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ensemble par une interprétation basée sur l'expérience, vous pouvez partir des conclusions générales déduites des observations contrôlées par l'expérience, que vous posez en principes, et dont vous vérifiez l'exactitude par des expériences subséquentes. Conséquemment, si la méthode expérimentale et la méthode à posteriori sont pour nous la même chose, et si la méthode à priori ne peut jamais remplacer la méthode expérimentale dans les recherches de philosophie naturelle, lorsqu'il s'agira de l'enseignement ou de la démonstration, on pourra suivre avec avantage la méthode à priori, à la condition, bien entendu, de prouver les principes par des expériences ultérieures.

On a distingué les sciences d'observation, telles que l'anatomie comparée, la méthode naturelle, d'avec les sciences expérimentales, et nous même avons admis cette distinction 1; mais, en y réfléchissant bien, on verra qu'elle n'est pas absolue, mais relative à l'état actuel des connaissances composant aujourd'hui les sciences de ce groupe. Nul doute, pour nous, qu'il n'arrive une époque où l'anatomie comparée et la méthode naturelle ne pourront plus rester isolées dans leur spécialité, par la raison qu'un certain nombre des éléments qu'elles apportent à la science générale de l'organisation, vers laquelle toutes les deux convergent, nécessiteront impérieusement le contrôle de l'expérience pour être admis ultérieurement comme vérités.

(La suite à un prochain cahier.)

E. CHEVREUL.

INTRODUCTION à l'histoire du buddhisme indien, par M. E. Burnouf, membre de l'Institut de France, etc., etc. Tome Ier. 1 vol. in-4° de 648 pages. Paris, Imprimerie royale, 1844.

TROISIÈME ET DERNIER ARTICLE 2.

Dans ce qui précède, M. E. Burnouf nous a montré la naissance et le premier établissement du bouddhisme indien, en le définissant surtout par les actes, le mode d'enseignement et les paroles mêmes du réformateur qui l'a introduit au milieu des institutions brahmaniques.

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Discours prononcé dans la séance publique des cinq académies de l'Institut, le 2 mai 1839. Voir, pour le premier et le deuxième article, les cahiers d'avril et de

mai de cette année.

Maintenant, s'appuyant toujours sur les textes originaux d'où il avait tiré ces premiers faits, il cherche à y découvrir quelles ont été les règles de discipline morale et pratique, primitivement attachées à ce nouveau système religieux, et les idées métaphysiques, originairement associées comme croyance à sa conception, ou aux premières phases de son développement. C'étaient là, en effet, deux compléments indispensables du tableau que M. E. Burnouf avait voulu tracer; et ils occupent la seconde moitié de son ouvrage. Mais cette partie de son travail devait, par la nature du sujet, se composer de particularités dont les preuves détaillées ne sauraient bien se voir et s'apprécier que dans l'exposition même qu'il en donne. C'est pourquoi, me bornant à recommander cette intéressante lecture aux personnes érudites qui voudront en faire un objet d'étude spécial, j'essayerai seulement d'en rassembler ici les résultats généraux, que je reproduirai, autant que cela me sera possible, dans les termes par lesquels l'auteur les a lui-même exprimés, afin que l'on y trouve l'énoncé fidèle des faits qu'il est parvenu à éta

blir.

Comme on devait s'y attendre, dans les textes où Sakia paraît en personne réelle, et que les formes de leur rédaction désignent pour les plus anciens, la discipline se voit réalisée en pratique, plutôt que régularisée ou prescrite dogmatiquement. Pour se faire religieux bouddhiste il suffit de se sentir touché par la foi, de déclarer au Bouddha la ferme volonté de le suivre, et de prouver qu'on est libre ou autorisé à cet effet, le fils ou la fille par ses parents, l'esclave par son maître. Les individus contrefaits, atteints de maladies incurables, ou coupables d'un des quatre grands crimes condamnés par les brahmanes, le meurtre, l'ivrognerie, le vol et l'inceste, ne sont point admis; s'ils l'ont été par erreur, on les rejette. Le mode d'admission est fort simple. Le Bouddha faisait raser les cheveux et la barbe du néophyte ; il lui faisait prendre pour vêtement un manteau composé de haillons rapiécetés et teints en jaune, la nudité qu'affectent les ascètes brahmaniques étant formellement proscrite comme violation de la pudeur. Ainsi revêtu, il était mis sous la direction d'un religieux plus âgé, qui devait l'instruire, ce que faisait, dans les premiers temps, Sakia lui-même, lorsque ses disciples étaient encore peu nombreux. Après un noviciat dont la durée paraît avoir été alors abrégée en raison de la rareté des adeptes et de la ferveur d'un prosélytisme naissant, l'aspirant était reçu religieux bouddhiste, désormais séparé du monde, devant subsister uniquement d'aumônes mendiées chaque jour; devant aussi se montrer chaste, humain, secourable, patient à souffrir toutes sortes de mauvais traite

ments et d'injures, non-seulement avec résignation, mais avec reconnaissance, comme expiation de ses fautes antérieurement commises.

Le mode de vie que Sakia recommande, et qu'il avait longtemps pratiqué lui-même avant de prendre le titre de Bouddha, c'est la solitude contemplative. Néanmoins, pendant les quatre mois que dure la saison des pluies dans l'Inde, les communications étant rendues difficiles, les religieux pouvaient discontinuer leur vie de mendiants vagabonds, et se retirer temporairement dans des demeures fixes, résider chez des brahmanes bienveillants ou chez des chefs de famille qu'ils savaient leur être favorables; là, s'occuper à méditer sur les points de leur croyance, ou travailler à la répandre par l'instruction et les bons exemples. Cette saison expirée, ils devaient se réunir de nouveau en assemblées de fidèles, et s'interroger mutuellement sur les points de doctrine qu'ils avaient médités pendant leur retraite. Cet usage, que les textes s'accordent à faire reconnaître comme très-ancien, dut naturellement déterminer bientôt l'organisation des religieux en un corps régulier, et amener l'établissement des monastères fixes, que l'on trouve plus tard avoir été si multipliés dans toutes les parties de l'Inde où le bouddhisme était devenu florissant.

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Une particularité bien remarquable de ces assemblées, qui paraît remonter aux premiers temps du bouddhisme et avoir été contemporaine de Sakia lui-même, c'est l'institution de la confession publique. «On la <«< voit, dit M. Burnouf, fermement établie dans les plus anciennes légendes, « et il est aisé de reconnaître qu'elle tient aux bases mêmes des croyances «bouddhiques. La loi fatale de la transmigration attache, comme nous <«<l'avons dit, des récompenses aux bonnes actions, des peines aux mau« vaises. Elle établit même la compensation des unes par les autres, en of« frant au coupable le moyen de se relever par la pratique de la vertu. Là « est l'origine de l'expiation, qui tient tant de place dans la loi brahma«nique. Le pécheur, en effet, outre l'intérêt de sa réhabilitation présente, « devait aspirer à recueillir, dans une vie ultérieure, les fruits de son repentir. Cette doctrine est passée dans le bouddhisme, qui l'a reçue « toute faite, avec tant d'autres éléments de la société indienne. Mais «elle y a pris une forme nouvelle, qui en a considérablement modi« difié l'application pratique. Les bouddhistes ont continué de croire, « comme les brahmanes, à la compensation des mauvaises actions par « les bonnes, car ils admettaient comme eux que les unes étaient fatale<«ment punics, les autres fatalement récompensées. Mais, d'une autre part, ne croyant plus à l'efficacité morale des tortures, et des supplices « volontaires ou involontaires par lesquels, selon les brahmanes, le

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coupable pouvait effacer ses crimes, idée que Sakia a formellement « réprouvée, l'expiation se trouva naturellement réduite à son principe, « c'est-à-dire au sentiment du repentir; et la seule forme qu'elle reçut dans la pratique fut celle de l'aveu ou de la confession. La formule expiatrice était : A cause de cette faute, confesse que tu as péché; et, « par cet aveu accompagné de repentir, ta faute sera diminuée, elle sera « détruite, elle sera pardonnée. » Dès lors les bouddhistes n'eurent plus aucun intérêt à se précipiter sous les roues du char de Djagannatha, pour y chercher l'expiation dans la mort, ni à s'imposer, pour le même but, les pratiques cruelles des ascètes brahmanes ; et si, dans leurs anciennes légendes mêmes, on voit quelques rares sacrifices de la vie, déterminés par une exaltation insensée du sentiment de charité, poussé jusqu'à s'abandonner volontairement en proie à des animaux affamés, ces erreurs déplorables ne furent que des applications exagérées du principe primitif, erreurs trop bien expliquées par la funeste doctrine de la transmigration, qui rabaisse l'homme à l'égal des brutes, dans la succession commune de leurs -existences temporaires. Du reste, l'aveu ou la confession des fautes est évidemment une des conditions les plus naturelles, je dirais presque une forme nécessairement préalable du pardon, dans toute croyance religieuse où il s'obtient par le repentir; et il n'est pas besoin d'attribuer à des communications matérielles d'idées ou de personnes l'identité d'une pratique qui dérive, comme conséquence logique, du principe commun auquel on la trouve associée 1.

Par une autre conséquence également nécessaire, que M.E. Burnouf a aussi judicieusement signalée, le bouddhisme indien primitif ne pouvait pas donner lieu à ce qu'on appelle proprement un culte, en prenant ce mot comme exprimant des actes d'adoration envers un être divin et suprême. Le Bouddha indien n'est pas un dieu mais un homme. Aussi les cérémonies qui se rapportent à ce sujet, dans les légendes, offrent-elles seulement le caractère de vénération et d'hommages rendus à sa mémoire. «On se rassemblait devant l'image du Bouddha, pour lui faire « des offrandes de fleurs et de parfums, en récitant des chants et des

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Dans les Dits mémorables des Lacédémoniens, parmi lesquels il y en a beaucoup qui sont fort peu dignes de mémoire, Plutarque rapporte qu'Antalcidas ayant voulu se faire initier aux mystères de Samothrace, comme le prêtre lui demandait de confesser les fautes qu'il avait commises, « Dieu les connaît,» répondit fièrement le Lacédémonien; et ce mot a été souvent cité comme très-philosophique. Il l'est très-peu, ce me semble. La confession des fautes, faite devant les hommes, est la condition la plus juste et la plus morale du pardon. Faite en secret à Dieu, elle est inutile: il les a vues.

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formules pieuses, accompagnées du bruit des instruments. Du reste, << aucune trace de sacrifices sanglants, ni d'offrandes transmises à une di« vinité par l'intermédiaire du feu d'abord parce que le premier principe fondamental de la doctrine bouddhique est de ne tuer aucun être «< vivant; ensuite parce que la théorie du Véda, suivant laquelle les dieux « se nourrissent de ce qu'on livre au feu, leur messager sur la terre, est << radicalement incompatible avec les idées bouddhiques. Le culte, en « effet, chez les bouddhistes, ne s'adresse pas à un dieu suprême, caché << dans le monde idéal, et chef d'une multitude de dieux secondaires dispersés dans les éléments matériels, comme le conçoit l'imagination des « brahmanes. Il n'a que deux objets; la représentation de Sakia, et quelques ❝ portions de ses os, conservés dans des édifices rendus sacrés par leur pré<< sence. Ce dernier trait encore fait une ligne de séparation bien marquée « entre les deux croyances, car les brahmanes éprouvent une horreur in« vincible pour tout ce qui a eu vie; et ils se purifient soigneusement lorsqu'ils ont rencontré de tels objets, dont la vue seule est pour eux une «souillure. Enfin les mots mêmes confirment cette distinction; car, chez <«<les brahmanes, le culte est appelé vadjña, c'est-à-dire sacrifice; et, <«<les bouddhistes, il s'appelle pûdjâ, c'est-à-dire hommage ou honneur. »Tous les linéaments que je viens de rapprocher sont successivement établis par M. E. Burnouf, sur des passages tirés des textes originaux, et ils sont complétés par une foule de particularités sur la hiérarchie des religieux, leurs ordres, leurs rangs relatifs, les dénominations de ces rangs, et les fonctions qui leur étaient attachées. Mais, quoique je sente bien l'importance, la nécessité de ces détails, pour donner la vérité et la vie à un tableau historique, je ne puis les reproduire dans cette esquisse. Il faut les voir dans l'ouvrage même.

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Je me hasarderais plus témérairement encore, si j'entreprenais une exposition détaillée de la dernière partie de l'ouvrage de M. E. Burnouf qui traite de la métaphysique bouddhique, parce que c'est celle où la connaissance profonde de la littérature et des croyances indiennes devient indispensable pour le suivre. Ce n'est pas, comme on pourrait le croire par le titre du sujet, qu'il ait pris plaisir à se plonger dans ce chaos de conceptions fantastiques propres aux imaginations de l'Inde, où des rêveries abstraites roulent dans un monde fictivement inventé, que remplissent des multitudes indéfinies de divinités fabuleuses; véritables songes, près desquels les métamorphoses d'Ovide sembleraient un livre d'histoire, et auxquels un des esprits les plus distingués de notre époque, A. Rémusat, a malheureusement dévoué pendant trop de temps les forces de son intelligence, pour essayer de reconstruire en un

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