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xvII et le xvm siècle composent en quelque sorte l'enfance héroïque de la philosophie moderne. Elle est aujourd'hui parvenue à l'âge mûr. Le temps des courses aventureuses dans le champ illimité des hypothèses est passé. Nous n'avons plus cette heureuse ignorance de l'histoire, ni cette audace généreuse, qui expliquent et honorent les égarements de nos devanciers. Quand on n'est ni Descartes ni Malebranche, ni leurs célèbres antagonistes du dernier siècle, on n'a pas le droit de tenter l'impossible. Il faut se réduire au sens commun: c'est encore un assez bel avantage.

V. COUSIN.

SUR LES NACSHATRAS, ou mansions de la lune, selon les Hindoux; extrait d'une description de l'Inde rédigée par un voyageur arabe du XIe siècle.

Ce curieux fragment est tiré d'un manuscrit arabe appartenant à la Bibliothèque royale (fonds Ducaurroy n° 22). La traduction que je vais en présenter à nos lecteurs a été faite par M. Munk, habile orientaliste attaché à cet établissement. Plusieurs dates rapportées par l'auteur arabe dans le cours de son ouvrage montrent qu'il a visité l'Inde vers l'an 1030 de notre ère. M. Reinaud, qui a extrait du même manuscrit des détails géographiques et historiques d'un grand intérêt, a prouvé dans le Journal asiatique d'août 1844, conformément à l'assertion antérieure de M. Munk', que cet auteur est Albirouni, écrivain mentionné par Aboulpharage comme ayant été très-versé dans la philosophie, l'astronomie, les mathématiques, et comme ayant été recueillir dans l'Inde même les doctrines scientifiques des Hindoux.

Pour sentir la valeur de ce fragment, il faut avoir une idée précise du sujet auquel il se rapporte. Je le rappellerai en peu de mots 2.

1 Journal asiatique, avril 1843, p. 384. - Dans la rédaction de cet article, pour tout ce qui concerne l'exposé général et les particularités relatives aux divisions équatoriales des Chinois et des mansions arabes, je me suis appuyé sur un précédent travail que j'ai publié dans le Journal des Savants, année 1839, p. 721, et 1840, p. 27, 75, 142, 227, 264. Lorsque j'aurai occasion de placer des notes courantes au bas des pages, je désignerai toujours celles de M. Munk par la lettre M; les miennes par la lettre B. M. Munk s'occupe de la publication complète du manuscrit dont ce fragment est extrait. En transcrivant les expressions tirées du sanscrit, cet habile orientaliste les avait, avec raison, écrites conformément à la

On sait que l'ancienne astronomie des Chinois, exclusivement à celle de tout autre peuple, est entièrement fondée sur la mesure des angles horaires et de la distance angulaire des astres au pôle boréal de l'équateur, tel qu'il se trouve placé dans le ciel stellaire à l'époque où se fait l'observation. Pour éviter les erreurs qu'entraînerait l'appréciation de trop longs intervalles de temps, ils ont choisi très-anciennement un certain nombre d'étoiles qui se trouvaient alors voisines de l'équateur; puis, considérant les cercles de déclinaison de ces étoiles comme autant de plans fixes, qui partageaient toute la surface du ciel par tranches équatoriales, ils ont rapporté les astres intermédiaires à celui de ses plans qui en était le plus voisin vers l'occident. Ces espaces équatoriaux ont été appelés par eux les habitations, ou mansions temporaires, des étoiles et des planètes. Leur nombre paraît avoir été primitivement de 24, dont les plans limites coïncidaient alors presque tous avec les passages méridiens des étoiles de la grande Ourse, et avec les points équinoxiaux et solsticiaux. Ce nombre a été porté depuis à 28, très-probablement par Tcheoukong, 1100 ans avant l'ère chrétienne, pour marquer, par quatre divisions nouvelles, les positions que ces points avaient prises de son temps. On ne l'a plus augmenté depuis. On a aussi toujours conservé invariablement les 24 anciennes étoiles déterminatrices ainsi que les 4 que ce prince astronome y avait ajoutées. Et, comme le déplacement séculaire du pôle a changé progressivement les directions absolues de leurs cercles de déclinaison, qu'on avait d'abord supposés fixes, on s'est borné à renouveler la mesure des intervalles équatoriaux qu'ils embrassaient, lorsque les variations de leurs valeurs angulaires étaient devenues trop notablement différentes de ce qu'on les avait trouvées antérieurement. Une de ces divisions, appelée TSE, s'est ainsi complétement annibilée en l'an 1210 de notre ère, par le croisement des cercles de déclinaison des deux étoiles à et ♪ d'Orion qui la limitaient; et ensuite celui qui avait été jusqu'alors le plus occidental est devenu le plus oriental, ce qui l'a intervertie. Néanmoins l'empereur Kang-hi exigea des missionnaires qu'ils lui conservassent son même rang d'énumération antérieure, par respect pour le passé. D'après les motifs qui ont fait choisir les étoiles déterminatrices de ces 28 divisions du ciel, les intervalles angulaires qu'elles interceptent sur l'équateur offrent naturellement de très-grandes inégalités. Il y en a qui n'embrasprononciation française. Mais, comme, dans les articles auxquels celui-ci fait suite, j'avais employé l'orthographe anglaise de Colebrooke, j'ai cru devoir la conserver, quoique moins convenable, afin qu'on put le rattacher, sans confusion, à ces précédents. B.

saient anciennement que 2 ou 3 degrés, d'autres s'étendaient à 30. Elles ne pouvaient donc avoir aucun rapport intentionnel avec le mouvement de la lune, qui fait parcourir, chaque jour, à cet astre, parallèlement à l'équateur, un arc presque constant. Aussi ne trouve-t-on aucune trace d'une telle relation dans les anciens textes chinois; et elle n'eût été possible à établir que par des fictions astrologiques étrangères à l'origine, comme à l'emploi pratique, des 28 divisions chinoises, qui s'est constamment perpétué tel que je viens de le décrire.

On voit aussi dans les livres d'astronomie des Hindoux une division du ciel stellaire en vingt-huit segments polaires, appelés nacshatras, qui sont également limités par les cercles de déclinaison actuels d'autant d'étoiles déterminatrices, les mêmes, à peu d'exceptions près, que celles des Chinois. Mais l'astronomie indienne étant fondée, comme celle des Grecs, sur des longitudes et latitudes relatives à l'écliptique, dont les anciens Chinois ne faisaient aucun usage, le caractère réellement équatorial de ces divisions stellaires est déguisé, chez les Hindoux, par un système de coordonnées mixtes, dont les unes sont comprises sur le cercle de déclinaison, les autres sur l'écliptique, et qu'ils appellent latitudes et longitudes apparentes; de sorte qu'elles n'ont, et ne peuvent avoir, aucun emploi pratiquement astronomique sous cette forme. Ces deux éléments s'obtiennent, pour chaque étoile déterminatrice, par la construction géométrique suivante, que Golebrooke a extraite des livres sanscrits. Par le pôle boréal de l'équateur tel qu'il se trouve placé dans le ciel stellaire au moment de l'observation, menez le cercle de déclinaison de l'étoile, et conduisez-le jusqu'à son intersection avec l'écliptique. La distance de ce point d'intersection au pôle, mesurée sur le cercle de déclinaison, est la latitude apparente de l'étoile. La distance du même point à l'équinoxe vernal, mesurée sur l'écliptique, est la longitude apparente. Les Hindoux feignent que ces deux éléments s'obtiennent par observation. Mais il est aisé de voir que cela serait impossible pour plusieurs des déterminatrices. Il est bien plus présumable qu'ils les déduisaient de l'ascension droite et de la déclinaison, par le calcul trigonométrique, effectué selon les méthodes grecques, dont ils avaient la connaissance1. Aussi les Hindoux n'en font-ils aucun usage astronomique, sous cette forme déguisée. Ils les appliquent uniquement à la lune, pour des spéculations astrologiques, fondées sur les positions. successives qu'y prend cet astre en les parcourant dans chacune de ses

Dans les ouvrages de Brahmegupta, l'équinoxe vernal, d'où se comptent les longitudes apparentes, est fixé à l'étoile des Poissons, ce qui avait lieu vers 572

de notre ère.

révolutions mensuelles. Colebrooke, dans un remarquable mémoire, inséré au tome IX de la Société de Calcutta, a employé toute son érudition, toute la sagacité consciencieuse de son esprit, pour définir as tronomiquement les vingt-huit étoiles déterminatrices des divisions indiennes; et, en s'appuyant sur les désignations contenues dans les livres sanscrits, en s'aidant aussi des secours pratiques que pouvaient lui fournir les pandits réputés les plus instruits, il est parvenu à les reconnaître toutes indubitablement, ou avec des incertitudes de position très-petites, malgré ce qui restait de vague dans ces indications. Cela a fait découvrir et constater l'identité de la plupart d'entre elles avec les déterminatrices des divisions chinoises. Une de celles qui limitaient la petite division TSE a été changée, et remplacée par une autre du même groupe, a d'Orion, ce qui a prévenu son évanouissement. Mais une de celles qui limitaient la division chinoise Nieou, & du Capricorne, a été changée aussi avec moins de prévoyance. Car on lui a substitué, dans le même cercle de déclinaison, a de la Lyre, qui était beaucoup plus rapprochée du pôle, ce qui a donné à ce cercle un mouvement de transport beaucoup plus rapide. Cela a fait évanouir, au xe siècle de notre ère, le nacshatra Abhidjit, dont elle était devenue une des déterminatrices; de sorte que, depuis lors, le nombre des nacshatras réel s'est trouvé restreint à vingt-sept. Les désignations de Colebrooke sont généralement confirmées par Albirouni dans toutes leurs particularités les plus importantes. Mais on verra que cet Arabe, bien qu'il fût de huit siècles antérieur à l'auteur anglais, n'a pas pu avoir, pour plusieurs étoiles déterminatrices, des indications plus sûres que les siennes, par les astronomes hindoux de son temps. Colebrooke avait trouvé aussi beaucoup de difficulté à savoir, précisément, comment les Hindoux s'y prenaient pour adapter le mouvement régulier de la lune à ces divisions très-inégales de l'équateur. Notre fragment explique les concessions astrologiques et numériques, fort bizarres, par lesquelles on l'y accommodait, soit avant, soit après que le nacshatra Abhidjit se fut

évanoui.

Les Arabes ont aussi adopté, pour les spéculations astrologiques, vingt-huit divisions du ciel qu'ils ont appelées spécialement les mansions lunaires. M. Reinaud m'a dit les avoir trouvées déjà citées dans le Coran, mais seulement par leur nom général, sans l'indication des étoiles, ou des groupes d'étoiles, qui les limitaient. Elles sont mentionnées avec cette dernière désignation au chapitre xx des éléments d'astronomie d'Alfergani, mais seulement comme une notion populaire, dont il ne fait pas d'application. Un des objets principaux que s'était proposés

Colebrooke, c'était de comparer les mansions arabes aux nacshatras indiens, pour découvrir l'ordre d'antériorité de leur conception; et il y a aisément constaté des rapports ainsi que des dissemblances indubitables. Mais, ne connaissant pas leur communauté d'origine chinoise, le caractère principal qui les distingue lui a échappé. Il consiste en ce que les Arabes ont changé les étoiles déterminatrices, qui rendaient certaines divisions relativement trop grandes, d'autres trop petites. Ils leur ont donné ainsi une égalité d'intervalle assez approchée, pour en faire un système de divisions écliptiques applicables au mouvement moyen de la lune, et dont les levers, de même que les couchers, se succédassent continuellement par des intervalles à peu près égaux de treize ou quatorze jours, comme Ulugbeg le dit. On peut même présumer que, pour cette application devenue plus vague, les Arabes ont cessé de définir les limites des divisions par des étoiles déterminatrices, mais les ont seulement désignées par les groupes d'étoiles, peu distantes entre elles, qui les terminaient. L'auteur de notre fragment, Albirouni, ne s'est pas rendu compte de cette modification. Il considère l'égalité des divisions comme un caractère d'une nécessité incontestable; et, ne la trouvant pas dans les nacshatras des astronomes hindoux, il en rejette la faute sur leur ignorance. Mais son préjugé nous sert à son insu, par les différences qu'il s'efforce de faire ressortir entre les deux modes de subdivision. C'est ce point de vue comparatif qui donne du prix à ce fragment, malgré l'erreur des opinions propres à l'auteur. Ayant ainsi indiqué la réserve avec laquelle il faut l'écouter, je vais le laisser parler lui-même, en séparant soigneusement de son texte, et des textes sanscrits qu'il rapporte, le petit nombre d'explications que je croirai nécessaire d'y intercaler, pour en bien fixer le sens astronomique, ou en signaler occasionnellement les erreurs.

་་

Texte d'Albirouni.

L'origine des mansions, chez eux (les Hindoux), est analogue à celle des signes du zodiaque; car, par rapport à ces mansions, ils divisent le cercle du zodiaque en vingt-sept parties égales, de même que, pour les signes du zodiaque, ils le divisent en douze parties égales; et la portion de chaque mansion est de treize degrés et un tiers, ou de huit cents minutes. Les planètes y entrent et en sortent, et les parcourent en latitude au nord et au midi. Chaque mansion a, sous le rapport des jugements des astres (l'astrologie judiciaire), les mêmes particularités que les signes du zodiaque, en fait d'attributs, de qualités physiques,

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