Images de page
PDF
ePub

Décidément revenu de toutes les préventions qui, tout d'abord, l'avaient assailli contre sa nouvelle famille, Robert songea pourtant qu'une entente préalable avec M° Poinsinet devait précéder son installation. Il déclina donc l'offre trop prompte du complaisant cousin, du moins pour ce jour, « l'hospitalité de M. Sarrazin ayant été acceptée par lui. »

Ah! vous êtes chez ce vieux fou?.. dit le baron avec un ton dédaigneux.

A l'inflexion, cependant, Robert crut deviner une contrariété. Surpris, depuis son arrivée, de l'extrême facilité des Boisdesnier à venir au-devant de ses droits sans le moindre contrôle, il pressentit nettement que le tête-à-tête où il se voyait enfin amené devait avoir un tout autre but que d'ébaucher son instruction sur l'élevage des fauvettes et des bengalis... L'entretien,'en effet, bifurqua sans préparation aucune.

- A propos, dit tout à coup en riant le baron et en regardant Robert avec son air de patriarche, vous savez que je suis votre régisseur et votre fermier?..

-Ah! répliqua Robert, sans manifester rien de son sentiment sur cette heureuse nouvelle.

J'ai même encore huit ans de bail,.. pour la ferme s'entend!.. reprit M. de Boisdesnier de sa belle voix profonde; car, pour cette fonction de régisseur, que l'âge de notre pauvre tante exigeait que je tinsse auprès d'elle, il va sans dire que je la résigne... ou que je la résignerai entre vos mains du jour où je vous aurai mis au courant des choses. — Ce qui ne sera pas difficile ni d'un long apprentissage, ajouta-t-il gaîment.

Ah!.. fit encore Robert, un peu sur la défensive.

- Du moins pour ces dernières années, continua le baron; car tout le monde sait que la bonne comtesse, qui, toute sa vie, s'est toujours distinguée par son humeur passablement têtue, était devenue, dans ses vieux jours, la plus incroyable cachottière qui ait jamais enfoui des sous dans ses vieux bas.

- M. Poinsinet a du moins un relevé des valeurs autrefois déposées chez lui?.. hasarda Robert naïvement.

- Ah ben oui!.. comme disent nos paysans, reprit M. de Boisdesnier, tout occupé de ses cages; là-dessus, le père Poinsinet en sait tout autant que mes ânes, par révérence parler,.. car la vieille lui en aurait aisément remontré pour le placement de ses fonds!.. Depuis le retrait de ses titres, elle a fameusement manœuvré, et je crois que vous aurez plus d'une jolie surprise...

Était-elle vraiment si avare?.. demanda Robert, comme pour défendre la défunte par un généreux acquit de conscience.

Oh! du temps de mon brave oncle, le seul qui sut jamais la mater, nous l'appelions la mère Mirouet!.. Vous avez lu Balzac?.. - Tenez, ajouta-t-il, sans plus de transition, vous voyez bien ce petit gris-là, avec ses bouts d'ailes roses?.. c'est le plus mauvais petit drôle de toutes mes volières... Je l'appelle Gavroche,.. à cause de ses nombreux méfaits,.. et il n'a pas volé son nom. Ainsi, regardez-le bien, il a l'air d'un gentil friquet, tout innocemment occupé à affûter son bec, comme vous et moi pourrions le faire... Eh bien! il guigne de l'œil ce couple de bouvreuils, mariés d'hier, et qui rêve à l'écart, pour lui jouer un mauvais tour... Là!.. qu'est-ce que je vous disais?.. Voilà Colombine dans la baignoire!..

XVIII.

Lorsque, de retour à La Baraque, Robert eut tout raconté à son hôte de l'accueil empressé de la tribu des Boisdesnier, M. Sarrazin resta un instant pensif, le contemplant par-dessus ses lunettes.

- Depuis deux jours que je vous connais, dit-il enfin, vous m'inspirez beaucoup de sympathie. Vous êtes jeune et bon garçon, malgré le mal que vous vous donnez pour ne pas le paraître... Aussi, mon cher monsieur, n'hésité-je point à vous dire que je serais tout à fait charmé de vous garder chez moi... Mais, écoutez-moi bien... Ici, il leva un doigt à côté de sa joue, exactement à la hauteur de son œil :

- Je croirais prendre à rebours les lois de l'hospitalité, dit-il, si je ne vous engageais pas à vous installer, dès demain, au Coudray.

-Ah! dit Robert, vous pensez?..

Vous ne vous ennuierez pas trop, du reste... M. de Boisdesnier est un homme... remarquable par l'étendue de ses connaissances. L'agrément de votre compagnie le retiendra sans doute au château. Vous aurez alors occasion,.. hem!.. ou le hasard l'amènera peut-être, à vous parler de la collection de M. votre oncle,.. qu'il serait regrettable,.. hem!.. de laisser disperser...

Mais, depuis sa mort, ne pensez-vous pas qu'elle a pu être vendue ?..

- Hem!.. Oh! non, monsieur, répondit Sarrazin, des objets de ce prix-là,.. hem!.. ne se vendent pas chat en poche... La vente aurait fait du bruit; car, n'en dites rien à personne, je l'estimais, moi, à plusieurs millions.

Cette fois, c'était renversant.

Mais, à la façon discrète dont ces choses étaient dites, Robert comprit que M. Sarrazin n'énonçait que ce qu'il voulait énoncer, et

Décidément revenu de toutes les préventions qui, tout d'abord, l'avaient assailli contre sa nouvelle famille, Robert songea pourtant qu'une entente préalable avec M° Poinsinet devait précéder son installation. Il déclina donc l'offre trop prompte du complaisant cousin, du moins pour ce jour, « l'hospitalité de M. Sarrazin ayant été acceptée par lui. »

Ah! vous êtes chez ce vieux fou?.. dit le baron avec un ton dédaigneux.

A l'inflexion, cependant, Robert crut deviner une contrariété. Surpris, depuis son arrivée, de l'extrême facilité des Boisdesnier à venir au-devant de ses droits sans le moindre contrôle, il pressentit nettement que le tête-à-tête où il se voyait enfin amené devait avoir un tout autre but que d'ébaucher son instruction sur l'élevage des fauvettes et des bengalis... L'entretien, 'en effet, bifurqua sans préparation aucune.

- A propos, dit tout à coup en riant le baron et en regardant Robert avec son air de patriarche, vous savez que je suis votre régisseur et votre fermier?..

Ah! répliqua Robert, sans manifester rien de son sentiment sur cette heureuse nouvelle.

J'ai même encore huit ans de bail,.. pour la ferme s'entend!.. reprit M. de Boisdesnier de sa belle voix profonde; car, pour cette fonction de régisseur, que l'âge de notre pauvre tante exigeait que je tinsse auprès d'elle, il va sans dire que je la résigne... ou que je la résignerai entre vos mains du jour où je vous aurai mis au courant des choses. Ce qui ne sera pas difficile ni d'un long apprentissage, ajouta-t-il gaîment.

Ah!.. fit encore Robert, un peu sur la défensive.

Du moins pour ces dernières années, continua le baron; car tout le monde sait que la bonne comtesse, qui, toute sa vie, s'est toujours distinguée par son humeur passablement têtue, était devenue, dans ses vieux jours, la plus incroyable cachottière qui ait jamais enfoui des sous dans ses vieux bas.

M. Poinsinet a du moins un relevé des valeurs autrefois déposées chez lui?.. hasarda Robert naïvement.

[ocr errors]

Ah ben oui!.. comme disent nos paysans, reprit M. de Boisdesnier, tout occupé de ses cages; là-dessus, le père Poinsinet en sait tout autant que mes ânes, par révérence parler,.. car la vieille lui en aurait aisément remontré pour le placement de ses fonds!.. Depuis le retrait de ses titres, elle a fameusement manœuvré, et je crois que vous aurez plus d'une jolie surprise...

- Était-elle vraiment si avare?.. demanda Robert, comme pour défendre la défunte par un généreux acquit de conscience.

Oh! du temps de mon brave oncle, le seul qui sut jamais la mater, nous l'appelions la mère Mirouet!.. Vous avez lu Balzac?.. Tenez, ajouta-t-il, sans plus de transition, vous voyez bien ce petit gris-là, avec ses bouts d'ailes roses?.. c'est le plus mauvais petit drôle de toutes mes volières... Je l'appelle Gavroche,.. à cause de ses nombreux méfaits,.. et il n'a pas volé son nom. Ainsi, regardez-le bien, il a l'air d'un gentil friquet, tout innocemment occupé à affûter son bec, comme vous et moi pourrions le faire... Eh bien! il guigne de l'œil ce couple de bouvreuils, mariés d'hier, et qui rêve à l'écart, pour lui jouer un mauvais tour... Là!.. qu'est-ce que je vous disais ?.. Voilà Colombine dans la baignoire!..

XVIII.

Lorsque, de retour à La Baraque, Robert eut tout raconté à son hôte de l'accueil empressé de la tribu des Boisdesnier, M. Sarrazin resta un instant pensif, le contemplant par-dessus ses lunettes.

- Depuis deux jours que je vous connais, dit-il enfin, vous m'inspirez beaucoup de sympathie. Vous êtes jeune et bon garçon, malgré le mal que vous vous donnez pour ne pas le paraître... Aussi, mon cher monsieur, n'hésité-je point à vous dire que je serais tout à fait charmé de vous garder chez moi... Mais, écoutez-moi bien... Ici, il leva un doigt à côté de sa joue, exactement à la hauteur de son œil :

- Je croirais prendre à rebours les lois de l'hospitalité, dit-il, si je ne vous engageais pas à vous installer, dès demain, au Coudray.

[blocks in formation]

— Vous ne vous ennuierez pas trop, du reste... M. de Boisdesnier est un homme... remarquable par l'étendue de ses connaissances. L'agrément de votre compagnie le retiendra sans doute au château. Vous aurez alors occasion,.. hem!.. ou le hasard l'amènera peut-être, à vous parler de la collection de M. votre oncle,.. qu'il serait regrettable,.. hem!.. de laisser disperser...

— Mais, depuis sa mort, ne pensez-vous pas qu'elle a pu être vendue ?..

— Hem!.. Oh! non, monsieur, répondit Sarrazin, des objets de ce prix-là,.. hem!.. ne se vendent pas chat en poche... La vente aurait fait du bruit; car, n'en dites rien à personne, je l'estimais, moi, à plusieurs millions.

Cette fois, c'était renversant.

Mais, à la façon discrète dont ces choses étaient dites, Robert comprit que M. Sarrazin n'énonçait que ce qu'il voulait énoncer, et

qu'il y aurait un manque de tact à l'interroger plus longuement. L'arrivée de Mlle Joconde, portant dans ses bras une chevrette, interrompit d'ailleurs l'entretien.

Oncle, voilà Jeannette, pour que tu examines sa patte, ditelle d'un air très animé; figure-toi qu'elle boite affreusement.

Marton survint avec Mlle Ursule, la gouvernante, assez belle jeune femme d'environ trente-cinq ans, dont les façons révélaient une personne bien née. M. Sarrazin examina la patte à Jeannette. C'était une grosse épine.

La révélation de M. Sarrazin avait jeté Robert presque dans l'effarement. Si, jusqu'alors, ses espérances d'héritage étaient restées dans le vague, il fut bien forcé, ce soir-là, de faire faux bond à son pessimisme pour songer à la réalité du fait. Naturellement craintif à l'endroit des affaires, il s'était attendu à des éventualités de testament, à quelque legs, peut-être douteux, à disputer dans des procès contre des compétiteurs avides... Et voilà que, en deux jours, il découvrait qu'il s'agissait d'une fortune! Il tombait du premier coup sur un notaire qui lui démontrait l'entière validité de son titre de parent, sans même admettre la possibilité d'une conteste... Les Boisdesnier eux-mêmes, qui certes avaient dù travailler la matière et définir leurs droits, lui mettaient en main la clé du château...

Remonté dans sa chambre, sous le coup de la dernière confidence de son hôte, et seul avec ses pensées de derrière la tête, il eut peine à ne pas éclater de la joie qui le gonflait... Christiane !.. Christiane était à lui, cette fois! Quelle existence il pouvait lui promettre!.. De quelle surprise il allait l'éblouir !

Tout d'abord, il fallait avertir Rival de la prolongation de son séjour. Oublieux de toute pose, il s'épancha, au courant de la plume, en huit pages d'une lettre folle, annonçant la découverte de son Pactole, racontant son arrivée, son château, M. Sarrazin et le notaire... Mais, par-dessus tout, il demandait des lettres, des nouvelles de Christiane et le Times.

XIX.

Dès le surlendemain, après consultation avec Me Poinsinet, Robert Guérin quittait La Baraque pour aller s'établir au Coudray. Son arrivée, préalablement annoncée, tourna cette fois en fête, tous les Boisdesnier en toilette.

- J'aurais bien mis vos gardes-chasses sur pied, lui dit en riant le baron; mais l'un marie sa fille à l'autre, justement ce matin !

« PrécédentContinuer »