, de pareilles conditions? La voilà donc cette sagesse tant vantée de l'Inde, cette religion morale, élevée, pure, car on lui a prodigué tous ces titres, pleine de mythes sublimes, dont on a tant célébré les hautes abstractions! La voilà présentée, pour la première fois, dans sa nudité pratique, dans sa réalité historique, telle qu'elle a existé depuis tant de siècles, telle qu'elle subsiste encore aujourd'hui. Sans doute, personne n'a droit de se louer des avantages qu'il tient de la destinée; mais, quand on se représente bien le sort des malheureuses populations qui ont subi, depuis un temps immémorial, le joug de superstitions si terribles, on peut se féliciter d'être né chrétien.

(La fin au prochain cahier.)

BIOT.

LEXICON MANUALE HEBRAICUM ET CHALDAICUM, in quo omnia librorum Veteris Testamenti vocabula ad ordinem alphabeticum digesta, necnon linguæ sanctæ idiomata explanantur, tandem loca sacri textus difficiliora scholiis seu brevibus commentariis illustrantur; cum indice latino vocabulorum. Auctore J. B. Glaire, decano et Scripture sacræ professore in sacra facultate theologiæ Parisiensi. Editio altera multisque modis emendata, aucta atque locupletissima. Parisiis, 1843, in-8°.

TROISIÈME ARTICLE1.

Il existe un animal qui se trouve plusieurs fois indiqué dans le texte hébreu de la Bible; c'est celui qui est désigné par le mot reèm ou rem, ou 7. Dans la prophétie de Balaam 2, on trouve ces mots, en parlant de Dieu : « C'est lui qui a tiré les Israélites de l'Égypte; 17 in. Il a une élévation comparable à celle du reèm.» Dans le cantique de Moïse 3, Joseph est représenté comme ayant des

1

Voir, pour le premier et le deuxième article, les cahiers d'octobre 1844 et avril Nombres, ch. XXIII, V. 22. - Deuteronome, ch. XXXIII v. 17.

1845.

2

3

cornes semblables à celles du reèm 77, avec lesquelles il doit frapper tous les peuples jusqu'aux extrémités de la terre. Dans le livre de Job 1, Dieu, s'adressant à cet homme vénérable, lui dit : « Le reèm s'empressera-t-il de se mettre à ton service? Passera-t-il la nuit dans ton étable? L'attacheras-tu avec des cordes près du sillon? Viendra-t-il à ta suite herser les plaines? Te fieras-tu à lui, malgré sa force prodigieuse? Lui abandonneras-tu le fruit de tes travaux? T'en rapporterastu à lui, pour ramener tes grains et les amonceler dans ton aire?» Dans les Psaumes 2, on lit : « Sauvez-moi de la gueule du lion; exaucezmoi (en me délivrant) des cornes du reèm. » Ailleurs 3: « Le Liban et la montagne de Schirion bondiront comme le petit du reèm. » Plus bas":

.Vous avez eleve ma corne comme celle du reem » ותרם כראם קרני

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Enfin, le prophète Isaïe 5, parlant du carnage qui doit avoir lieu à Bosra et dans toute l'Idumée par ordre de Dieu, ajoute : « Les béliers, les boucs, les reèm, les veaux, les taureaux, arriveront tous ensemble (pour être égorgés). » Il résulte de ces différents passages que le mot reèm O ou désignait un animal, du genre du bœuf, qui était remarquable par sa grande taille et ses cornes élevées, que sa force et sa férocité rendaient éminemment redoutable.

La version des Septante a rendu le mot par povóxepws, licorne. Mais, en admettant même la réalité de l'existence de la licorne, cette interprétation ne pourrait être véritable, puisque, dans les passages indiqués, il est fait mention, non de la corne, mais des cornes du reèm; ce qui exclut tout à fait l'idée d'une licorne. Saint Jérôme et d'autres traducteurs ont cru voir ici le rhinocéros; et cette opinion a été également adoptée par Ludolf. Sans doute une pareille hypothèse semblerait plus naturelle, puisque le rhinocéros d'Afrique a réellement deux cornes; mais plusieurs raisons doivent, ce me semble, faire rejeter ce sentiment. D'abord, le mot reèm, qui, comme nous l'avons vu, se trouve plusieurs fois chez les écrivains de la Bible, devait désigner, non pas un animal relégué dans les forêts du centre de l'Afrique et de l'Inde, mais un animal qui vivait dans les contrées voisines de la Palestine, et qui devait être bien connu des habitants de ce pays. En outre, cet animal devait offrir des ressemblances avec le bœuf. Or ces caractères ne sauraient convenir au rhinocéros.

D'autres commentateurs ont voulu voir ici le buffle; d'autres enfin,

à l'exemple de Bochart, dont l'opinion a été développée et fortifiée 3 Psaume XXIX, v. 6.

1

2 Psaume XXII, v. 22. Ch. xxxix, v. 9 et suiv.

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Psaume XCII, V. 11.

6

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5 Ch. XXXIV, v. 7.
Ad Historiam aethiopicam Commenta-
"Hierozoicon, t. II, 13 et
p.
edit. Lips.
seq.,

7

par M. Rosenmüller et autres critiques, supposent que le mot reèm O désignait l'oryx, c'est-à-dire le chamois. Mais je ne saurais souscrire à cette opinion. D'abord, le chamois ne se trouve pas, je crois, dans la Palestine, ni dans les contrées voisines, qui ne renferment que des collines, des montagnes peu élevées, tandis que le chamois se plaît sur les cimes des rochers les plus hauts, les plus escarpés. Le mont Liban et l'Anti-Liban n'offrent pas même cet animal. Si Hasselquist, dans son Voyage, assure que l'on rencontre fréquemment, dans les déserts de l'Égypte, les traces du chamois, il faut voir ici une faute du traducteur français, qui a substitué le chamois à la gazelle. En second lieu, l'oryx, malgré la description emphatique d'Oppien, n'est pas un animal bien redoutable. Il a plutôt recours à sa légèreté qu'à sa force pour se soustraire aux attaques de ses ennemis; et il ne fait usage de ses cornes qu'au moment où, acculé dans un passage impraticable, il n'a d'autre ressource que de se défendre avec le courage du désespoir. Par conséquent, on ne pourrait appliquer à cet animal les caractères de force et de férocité que les livres saints donnent au reèm. Enfin, une dernière observation vient encore à l'appui de mon hypothèse. Dans le même chapitre où Job parle du reèm, il fait mention d'un autre animal appelé iaël you ieël asselaïm yon by, «iaël des rochers.» Or ce dernier animal est évidemment le chamois; par conséquent, le mot 7, qui vient immédiatement après, ne saurait avoir la même signification. Il existe dans l'Orient une antilope, appelée par les Arabes bakar-elwahsch«bœuf sauvage,» auquel conviendraient certainement quelques-uns des traits indiqués ci-dessus. Mais, d'un autre côté, le bakar-elwahsch est un animal un peu farouche, il est vrai, indocile comme tous les animaux sauvages, mais qui n'a rien de féroce; qui, comme les antilopes, les gazelles, est peu dangereux, et qui, lorsqu'il est pris jeune, peut, jusqu'à un certain point, se faire à la vie domestique.

Suivant moi, le mot 7 a dû désigner le buffle. A coup sûr, cet animal, sous le rapport de sa force prodigieuse, de l'ampleur de ses cornes, de sa férocité brutale, a pu être cité comme le type d'un ennemi dangereux, d'un guerrier terrible. Je sais bien que, si l'on a observé le buffle tel que l'a un peu modifié la main de l'homme et de la civilisation. tel qu'il existe en Égypte, sur les bords du Nil, ou dans les marais Pontins, on sera tenté de contester quelques-uns des traits contenus dans le portrait que les livres saints nous font du reèm. Mais il faut se représenter ici le buffle sauvage, tel qu'il se trouve encore aujourd'hui en si grand nombre dans les forêts du nord de l'Abyssinie et dans celles du

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