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tiques, il était entré en lutte avec le grand Racine lui-même. Comme l'auteur de Phèdre et d'Athalie, il avait transporté, et presque à la fois, sur une double scène, habilement rajeunies par un mélange discret de traits modernes, quelques-unes des beautés, les moins accessibles à l'imitation, de la scène grecque et de la Bible. Les honneurs littéraires n'arrêtèrent pas l'activité de son esprit, le travail de son imagination. Il ne cessa, dans une longue suite d'ouvrages dramatiques, presque tous applaudis, de renouveler, à des degrés divers, l'éclatant succès de Clytemnestre et de Saul. En même temps il osait prétendre à cette palme de l'épopée si rarement cueillie, objet trompeur de tant d'honorables ambitions, mais qui, peut-être, n'aura pas abusé la sienne. Il la cherchait, tantôt à la suite de Milton, dans les régions divines, merveilleuses, fantastiques, où sa rêveuse pensée se plaisait à se perdre; tantôt, comme le Tasse, plus prudemment, dans le champ de l'histoire, où l'attirait la noble figure d'une vierge inspirée, effroi de l'étranger, recours, orgueil de la France, à laquelle était encore due une réparation poétique. Cette épopée de Jeanne d'Arc, si digne d'intéresser à la fois notre patriotisme et notre goût, Soumet en conçut l'idée dès les premières années de sa jeunesse; elle a occupé ses dernières pensées. Elle était achevée, on aime à le croire, grâce à une héroique persévérance et au zèle de la piété filiale, lorsque s'en est détachée, avec regret, sa main mourante. Ainsi naguère, d'une autre main, d'une main auguste, tout à coup glacée par la mort, était tombé le ciseau créateur qui avait prêté des traits vivants à l'héroïne de Vaucouleurs. Ce n'est pas ici qu'il convient de porter un jugement sur ces productions variées d'un génie fécond, de célébrer ce qui les recommande toutes et en rachète partout les imperfections, l'imagination, la verve, la facilité brillante de l'exécution, un éclat de coloris quelquefois éblouissant, une audace de style heureusement aventureuse. Ces mérites trouveront ailleurs, dans un moment plus propre aux considérations littéraires, des panégyristes moins distraits de leur admiration par leur douleur. Devant cette tombe, et parmi les graves pensées auxquelles elle nous rappelle, songeons plutôt, songeons à l'emploi honorable fait par Soumet de son rare talent... Indifférent à la fortune, ne plaçant même le succès, si naturellement cher aux poëtes, qu'au second rang de ses affections, il rechercha les lettres pour elles-mêmes, et ne leur demanda que le bonheur de les cultiver..... Sa gloire, au milieu de la lutte animée des écoles, des systèmes ennemis, fut protégée par l'affection universelle que lui avaient conciliée les qualités les plus aimables. Les uns lui tenaient compte de son respect pour les traditions reçues, les principes consacrés; les autres, de son goût très-vif pour la nouveauté hardie, de l'ardeur généreuse de ses tentatives; tous l'accompagnaient de leurs vœux, le suivaient de leurs applaudissements, l'admiraient et l'aimaient. Il fut aimé : c'est une grande louange, et celle qui s'accorde le mieux avec la tristesse de ce jour.....

SOCIÉTÉS SAVANTES.

L'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen propose, pour sujet du prix fondé par feu M. l'abbé Gossier, l'un de ses membres, la question suivante, Tracer l'histoire du commerce maritime de Rouen depuis les temps les plus reculés jusqu'à la fin du seizième siècle. » Le prix est de la valeur de 800 francs. Il sera décerné, s'il y a lieu, dans la séance publique de l'Académie, en août 1846. L'Académie des Jeux floraux, de Toulouse, a remis au concours, pour l'année 1846, l'Eloge du Dante.

LIVRES NOUVEAUX.

FRANCE.

Fragments arabes et persans inédits relatifs à l'Inde antérieurement au XIe siècle de l'ère chrétienne, recueillis par M. Reinaud, membre de l'Institut. Paris, 1845, in-8° de xxxv, 227 pages. Depuis quelque temps les indianistes les plus habiles s'attachent à recueillir les données historiques qui sont éparses dans les livres sanscrits et dans les autres documents relatifs à l'Inde. On sait que la littérature des indigènes, brahmanistes et bouddhistes, ne possède pas d'histoire proprement dite. Les Indiens disent que l'âge où nous vivons est une époque de décadence et de corruption, et que tout ce qui se fait depuis longtemps ne mérite pas qu'on le transmette à la postérité. De Guignes et d'autres sinologues pleins de savoir ont essayé de faire servir les témoignages des écrivains chinois à l'éclaircissement des événements propres à l'Inde, et cette mine est loin d'être épuisée. On peut également profiter des renseignements que fournissent les écrivains arabes et persans. A la vérité ces écrivains sont tous postérieurs à Mahomet, et, par conséquent, n'ont pas pu acquérir une connaissance directe de la situation antérieure de la presqu'île; mais ils ont pu avoir à leur disposition des traités sanscrits qui ne nous sont point parvenus. D'ailleurs, pour une civilisation très-ancienne et qui cependant ne possède pas d'histoire, des témoignages qui remontent à douze siècles ne sont certainement pas à dédaigner. En 1838, M. Gildemeister, professeur de langues orientales à l'université de Bonn, publia le premier fascicule d'un recueil intitulé: Scriptorum arabum de rebus Indicis loci et opuscula; mais cette publication n'a pas eu jusqu'ici de suite. Les fragments publiés par M. Reinaud, et qui ont déjà paru dans le Journal asiatique, sont aut nombre de cinq, et tous antérieurs au milieu du x1° siècle de notre ère, époque où l'invasion musulmane dans l'Hindostan amena nécessairement une modification dans l'esprit national. Le texte est accompagné d'une traduction et de notes, et nous paraît propre à exercer la critique des personnes qui font de l'Inde l'objet spécial de leurs études. On trouve parmi ces fragments un récit, jusqu'ici inconnu, de la première invasion des musulmans dans la vallée de l'Indus. Il est digne de remarque que l'orientaliste qui a révélé ces faits est le même qui, il y a quelques années, a le premier soumis à un examen critique le récit des invasions de ces mêmes musulmans à l'autre extrémité du monde alors connu, la France, le nord de l'Italie et la Suisse. Nous devons également signaler à l'attention du lecteur une lettre de M. Adrien de Longpérier sur les médailles des rois de Caboul, lettre qui contient une explication nouvelle de plusieurs points de la numismatique orientale.

Histoire des Samanides, par Mirkhond, texte persan traduit et accompagné de notes critiques, historiques et géographiques, par M. Defrémery, Paris, Benjamin Duprat, 1 vol. in-8° de 1x-296 pages; prix 8 francs. On entend par Samanides une dynastie de princes mahométans qui, aux 1x et x° siècles de notre ère, régnèrent, en général avec gloire, au nord et à l'orient de la Perse, dans le Khorassan et la Transoxiane. L'histoire des Samanides, qui forme un des chapitres de l'histoire universelle de Mirkhond, fut publiée en 1808, en persan et en latin, par feu M. Wilken ; mais cette édition fut faite d'après un seul manuscrit défectueux, et, sous un autre

rapport, elle ne présentait pas toutes les garanties d'exactitude désirables, M. Wil-
ken, homme d'une grande érudition d'ailleurs, étant peu versé dans la connaissance
de la langue persane. Comme le chapitre de Mirkhond sur les Samanides était d'une
haute importance pour l'histoire et la géographie des contrées situées aux environs
de l'Oxus, surtout si on parvenait à l'éclairer à l'aide des moyens que fournit main-
tenant la critique orientale, M. Defrémery a entrepris de le reproduire. Outre le
texte publié par M. Wilken, il a eu à sa disposition trois manuscrits qui se trouvent
à Paris. Il a corrigé les fausses leçons, rétabli les lacunes, réformé la traduction;
enfin les questions qui exigeaient des développements ont été traitées avec toute l'éten-
due qu'elles comportaient. M. Defrémery a été parfaitement servi, à cet égard, par
les richesses, on peut dire inépuisables, que renferme le département des manuscrits
orientaux de la Bibliothèque royale. Il ne s'est pas contenté de consulter les ouvrages
persans, dont il rapporte quelquefois d'assez longs fragments; il a également puisé
dans les écrits des Arabes, généralement antérieurs à ceux des Persans, et qui, pour
ces temps reculés, sont dignes de la plus grande attention. Le volume que vient de
publier M. Defrémery se fait remarquer par beaucoup de soin et d'exactitude dans
la reproduction des textes et dans les éclaircissements qui les accompagnent. La
traduction du texte persan est très-littérale; elle sera particulièrement utile aux
élèves.

Traité historique et descriptif des ordres d'architecture, avec un nouveau système

simplifié....; ouvrage servant d'introduction développée à l'architecture rurale;

avec 32 planches, par M. de Saint-Félix, marquis de Mauremont. Paris, librairie de

P. Bertrand, rue Saint-André-des-Arts, no 38, 1845, in-4°.-Dans ce traité som-,

maire des divers ordres d'architecture, l'auteur a pris pour bases de ses démons-

trations le temple de Neptune à Pæstum, le Parthénon, l'orangerie de Versailles,

le monument de Terracine, le temple de la Fortune virile et le Panthéon d'Agrippa.

L'enseignement pratique étant surtout le but que s'est proposé M. de Saint-Félix, il

entre dans tous les développements nécessaires pour que son livre serve de guide

aux artistes, aux élèves et aux ouvriers. Deux appendices complètent utilement cet

ouvrage. Le premier est une biographie des architectes, qui comprend environ

350 noms; le second est un vocabulaire des termes (au nombre de plus de 5,000)

propres à l'architecture et aux arts qui en dépendent.

TABLE.

JOURNAL

DES SAVANTS.

JUILLET 1845.

Τοῦ ἐν ἁγίοις πατρὸς ἡμῶν Γρηγορίου τοῦ Θεολόγου Αρχιεπισκόπου Κωνσταντινουπολέως τὰ εὑρισκόμενα πάντα.— Sancti patris nostri Gregorii theologi, vulgo Nazianzeni archiepiscopi Constantinopolitani, opera omnia quæ exstant, vel ejus nomine circumferuntur, ad mss. codices Gallicanos, Vaticanos, Germanicos, Anglicos, necnon ad antiquiores editiones castigata; multis aucta, etc., etc. Post operam et studium monachorum ordinis S. Benedicti e congregatione S. Mauri, edente et accurante D. A. B. Caillau, presbytero societatis Misericordiæ sub titulo beatæ Mariæ in sua conceptione immaculate. Tomus secundus. Parisiis, curis et sumptibus Parent-Desbarres, via vulgo dicta de Bussy, 12 et 14. anno 1840.

PREMIER ARTICLE.

On peut s'étonner qu'à une époque où toutes les choses qui tiennent à la religion excitent un si vif intérêt de conscience et de polémique, le volume dont nous venons de transcrire le titre n'ait été l'objet d'aucun jugement critique, d'aucune analyse, et qu'on en ait à peine remarqué l'apparition. Il s'agit cependant de la meilleure édition, de la seule édition complète d'un Père de l'Église grecque, de celui que Bossuet appelait, par excellence, le théologien de l'Orient, et qui fut un saint, un très-bel esprit, et, peut-être, le poëte le plus gracieux et le

plus touchant dont se soit paré le déclin de l'idiome enchanteur de Théocrite et d'Homère.

Sous ce dernier point de vue, et à part le grand intérêt historique et religieux des œuvres de Grégoire de Nazianze, le nouveau volume, qui contient ses lettres et la collection très-augmentée de ses poëmes élégiaques et lyriques, offre, par le fond des sentiments et les formes de l'imagination, l'étude la plus attachante et la plus curieuse que puisse rencontrer le goût de notre siècle. Jamais veine plus abondante de poésie antique et nouvelle, étrangère et native, n'aura jailli pour qui saurait y puiser; jamais on n'aura mieux senti cette harmonie, cette unité de la civilisation chrétienne, qui fait que les méditations d'un Père de l'Église, d'un évêque du Iv° siècle, ressemblent si fort à ce que la mélancolie de notre temps a produit de plus expressif et de plus durable, dans les âmes de poëtes qu'elle a le mieux inspirées.

Serait-ce que la vieillesse de l'empire avait quelques ressemblances avec l'époque avancée où nous sommes? Ou plutôt ne serait-ce pas que la nouveauté sublime, la pure émotion religieuse, qui, dans la décrépitude de l'ancienne société, rajeunissait les âmes par le christianisme, conserve et reproduit sans cesse le même charme d'intérêt et de pathétique?

Quoi qu'il en soit de cet aspect littéraire et à demi-profane, sous lequel on peut considérer aujourd'hui saint Grégoire de Nazianze, il faut dire un mot, d'abord de la lenteur avec laquelle s'est achevée cette édition, et des révolutions d'opinion et de goût qui ont eu le temps de s'accomplir entre le premier et le second volume.

Commencé à la fin du xvir siècle, annoncé en 1708, transmis de main en main à trois éditeurs successifs, publié enfin en 1778 par dom Clémencet, le premier volume, qui renferme seulement les panégyriques et les sermons du saint évêque, avait mis près d'un siècle à paraître; et, grâce à cette lenteur, il tombait à l'époque la moins curieuse d'un tel travail, à quelques années de 1789.

On ne doit pas s'étonner qu'après une telle secousse soixante années se soient écoulées avant la publication du second volume; c'est beaucoup qu'il ait enfin paru avec le même luxe typographique, une riche collection de variantes, plusieurs morceaux inédits ou du moins fort rares et réunis pour la première fois, d'excellentes notes, et deux traductions latines, dont l'une en vers assez purs s'élève parfois jusqu'au talent.

Il n'y avait plus, en effet, de congrégation de Saint-Maur, chargée de continuer cette œuvre traditionnelle. La transcription préparatoire et

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