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perche, des deux extrémités de laquelle pendent des morceaux d'étoffes de plusieurs dimensions; c'est conséquemment l'enseigne de cet établissement de teinturiers; et une peinture, médiocre en elle-même, devient, par la place qu'elle occupe ici, et par sa destination, un trait de mœurs curieux et intéressant.

Une autre découverte, que je crois devoir, en dernier lieu, signaler à l'intérêt de nos lecteurs, c'est celle d'une peinture qui a été trouvée dans cette même rue, du côté droit, dans une pièce contiguë au tabli num d'une maison, d'ailleurs de peu d'apparence. Cette peinture ne se recommande que faiblement par le mérite de l'exécution; mais le sujet en est des plus intéressants, et c'est même pour la première fois qu'il se rencontre sur les peintures de Pompéi. Il s'agit de l'aventure de· Héro et Léandre, qui fut si célébrée par les poëtes grecs et latins, mais qui n'avait été, jusqu'ici, représentée, en fait de monuments de l'art, que sur quelques pierres gravées 1, et sur des médailles 2, généralement d'une fabrique médiocre et d'une époque récente. Notre peinture de Pompéi serait donc peut-être le monument le plus ancien qui nous resterait de cette aventure, qui paraît avoir, à une certaine époque de l'antiquité, produit une impression si vive sur la société grecque. Cette peinture est de forme rectangulaire et de petite dimension; elle est entourée d'une bordure rouge, et exécutée sur fond blanc. On y voit un homme nu à mi-corps, qui nage, les bras étendus en avant, en se dirigeant vers la gauche du spectateur. De ce côté, apparaît, debout sur le rivage; une Femme vêtue d'une longue robe, et voilée, comme il convenait à Héro, en sa qualité de prêtresse de Vénus ; de la main droite étendue, elle tenait quelque objet, maintenant perdu, qui devait être

'Winckelmann décrit une pâte antique de ce sujet, Pierres de Stosch, cl. 111, p. 336, n. 113, et il cite de nombreuses pierres avec le buste de Léandre. Le savant M. Avellino, qui cite ces pierres, aurait pu faire mention aussi d'une curieuse intaille du musée Worsley, représentant Léandre, vu à mi-corps et nageant dans les flots, en face de Héro, qui lui tend les bras d'une fenêtre de son habitation; voy. le Mus. Worsleyan. tav. xxvII, n. 31. A l'occasion de cette pierre, Visconti remarque avec beaucoup de raison, ibidem, p. 125-126, ed. Milan., que l'on se trompe généralement en voyant le buste de Léandre sur des pierres gravées qui représentent bien plutôt celui d'Amphitrite, d'après sa ressemblance avec celui qui forme le type des deniers romains frappés par Q. Crepereius. C'est le type des médailles de Sestos et d'Abydos, Eckhel, Doctr. Num., t. II, p. 51 et 479. Une de ces médailles, de grand bronze, à l'effigie de Caracalla, portant l'épigraphe ABYAHNÓN HP AATANAPOC (sic), a été publiée par M. Mionnet, Supplém., t. V, pl. v, n. 1; voy. sa Description, t. II, p. 637-638, n. 58. Havercamp cite une médaille des Cadoéniens de Phrygie avec le même type, Ad Thes. Morell., t. II, 301. p. Leand., ν. 31 : Κύπριδος ἦν ἱέρεια.

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3 Mus. De Her. et

une lampe1. Derrière elle, se dresse une masse de rochers, à une certaine hauteur desquels est un petit édifice, avec toit et fenêtres, certainement la tour où habitait Héro, et qui est représentée sur les médailles, comme elle figure dans la tradition poétique 2. Du côté droit de la peinture, se voit une seconde femme, assise sur le rivage, dans une attitude triste et pensive, tenant sa tête appuyée sur sa main droite, et portant de la main gauche un objet que l'on s'est généralement accordé à reconnaître pour une lanterne. A de pareils traits, je m'étonne que la véritable explication de cette figure de femme ne se soit pas présentée du premier coup à l'esprit des antiquaires napolitains. M. Avellino, qui, du reste, a publié sur cette peinture des observations pleines de savoir et de goût, croit qué cette femme est une personnification de la contrée (la Troade) ou de la ville (Abydos), où se passe l'action, et il ne manque pas de raisons tirées de la connaissance des monuments pour justifier cette opinion. Mais, sans parler des difficultés assez graves qu'on pourrait y opposer, je me contente de dire, et je prends l'engagement d'en fournir la preuve, en publiant cette peinture dans mon recueil, que c'est tout simplement la nourrice de Héro3 qu'il faut voir dans cette femme, assise à cette place et dans cette attitude pensive qui témoigne l'inquiétude, enfin avec ce voile qui couvre sa tête, et qui est un élément habituel du costume des nourrices, sur tous les monuments de l'art antique; et le meuble qu'elle tient à la main, la lanterne, est encore un objet si caractéristique de la situation, et si convenable pour le personnage, qu'il semble qu'il ne puisse rester le moindre doute à cet égard.

Je n'ai pu indiquer que d'une manière bien incomplète les principaux résultats des fouilles actuelles de Pompéi, et je demande la permission d'ajouter, en finissant, une dernière observation. Tout en rendant justice à l'intelligence avec laquelle sont dirigées ces fouilles, placées sous la haute surveillance d'un ministre tel que le chevalier

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1 C'est ainsi que nous la représente le poëte grec, v. 24-25 :

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- Mus., ibid., v. 187: Пúpyos d'außibónlos x. v. X. — La jeune vierge de Sestos habitait effectivement, suivant la tradition poétique, avec une seule esclave, ovv áμρitódy Tivi μovvy; et celle esclave unique était précisément la nourrice de Héro, d'après le témoignage d'Ovide, qui est conforme à tout ce que nous savons des habitudes grecques, Ovid. Heroid. XVIII, 97:

Te tua vix prohibet NUTRIX descendere in altum.

D. Nicola Santangelo, qui joint au pouvoir de sa charge le goût et la connaissance des antiquités dont il a formé une collection superbe, il est impossible de n'être pas douloureusement affecté de l'état de dégradation croissante dans lequel se trouvent les édifices de Pompéi. J'en ai été frappé, après un intervalle de six années, en trouvant presque effacées des peintures que j'avais vues encore fraîches et intactes, et j'en citerai pour exemples celles de la maison de la chasse, de la paroi noire, et surtout d'Adonis. Cette caducité, qui semble s'appesantir sur Pompéi, tient à ce qu'on a négligé généralement les précautions les plus simples, les plus communes, qu'exigerait la conservation des peintures, comme, par exemple, d'ajouter un toit aux murailles qui en sont ornées, et, mieux encore, de les couvrir de châssis vitrés, ainsi qu'on l'avait fait en quelques endroits, et qu'on pourrait le faire partout sans beaucoup de dépenses. Malheureusement, cette mesure même est restée à peu près sans effet par le défaut d'entretien suffisant, et j'en ai eu le spectacle affligeant, particulièrement dans cette maison d'Adonis que je citais tout à l'heure. On semble généralement convaincu à Naples que Pompéi est destiné à périr, et cette fois irrévocablement, dans un espace de temps peu considérable; et, dans cette prévision trop bien fondée, on est aussi trop généralement disposé à abandonner cette malheureuse ville à sa destinée, sans essayer de retarder sa destruction inévitable par des mesures de précaution qui coûteraient cependant bien peu, et qui auraient plus d'efficacité qu'on ne l'imagine. On ne réfléchit pas assez au compte sévère que toute l'Europe savante pourra avoir à demander au gouvernement de Naples, quand cette disparition de Pompéi, qui s'accomplit journellement sous nos yeux, sera consommée par la faute des hommes à qui la fortune avait remis ce trésor. On croit avoir tout fait pour la science en enlevant des murs de Pompéi les peintures les plus importantes, qu'on transporte dans le musée de Naples. Mais ces peintures mêmes, qu'on croit avoir ainsi sauvées de la destruction, comment sont-elles traitées? On les place entre deux couches de plâtre, puis on les enferme dans des caisses de bois, et, dans cet état, elles restent déposées des années entières dans les magasins du musée. C'est ainsi que les tableaux enlevés, il y a plus de six ans, avant mon dernier voyage, des murs des principales maisons de la rue de la Fortane et de celle de Mercure, sont encore, à l'heure qu'il est, dans leur prison de plâtre et de bois, aussi perdus pour l'art et pour la science que lorsqu'ils étaient encore sous leur croûte de cendre volcanique, et certainement plus compromis dans leur existence, sous cette nouvelle enveloppe, qu'ils ne l'étaient sous la première. Qui sait,

en effet, dans quel état se trouveront ces peintures, quand on les retirera, au bout de sept à huit ans, du milieu de ces deux couches de plâtre? et qui pourra justifier ce procédé barbare de clôture, appliqué à des peintures et continué, durant tant d'années, dans un musée où tout devrait être livré à la publicité et à l'étude? Je ne crains pas d'appeler hautement sur cet état de choses la sollicitude du gouvernement de Naples et l'attention de l'Europe, et j'espère que, du sein de ce congrès scientifique, qui se réunira l'année prochaine à Naples, il s'élèvera un cri général, une voix unanime et imposante, pour protester contre cette destruction en détail, qui s'accomplit, d'une ville antique, en présence de la civilisation moderne.

(La suite à un prochain cahier.)

RAOUL-ROCHETTE.

DICTIONNAIRE LATIN-FRANÇAIS, rédigé sur un nouveau plan, où sont coordonnés, révisés et complétés les travaux de Robert Estienne, de Gessner, de Scheller, de Forcellini et de Freund, et contenant plus de 1,500 mots qu'on ne trouve dans aucun lexique publié jusqu'à ce jour; par MM. L. Quicherat, auteur du Thesaurus poeticus linguæ latine, et A. Daveluy, professeur de rhétorique au collège royal de Henri IV. Paris, imprimerie de F. Didot, librairie de L. Hachette, 1844, 1 vol. gr. in-8° de XII-1292 pages.

A la recommandation de ce nouveau dictionnaire latin-français pourraient suffire les noms de ses deux auteurs. M. Daveluy s'est, depuis longtemps, fait connaître dans l'enseignement des lettres par sa science, son goût, l'agrément de sa parole; et quant à M. Quicherat, qui a servi d'une autre manière notre instruction publique, non par des leçons, mais par des livres, il n'y a pas moins de temps que ses éditions si correctes et si judicieusement annotées des principaux poetes de Rome, ses traités, à la fois élémentaires et approfondis, de versification latine, de versification française, enfin, et surtout, son Trésor poétique de la langue latine, lui ont fait une réputation qui des colléges s'est étendue dans le monde savant.

Quand parut, en 1836, le dernier des divers ouvrages de M. Qui

cherat, que je viens de rappeler, on ne manquait assurément, ni en France, ni à l'étranger, de ces compilations confuses de synonymes, d'épithètes, de périphrases, de développements poétiques, renouvelées, sans critique et sans goût, du dictionnaire de Vanière, et destinées, sous le titre pédantesque et pompeux de Gradus ad Parnassum, à rendre aux écoliers plus facile, sinon plus intelligente, la fabrication des vers latins. Mais un inventaire complet de la langue poétique des Romains, dressé d'après l'étude de tous ses monuments et même de tous ses débris, quels qu'ils fussent, où rien d'elle ne fût ni omis, ni dépourvu d'autorités et d'exemples authentiques, où ses âges successifs fussent représentés et distingués, où chaque mot, consacré par l'usage d'un poëte, fût suivi dans ses sens, dans ses emplois divers, de sorte que les synonymes, les épithètes, les périphrases, les développements, matière des Gradus, auparavant groupés sans ordre autour du mot luimême, fussent distribués avec méthode entre ses acceptions, un tel livre, utile, dans les classes, aux exercices de versification et de composition poétique, utile, de plus, à l'intelligence des auteurs et de l'histoire littéraire, on ne le possédait pas encore. M. Quicherat, après dix ans d'un travail assidu, le donna à la jeunesse studieuse; il le donna en même temps, cela a été remarqué dès l'origine, dans ce journal 1, par un appréciateur bien compétent, aux lettrés, aux savants euxmêmes, qui en auraient vainement cherché ailleurs, dans les collections les plus volumineuses et les plus érudites, l'équivalent.

On peut faire à peu près le même éloge du dictionnaire latin-français, pour la composition duquel M. Quicherat a, pendant une autre période de dix ans, associé ses efforts à ceux de M. Daveluy. Après tant de lexiques du même genre, publiés depuis le temps de Danet, œuvres de spéculation hâtive trop souvent, plutôt qu'œuvres de savoir consciencieux et de travail patient 2, il manquait aux écoles, et il n'est pas destiné à s'y renfermer. Il offre, en effet, des mérites supérieurs à cette destination modeste, et par lesquels se révèle, avec une connaissance étendue des lettres latines, de leurs monuments de toutes sortes, de leur histoire, de leur génie, l'intelligence philosophique des procédés que suit l'esprit humain dans la formation et l'emploi des mots. Une place lui est assurée non-seulement parmi les livres de classe de l'écolier, mais sur la table de l'homme du monde, encore en com

Voyez dans le cahier d'octobre 1836, p. 611, un article de M. Naudet sur le Thesaurus poeticus linguæ latine. 2 M. B. Jullien en a fait une revue curieuse dans un rapport à la seconde classe de l'Institut historique, qu'a reproduit, en novembre 1844, la 123 livraison de l'Investigateur, journal de cette société savante.

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