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Faisons-leur voir que nous ne sommes point lâches comme eux!

L'accusé. Je suis allé ensuite en Piémont; notre irritation contre les Français était passée, et nous écrivions toujours à Rome, dans toutes les conspirations qui se sont établies, d'épargner la garnison française. Si les papiers saisis par le gouvernement papal existent, on peut les retrouver, et l'on verra si je mens. J'ai toujours conspiré contre l'Autriche, jamais que contre l'Autriche. En 1853, je suis tombé dans les mains des Autrichiens, en Hongrie; ils m'ont jugé, ils m'ont condamné, et j'allais être pendu, quand j'ai trouvé le moyen de leur échapper.

C'est alors que je suis venu en Angleterre, toujours avec cette pensée, avec cette manie, si vous voulez, d'être utile à ma patrie, de la délivrer et de n'exposer que moi. J'étais convaincu qu'il est inutile d'exposer à faire fusiller des dix, des vingt hommes, comme le fait inutilement depuis longtemps Mazzini. J'ai voulu prendre les voies légales. Je me suis adressé à des pairs d'Angleterre; j'ai proposé une pétition au gouvernement pour le principe de non-intervention et

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pour faire cesser l'occupation française et autrichienne. Leurs sympathies m'étaient déjà acquises quand la révolte de l'Inde a éclaté, et vous comprenez que cette question a pris, en Angleterre, le pas sur la question italienne; c'est naturel.

En examinant les conditions politiques de tous les gouvernements de l'Europe, je me suis arrêté à cette idée qu'il n'y avait qu'un homme en position de faire cesser cette occupation de mon pays par l'étranger, que cet homme était Napoléon III, qui est tout-puissant en Europe. Mais tout son passé me donnait la conviction qu'il ne voudrait pas faire ce qu'il pouvait seul faire. J'avoue donc franchement que je l'ai considéré comme un obstacle. Et alors je me suis dit qu'il fallait le faire disparaître.

Je voulais, je l'ai dit, agir seul. Mais j'ai reconnu que c'était impossible. Alors, autour de moi, il s'est trouvé des hommes qui ont connu mes projets et qui s'y sont associés. Arrêtés, ils m'ont dénoncé. Quand je me suis vu trahi par eux, j'ai eu quelque sentiment ATTENTAT DU 14 JANVIER 1858.

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3.

de vengeance contre eux, et je les ai accusés; mais aujourd'hui, je regrette toute circonstance qui pourrait aggraver la position de mes coaccusés, je rétracte tout ce que j'ai pu dire contre eux, et j'offre ma personne en sacrifice à mon pays.

Je me confie, Messieurs, à la sagesse, à l'esprit de justice de mes juges, à la probité des jurés, qui sauront dégager ce que j'ai fait de toutes circonstances étrangères et fausses, déclarées par mes coaccusés; déclarations faites sous l'influence de la peur, et MM. les jurés savent que la peur est une mauvaise conseillère.

Permettez-moi de revenir sur les déclarations que j'ai faites concernant Allsop et Bernard. Quant à Allsop, il a fait faire les bombes sur ma demande, mais comme étant des objets qui pouvaient servir à des expériences de gaz. Comme Allsop m'avait conru en Italie, qu'il connaissait mon passé politique, il a pu soupçonner le but réel dans lequel je demandais ces bombes; mais je ne lui ai rien confié.

Quant à Bernard, je ne lui ai rien confié non plus; vous voyez qu'il n'a rien dit, en effet, à mes coaccusés.

Voilà ce que j'avais à dire ici, et je proteste vouloir garder le silence sur mes coaccusés présents et sur les absents.

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M. le président. Alors, il y a nécessité de reproduire ici votre confession du 9 février. La voici :

« Je n'ai jamais eu l'intention de revenir sur les déclarations que je vous avais faites et qui contenaient la vérité. Mais dans un premier moment de générosité exagérée, j'avais cru devoir assumer sur moi toute la responsabilité. Cela aurait été bien si mes coaccusés avaient été dignes de ce sacrifice; mais comme je me suis aperçu qu'ils sont loin de l'être, je ne vois pas pourquoi je prendrais sur moi la responsabilité de ce qu'ils ont pu faire, et je trouve juste que chacun garde la part qui lui appartient.

« C'est dans le courant de l'année dernière que Pieri et moi nous avons commencé à parler du projet mis à exécution le 14 janvier. Nous étions convaincus que le plus sûr moyen de faire une révolution en Italie, c'était d'en produire une en France, et que le plus sûr moyen de faire cette révolution en France, c'était de tuer l'Empereur.

« Nous ne nous sommes pas décidés de suite à mettre notre projet à exécution; nous y avons réfléchi pendant plusieurs mois, pendant lesquels nous en avons parlé à Allsop et à Simon Bernard.

« Je crois aussi que Pieri a fait quelques ouvertures à un nommé Carlotti, mais je ne pense pas qu'il lui ait fait connaître la vérité tout entière. Ce Carlotti est un mauvais sujet qui ne méritait pas de confiance. Les bombes ont été commandées, ainsi que vous me le prouvez par les lettres dont vous me représentez les copies, et par le n° du Birmingham-Daily-Press du 5 février, par M. Allsop, chez M. Taylor, de Birmingham. Il n'en a pas été fabriqué plus de cinq ou six, mais je puis affirmer que je n'en ai jamais eu plus de cinq à ma disposition. Ces cinq bombes ont été apportées d'Angleterre en Belgique; car c'est au café Suisse, à Bruxelles, ainsi que le déclarent Zeighers et Georgi, qu'elles ont été remises à Casimir Zeighers, qui devait conduire mon cheval à Paris; seulement Zeighers se trompe lorsqu'il dit qu'il a apporté dix demi-bombes, c'est à dire cinq bombes entières. Il n'y avait que neuf morceaux, c'est à dire quatre bombes entières et la partie supérieure de la cinquième. C'est le corps de cette cinquième qui a été remis à Pieri au café Suisse, à Bruxelles, et rapporté par lui à

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Paris, ainsi que cela a été déclaré par les témoins entendus en Belgique, et ainsi que Gomez vient de vous le déclarer tout à l'heure.

« Je suis arrivé à l'hôtel de Lille et d'Albion avant mon cheval. Après avoir attendu quelque temps dans ma chambre, étonné de ne pas voir arriver le jeune homme qui l'avait conduit, je suis descendu, et, dans l'antichambre de l'hôtel, sur un divan placé devant une fenêtre à gauche de la porte d'entrée, j'ai aperçu à côté de la brosse et de l'étrille du cheval tous les morceaux de bombes qui avaient été confiés à Zeighers et qu'il avait déposés là. Je n'ai rien dit, mais je me suis hâté de les prendre et de les monter dans ma chambre.

« D. Les cheminées, où vous les êtes-vous procurées et à quel moment les avez-vous ajustées aux bombes? R. Elles avaient été commandées par Allsop en même temps que les bombes. Il me les avait remises avant mon départ de Londres. Elles formaient un petit paquet, que j'ai apporté dans mon sac de nuit. Je les ai revissées sur les bombes, une fois que j'ai été établi rue du Mont-Thabor; Gomez m'a aidé dans ce travail, et, comme il a la poigne beaucoup plus forte que moi, c'est lui que j'ai chargé de les serrer avec le tourne-vis.

<< Dans un voyage en Belgique, j'avais vu au Musée des bombes qui ont donné lieu à un procès, il y a quelques années; j'ai eu l'idée d'en faire usage, et comme, en ma qualité d'étranger, une pareille commande, venant de moi, aurait paru suspecte, j'ai chargé Allsop de les faire fabriquer.

<< D. Où vous êtes-vous procuré de la poudre fulminante? - R. La poudre fulminante a été fabriquée à Londres par quelqu'un que je ne veux pas nommer. C'était du fulminate de mercure.

« Je voulais apporter en France les bombes chargées; mais j'ai réfléchi qu'il valait mieux tout bonnement le maintenir à l'état humide, et je l'ai apporté de Londres en Belgique, et de Belgique à Paris, dans mon sac de nuit, entouré de papier et de linge que j'humectais de temps en temps. Ainsi mouillé, il devait peser près de deux livres anglaises.

« J'ai chargé moi-même les bombes dans ma chambre, rue du Mont-Thabor; il m'a fallu faire sécher la poudre, montre et thermomètre à la main, devant le feu; si une étincelle avait volé dessus, j'aurais sauté en l'air avec toute la maison.

« Il devait être environ huit heures, le jeudi, 14 janvier, lorsque nous sommes partis tous les quatre de la maison. Nous nous sommes rendus à l'Opéra. Nous n'avons guère attendu plus d'un quart d'heure avant l'explosion des bombes.

« Pendant la route, j'ai remarqué que Pieri se tenait en arrière, et j'ai même dit à de Rudio qu'il me faisait l'effet d'un homme qui voudrait déserter.

« En arrivant à la rue Le Peletier, il a passé devant nous. Nous sommes restés deux minutes au coin de la rue et du boulevard. A peine entrions-nous rue Le Peletier, que j'ai rencontré Pieri, qui revenait vers nous accompagné d'un monsieur que je ne connais. sais pas. Il a cligné de l'œil en passant à côté de moi, mais je n'ai pas compris qu'il voulait me dire qu'il était arrêté. »

(Ici Orsini racontait comment il aurait remis une de ses bombes à un Italien connu de lui seul et qu'il ne voulait pas faire connaître. Puis il parlait des explosions successives, de sa blessure et de sa rentrée à son domicile.)

Ses aveux se terminaient ainsi :

<< Pieri, Gomez et de Rudio ne sont pas des enfants

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D. Voilà vos déclarations; y persistez-vous? R. Que les autres s'accusent, qu'ils m'accusent s'ils le veulent, je ne dirai rien contre eux.

M. le premier président. - Mais vous avez compromis Allsop et Bernard. Pourquoi refusez-vous de faire connaître cet Italien?

Orsini. Je pourrais le nommer, car je crois qu'il doit être actuellement hors de France et à l'abri des poursuites; mais je ne veux pas le dire.

D. De Rudio, avez-vous vu Orsini causer avec quelqu'un?

De Rudio. Non, Monsieur.

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D. Vous n'avez pas vu là quelqu'un de vos compa

-

De Rudio. Non. Orsini, souriant. Oh! il avait bien autre chose à faire que de chercher des figures de connaissance dans la foule... Il avait une bombe dans la poche..., et ça le préoccupait un peu, voyez-vous.

D. Votre système de défense n'est pas acceptable. Vous avez commencé par nier; vous avez fait des aveux; vous les avez rétractés en les attribuant à un sentiment de vengeance; vous y êtes revenu de nou-triotes autour de vous? veau, et cela quand vous avez connu les déclarations de vos coaccusés, quand vous avez été amené par la force des faits à vous déclarer coupable. Tout cela, on le remarquera, n'a pas été fait spontanément, de votre propre mouvement. Ces aveux vous ont été arrachés par la puissance des faits. Eh bien, maintenant que ce que vous avez dit se trouve confirmé par les déclarations de vos coaccusés, voilà que vous venez nous dire qu'il ne s'agissait que d'un complot pour assurer la liberté de l'Italie! Vous venez ici pour reprendre les aveux que vous avez faits.

Et s'adressant aux jurés:

- Vous voyez, dit M. le premier président, quel rôle prend Orsini devant vous. Il n'a rien ménagé dans l'instruction; il n'a pas ménagé ses coaccusés. Mais à l'audience, son rôle change, et il veut faire de la générosité. Vous apprécierez.

L'interrogatoire d'Orsini continue sous ces réserves posées par M. le premier président.

D. Vous êtes parti de la rue du Mont-Thabor avec vos coaccusés? R. Oui, Monsieur, j'y étais.

--

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D. Vous vous méfiiez donc de vos coaccusés? R. En conspiration, on se méfie de tout le monde, et il faut toujours des relations qu'on ne dit pas à tout le monde.

D. Vous défiiez-vous aussi de vous-même? Vous défiiez vous de votre courage, puisque vous aviez chargé un autre de faire ce que vous deviez faire vous-même? R. Oh! non, j'étais sûr de moi.

D. Tenez, vous avez écrit à M. le procureur général pour repousser les aveux de vos coaccusés, que vous attribuez à la peur, et vous dites que la peur est une mauvaise conseillère. N'est-ce pas elle qui vous inspire ici? - R. Oh! l'homme qui a peur ne parle pas comme je parle ici. Je ne veux pas compromettre les autres. Voilà tout.

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M. le premier président à Orsini. - Ainsi vous niez avoir jeté une bombe. Ecoutez, je vais vous dire pourquoi vous niez, contre l'évidence des faits qui vous étouffe. Vous savez qu'il y a eu, à la suite de cet attentat, de nombreuses victimes atteintes, dont plusieurs ont succombé. Vous savez qu'il y a eu des enfants, des femmes, des vieillards, blessés et tués... Il y a là une odeur de sang qui monte jusqu'à vous, qui vous porte au cerveau. En présence de tous ces meurtres, vous éprouvez le besoin de faire croire que du moins vous n'y avez aucune part directe, et que si le crime était dans votre pensée, votre main y est restée étrangère.

Orsini. Non, non, ce n'est pas cela. La première bombe m'a blessé; et si de Rudio, qui m'accuse et qui prétend avoir été près de moi, s'y fût réellement trouvé, il aurait vu que j'étais blessé, et il l'aurait dit; or il n'en a pas parlé, c'est qu'il n'était pas à côté dé moi, et dès lors je n'ai pas pu lui donner l'ordre dont il parle.

D. La deuxième bombe a éclaté dix secondes après la première, la troisième dix secondes après la deuxième, c'est-à-dire après des intervalles de temps imperceptibles; or vous avez bien pu être blessé par la troisième bombe, celle que vous avez lancée.

Orsini. C'est une supposition que vous faites, monsieur le Président.

M. le premier président. — Je ne fais pas de supposition; la probabilité, la vraisemblance, la vérité enfin, c'est que vous avez lancé la troisième bombe.

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Orsini. Si j'avais voulu adopter un système négatif, j'aurais pu nier les bombes et le pistolet; on parle du sang qu'il y avait sur le pistolet, il y avait d'autres personnes qui ont été blessées aux jambes et qui ont pris le même chemin que moi; ce peut être leur sang aussi bien que le mien. Certainement, je regrette toutes les victimes, et je suis douloureux de penser à tout ce qui est arrivé.

On passe aux antécédents d'Orsini, à ses condamnations. Il exalte sa conduite à Ancône. Il s'y commettait, dit-il, des assassinats nombreux. « Je fis arrêter trente-deux individus qui appartenaient au parti ultrarépublicain; je les fis juger, et, en cinq jours, tous les crimes avaient cessé. Je reçus les salutations et les félicitations de tout le monde. Ma popularité s'étant évanouie, un coup de fusil fut tiré sur moi. Dans une proclamation que je publiai, je disais : « La république n'est pas l'assassinat. Il faut que la liberté de l'Italie se fonde, non par l'assassinat, mais par la douceur, par les mœurs et par la vertu ! » Car, ajoute Orsini, je dois le dire ici publiquement, L'ASSASSINAT

N'ENTRE PAS DANS MES PRINCIPES. »

Les rumeurs indignées de l'auditoire protestent contre cet impudent sophiste qui parle de douceur et

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de vertu, et qui flétrit l'assassinat à trois pas de la table où sont placés les linges rougis du sang de ses victimes.

fait pas Orsini raconte avec complaisance qu'il n'a exécuter trois individus condamnés à mort, pour avoir « déraciné des arbres de liberté. » S'il a fait des réquisitions forcées, c'est par nécessité. Quant aux condamnations prononcées contre lui, « si les magistrats de France, qui sont si probes, si éclairés, si pleins de justice, prenaient la peine d'aller dans les Etats romains, ils sauraient ce que c'est que ces tribunaux dans lesquels toutes les formes de la justice sont violées, et qui n'obéissent qu'à des inspirations politiques et à des sentiments de vengeance. »

M. le président se contente de répondre en énumérant les faits de vol, de concussion, d'extorsion, de I violence, d'abus d'autorité qui motivèrent la condamnation d'Orsini. Celui-ci répond: « Quand on a des troupes à nourrir et rien à leur donner, il faut faire des réquisitions. C'étaient des emprunts forcés que j'ordonnais, et ils devaient être remboursés par le gouvernement républicain. On pourrait retrouver à Rome les ordres que j'avais donnés pour le payement. »

On demande à Orsini qui lui avait donné des renseignements sur la visite de l'Empereur à l'Opéra. Il répond qu'il a remarqué ces jours-là une illumination particulière.

D. Comment se fait-il qu'on n'ait pas jeté de bombes sur les deux voitures qui précédaient celles de l'Empereur? Vous saviez donc que ce n'étaient pas celles de Sa Majesté ?

Orsini. Ceux qui ont lancé des bombes ont jugé par eux-mêmes.

D. Et l'ordre donné à de Rudio?

R. Je le nie. Quand j'ai donné ma parole d'honneur de dire la vérité, on peut y croire. Dans le procès autrichien, on me disait : « Voulez-vous donner sur tel fait votre parole d'honneur? » Je disais : Non, quand je ne voulais

pas

dire la vérité.

D. Cependant, dans l'instruction, vous n'avez pas craint de vous rétracter bien souvent. D'où venait l'argent trouvé en votre possession?

R. Du produit de mes lectures en Angleterre. Mon passé, mon évasion de Mantoue avaient appelé l'attention sur moi en Angleterre. Mes lectures étaient très-suivies et l'on payait cher pour y assister. Kossuth a gagné ainsi plus de 18,000 livres sterling.

D. Dans le cas où votre abominable attentat eût réussi, sur quel concours comptiez-vous à Paris?

R. Je me disais quand il sera arrivé quelque chose à Paris, cela abattra peut-être le système suivi en France quant à l'Italie, et amènera sans doute un soulèvement dans mon pays.

D. Et c'est dans l'espérance d'un soulèvement et pour rendre à l'Italie la liberté de 1849, que vous êtes devenu un assassin en France?

R. Je voulais donner à l'Italie l'indépendance, car sans indépendance il n'y a pas de liberté possible. J'ai écrit dans ce sens à M. de Cavour... Il ne m'a pas répondu.

D. Vous vouliez, je vous le répète, donner à l'Italie la liberté qu'elle avait eue en 1849, la liberté des triumvirs avec le meurtre et le vol. Et vous n'avez pas reculé devant les épouvantables désastres que devait entraîner votre attentat.

Interrogé à son tour s'il persiste dans ses dénégations, Pieri se lève, agite des papiers, et, d'une voix qu'il cherche à rendre retentissante:-Oui, monsieur le Président, je persiste, et comme je considère ma po

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sition, dans cette affaire, comme exceptionnelle, je demande à la Cour la permission de lui donner lecture d'une protestation contre la manière dont on a procédé dans mon interrogatoire.

M. le président. - Vous aurez toute liberté pour vous défendre, mais il me semble qu'il vaut mieux répondre à mes questions dans l'ordre où je vous les adresserai.

Pieri. Comme vous voudrez, Monsieur, je suis à vos ordres, mais j'aurais aussi à faire connaître ma protestation.

D. Je suppose qu'il n'y a à tenir aucun compte des déclarations de vos complices, et je vous interroge; répondez comme vous voudrez et selon les inspirations de votre conscience. Le 6 janvier, vous avez quitté l'Angleterre, en compagnie de Gomez, qui vous amenait à Paris. Pour quel motif veniez-vous à Paris? R. J'y venais pour deux motifs: 1° pour des affaires de famille; 2° dans l'espoir d'une révolution. D. Est-ce que M. le juge d'instruction s'est trompé quand il a consigné dans vos interrogatoires que vous veniez à Paris pour y traiter avec un sieur Allsop, qui n'est autre qu'Orsini, pour une invention qui n'est autre que celle des bombes qui ont produit l'épouvantable catastrophe que vous savez?

Pieri. Il m'est difficile de répondre sèchement par oui et par non à des questions comme vous me les faites; si vous me laissiez lire ma protestation, je crois que nous avancerions la besogne plus vite.

M. le président.-Lisez ce que vous appelez votre protestation, si vous le jugez indispensable à votre défense.

Pieri, prenant une pose théâtrale et d'une voix élevée : Attendu que le juge d'instruction suit un` système inquisitorial contraire au Code d'instruction criminelle, le soussigné proteste et déclare: 1° qu'il ne répondra à aucune question qui lui sera faite dans l'instruction; 2° ce sera seulement devant ses juges qu'il répondra de l'emploi de son temps dans la journée du 14; 3° il proteste contre ceux qui disent qu'il a voulu forcer le passage de l'Opéra, car il faut noter que j'ai été arrêté loin de ce passage, plus d'une heure après l'événement. (On sait que cette assertion est démentie par les faits de la façon la plus palpable; Pieri a été arrêté près du passage, quelques minutes avant l'événement.)

Je reviens, continue l'accusé, à ma position exceptionnelle. Tout le monde peut savoir que le but de mon voyage à Paris a été d'abord des affaires de famille, ensuite...

D. Nous ne pouvons pas procéder ainsi; il faut en revenir au mode habituel, c'est-à-dire aux questions adressées par le président, auxquelles l'accusé est libre de répondre comme il l'entend dans l'intérêt de sa défense. Je commence d'abord par dire que le juge d'instruction n'a pas besoin d'être disculpé des accusations que vous portez contre lui. Maintenant répondez: N'est-ce pas le 6 janvier que vous avez quitté Birmingham pour venir en France avec Gomez, et que veniez-vous faire à Paris? — R. Il y avait plus de six semaines que tous mes amis d'Angleterre savaient que je voulais venir en France; j'y venais pour des affaires, pour voir ma famille, mon fils surtout, que je n'avais pas vu depuis six ans.

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D. Ainsi, vous niez être venu en France pour y traiter de l'invention d'Allsop? R. J'ai dit ce que j'ai voulu quand on m'a arrêté, je n'ai pas voulu faire de peine à personne à cause de moi; voilà mon mobile dans mes interrogatoires.

M. le premier président. Je prie MM. les jurés

de porter leur attention sur ce fait. Pieri arrive à Paris, sous un faux nom, avec un faux passe-port; Pieri, l'homme que vous allez connaître, l'homme condamné dans son pays pour des faits infamants, l'homme réfugié en France et expulsé de France en 1852 pour l'indignité de sa conduite. Dans la soirée du 14 janvier, on l'a arrêté dans la rue Le Peletier, et, au moment même de son arrestation, on l'interroge; on lui demande quel est le motif qui l'a fait revenir en France; il répond que tout dernièrement un homme lui avait dit, en Angleterre, que puisqu'il allait en Italie, il pourrait avoir besoin de certains instruments; qu'il connaissait un homme, un monsieur, à Paris, qui en avait; que lui, Pieri, avait demandé l'adresse de ce monsieur, mais que l'homme n'avait pas voulu la lui donner, en ajoutant que ce monsieur, qui se nommait Allsop, irait le voir, lui, Pieri, à Paris. Pieri arrive à Paris; son premier soin est de voir cet Allsop (Orsini).

Voilà, MM. les jurés, ce que Pieri disait au moment même de son arrestation. Il venait donc en France, de son propre aveu, pour traiter de l'invention d'Allsop, c'est-à-dire d'instruments de mort, de bombes fulminantes.

Pieri. Il y a des erreurs dans tout cela; je n'ai pas été interrogé au moment de mon arrestation, mais seulement à minuit.

D. Qu'elle ait été faite avant ou après minuit, la question n'est pas là, cette déclaration, consignée dans votre premier interrogatoire, est-elle vraie ou fausse? Voilà ce que nous vous demandons. — R. Elle n'était pas vraie.

D. Bien, c'est votre réponse aujourd'hui ; mais vous avez été interrogé d'autres fois dans l'instruction, et vous avez persévéré dans cette première déclaration. Pourquoi?-R. L'instruction ne marchait pas comme je l'entendais; et d'ailleurs, ma réserve de ne dire la vérité que devant mes juges me paraissait le moyen le plus simple, et je ne m'embarrassai pas de ce que je disais dans l'instruction.

D. Enfin, aujourd'hui vous dites que le but de votre venue en France était de voir votre famille, et que vous espériez une révolution en Italie aussi? —R. Oui, Monsieur.

D. Ce dernier motif était-il celui de Gomez? - R. Dans mon opinion, je crois que Gomez n'est pas un homme politique, qu'il ne savait et qu'il n'espérait rien.

D. Qu'alliez-vous faire à Bruxelles, et pourquoi ne veniez-vous pas directement de Lille, où vous laissiez Gomez, à Paris? -- R. A mon départ de Birmingham, M. Bernard m'avait dit que puisque je venais en France, il me serait obligé de passer par Bruxelles et d'y voir, au café Suisse, une personne qui me remettrait un tragment de fer. Je consentis à ce que Bernard me demandait parce que j'avais des amis à voir en Belgique.

M. le premier président. - Ce que vous dites-là est nouveau; MM. les jurés retiendront le fait. Connaissiez-vous l'usage que l'on voulait faire du fragment de fer?

R. Non, j'ai demandé au cafetier qui me l'a remis si c'était dangereux ou cassant; il m'a dit que non. M. le premier président. - MM. les jurés sauront que ce fragment de fer était le couvercle d'une bombe, une moitié de bombe. Quelles sont les personnes que vous avez vues à Bruxelles? n'y avez-vous pas vu, notamment, une nommée Rosina Hartmann? R. Oui, elle avait été ma servante.

D. Que lui avez-vous dit?

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R. Que j'allais en

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France, puis de France en Italie; je lui ai dit aussi que je n'étais pas certain de revenir en Angleterre, que je lui ferais connaître plus tard ma détermination.

D. Vous lui avez dit aussi quelque chose de beaucoup plus sérieux; vous lui avez dit que votre voyage à Paris pourrait vous coûter la vie. Vous êtes arrivé le 8 janvier à Paris, qu'y avez-vous fait ? R. J'ai d'abord fait des visites.

D. Vous y avez vu Orsini? - R. Pas tout de suite; je n'étais pas pressé de le voir. Je ne l'avais pas vu depuis le 23 novembre. Quand nous nous sommes vus à Paris, nous avons parlé de bien des choses et de l'indépendance de l'Italie.

D. Il ne vous a pas parlé ensuite du projet de tuer l'Empereur? - R. Jamais, Monsieur; nous avons parlé académiquement d'une foule de choses, mais jamais de complots du genre qu'on veut dire.

D. En avez-vous parlé à de Rudio? R. Jamais. M. le premier président. Nous plaçons ici une observation. Vous aviez déclaré primitivement que vous veniez à Paris pour traiter de l'invention Allsop. Ceci démontre que vous sentiez la nécessité de donner des explications telles quelles. Vous veniez de Bruxelles, vous y aviez pris un fragment de fer qui se rapportait à cette invention, et quand vous voyez Allsop (Orsini), vous ne lui en auriez pas dit un mot; vous vous seriez borné à causer avec lui de l'indépendance de l'Italie?

Pieri. Vous voyez bien, monsieur le Président, que nous n'arriverons jamais à rien de bon de cette manière. Nous allons du commencement à la queue; nous ne mettons pas de logique dans la discussion; je suis sûr que nos explications n'amèneront jamais rien.

M. le premier président. - Répondez à ma question, soyez sincère, et nous arriverons à un résultat. Le 10 janvier, vous êtes allé chez l'armurier Devismes. R. Non, c'est le 11; voyez comme nous embrouillons tout, faute de procéder par ordre. Si vous me laissiez raconter les faits, cela vaudrait beaucoup mieux, croyez-moi.

D. Non, répondez; qu'alliez-vous faire chez Devisme? R. J'allais chercher un pistolet qu'Orsini avait donné à arranger.

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D. Et vous ne vous êtes pas procuré aussi des pistolets pour votre propre compte?-R. Non, monsieur le Président, jamais je n'ai acheté de pistolets pour moi. Ce qui a pu faire dire cela, c'est que je connaissais tous les fabricants d'armes de Birmingham, que souvent je conduisais des personnes voir leur fabrique, que quelquefois j'en faisais acheter à de mes amis; j'en ai fait acheter deux à Orsini, et je vais vous raconter l'histoire de ces deux pistolets.

L'accusé entre dans des détails très-longs et trèsembrouillés sur l'achat de ces deux pistolets; il en revient à dire qu'il n'a jamais acheté des pistolets pour son compte.

M. le premier président. L'instruction a établi que, à Paris, vous aviez deux pistolets revolvers, un qui a été trouvé sur vous lors de votre arrestation, l'autre saisi à votre domicile. MM. les jurés doivent savoir qu'il y a une autre version sur ces deux pistolets. La voici : Bernard aurait envoyé de Birmingham, à M. Outrequin, à Paris, deux pistolets comme échantillons, disait-il dans sa lettre d'envoi; mais en même temps, dans cette même lettre, il disait qu'un Anglais (Allsop-Orsini) les prendrait et qu'il ne faudrait pas le faire trop marchander. De ces deux pistolets, Orsini en a retiré un, et Pieri l'autre.

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