Images de page
PDF
ePub

«Mais la veuve Lacoste ne se bornait pas à payer de son argent le service que Meilhan lui avait rendu, elle lui témoignait encore sa reconnaissance en lui accordant ses bons offices chaque fois qu'il les réclamait. Ainsi, dans le courant du mois d'août 1843, Lescure avait chassé Meilhan de sa maison parce qu'il le soupçonnait d'avoir des relations intimes avec sa femme. Le maire de Riguepeu avait cherché inutilement à les réconcilier. Alors Meilhan s'adressa à la veuve Lacoste, qui intercéda pour lui, et, grâce à son intervention, l'affaire fut bientôt arrangée.

<< Tandis qu'Euphémie Vergès com blait ainsi Meilhan de ses bienfaits, elle songeait aussi à jouir de ses richesses et de sa liberté.

« Dès les premiers jours de son veuvage, sa correspondance était devenue très-active. La femme Lescure ne cessait de porter des lettres. Déjà Euphémie Vergés parlait de mariage; déjà même son choix était fait.

« Si je me remarie, disait-elle peu de jours après la mort de M. Lacoste, je ne prendrai pas d'autre époux que M. Henri B..., de Tarbes, parce qu'il a été mon premier amoureux. »

« L'opinion publique m'est indifférente; je suis maîtresse de mes actions. >>

« Mme Fourcade, indignée d'une pareille réponse, la quitta en lui déclarant qu'elle ne pouvait pas tolérer plus longtemps une telle conduite dans sa maison.

« La veuve Lacoste se trouvait donc très-heureuse d'être délivrée du vieux mari qui l'avait tant fait souffrir. Elle goûtait enfin les jouissances de la fortune, dont l'avarice de son époux l'avait trop longtemps privée; elle pouvait maintenant se livrer en toute liberté à une inclination que le mariage avait contrariée; elle souriait à l'espoir de s'unir bientôt à celui qui avait été son premier amoureux. « Mais l'opinion publique, qu'Euphémie Vergés affectait de mépriser, commençait à s'élever contre elle. Le genre de maladie auquel Henri Lacoste avait succombé, la manière si subite dont il fut atteint par cette maladie, avaient, dès le principe, excité quelques soupçons. Euphémie Vergès avait cherché à les détourner en attribuant la mort de son mari à des causes mensongères. Aux uns elle débitait la même fable qu'on avait racontée à M. Lasmolles, chirurgien, lorsqu'il était venu pour la pre

«Bientôt elle part pour Tarbes, et l'une des première fois voir le malade. « M. Lacoste, disait-elle, mières visites qu'elle reçoit en arrivant est celle du jeune Henri B... Dès le lendemain, elle quitte le logement que son mari avait loué dans cette ville, pour s'établir chez M. Fourcade, dans un appartement plus somptueux, qu'elle meuble avec élégance. Elle achète des chevaux, prend un cocher; elle jouit enfin de tous les plaisirs du luxe.

« Au milieu de ces joies nouvelles, le souvenir de son vieux mari ne lui inspire plus qu'un profond dégoût, qu'elle n'a pas même la pudeur de dissimuler; elle s'en exprima un jour devant plusieurs personnes avec un cynisme révoltant. C'était pendant qu'elle faisait son déménagement. Sa femme de chambre, ayant trouvé un bonnet qui avait appartenu à M. Lacoste, demanda à sa maîtresse où il fallait le placer. «Tirez cela de devant moi, >> s'écria Euphémie Vergès avec un geste de dégoût. M. Fourcade, témoin de cette scène, en fut tellement révolté qu'il ne put garder le silence. Il fit observer à la veuve Lacoste qu'il n'était pas convenable de témoigner devant tout le monde le peu de regret que lui causait la mort si récente de son mari, de son bienfaiteur, de celui à qui elle devait sa brillante fortune. « Ah! répondit-elle, si vous saviez tout ce qu'il m'a fait souffrir!»>

«Mais ce souvenir importun, qu'elle cherchait en vain à repousser, la poursuivait au milieu de son opulence. Deux fois Mme Fourcade, en entrant dans son appartement, la vit tremblante, en proie à une agitation étrange. « Qu'avez-vous? lui demanda-t-elle; chaque fois que je viens je vous fais Je pensais en ce moment à mon mari, dit Euphémie Vergès; s'il me voyait au milieu de ces

peur.

meubles ! >>

«C'était sans doute le cri de sa conscience, qui lui reprochait d'avoir acheté par un crime les richesses dont elle se voyait entourée. »>

Ici l'acte d'accusation prétend qu'un jeune homme fut vu plusieurs fois sortant à minuit de chez Mme Lacoste.

«Mme Fourcade, ne voulant pas que sa maison fût un lieu de rendez-vous nocturnes, fit à ce sujet quelques observations à la veuve Lacoste et l'avertit que sa conduite avait déjà éveillé l'attention du public. Euphémie Vergès lui répondit en souriant:

s'était senti indisposé le jour de la foire de Riguepeu; cependant il s'était levé le lendemain, et, après avoir déjeuné avec du pain, de l'oignon et de l'ail, il avait encore diné copieusement, malgré les observations qu'elle lui avait faites. C'était à la suite de cette imprudence qu'il était tombé malade. A d'autres elle disait que la maladie de son mari s'était déclarée à la suite de deux repas indigestes qu'il avait faits le jour de la foire; à d'autres, enfin, elle racontait que son mari avait succombé par l'effet d'une hernie que l'effort d'un vomissement avait fait sortir. Elle ajoutait même que le médecin, dès qu'il avait connu l'existence de cette hernie, avait déclaré que le malade était perdu.

«C'était encore un grossier mensonge; car M. Lasmolles a déposé, au contraire, qu'ayant entendu parler de cette prétendue hernie il avait interrogé M. Lacoste à ce sujet, et que celui-ci lui avait déclaré qu'il n'avait point de hernie.

«Ces explications contradictoires étaient peu propres à détruire les soupçons que la mort si prompte d'Henri Lacoste avait fait naître; la conduite scandaleuse de la jeune veuve leur donna bientôt une nouvelle force. Mais lorsqu'on vit Euphémie Vergès combler Meilhan de ses bienfaits, chacun se dit: « C'est sans doute le prix du verre de vin que Meilhan a fait boire au malheureux Lacoste le jour de la foire de Riguepeu. » Et bientôt la clameur publique s'éleva contre les deux accusés.

«La veuve Lacoste ne voulut pas paraître reculer devant le danger. C'est alors qu'elle écrivit à M. le procureur du roi pour solliciter elle-même l'exhumation du corps de son mari, espérant peut-être que le temps aurait effacé les traces du poison. Elle chargea en même temps l'huissier Labadie d'aller à Riguepeu, de s'informer du nom des personnes qui avaient répandu contre elle des propos diffamatoires, et d'annoncer qu'elle était dans l'intention d'exercer des poursuites rigoureuses contre ses calomniateurs. L'huissier Labadie s'acquitta parfaitement de cette commission; il se rendit notamment chez le maire et le curé de Riguepeu, dont le témoignage était surtout à craindre; il déclara que la veuve Lacoste allait poursuivre tous ceux qui avaient parlé contre elle; il citait en même temps

des articles de loi en vertu desquels les calomniateurs devaient, disait-il, être condamnés à des dommages-intérêts considérables et à la peine des travaux forcés. Il revint encore une fois faire la même déclaration chez le maire, la veille du jour où ce fonctionnaire devait se rendre devant M. le procureur du roi pour lui donner des renseignements sur cette affaire.

<< Mais tout cela n'était qu'un moyen d'effrayer les témoins pour obtenir leur silence; car bientôt la veuve Lacoste, au lieu de donner suite à toutes ses menaces, disparut de son domicile, et toutes les recherches qu'on a faites depuis ce moment pour découvrir sa retraite sont restées sans résultat.

<< Meilhan seul est arrêté. On a saisi dans son domicile une lettre de change de 1,772 francs, renouvelée à son profit par Castera, et une somme de 820 francs en or ou en argent. Mais l'acte de constitution de la rente de 400 francs avait déjà disparu; il a été impossible de le retrouver.

« Interrogé plusieurs fois dans le cours de l'instruction, Meilhan s'est efforcé de repousser les charges accablantes qui s'élèvent contre lui; mais il n'a pu trouver, pour se justifier, que des explications embarrassées et invraisemblables, ou des dénégations dénuées de preuves, qui sont contredites par les témoins entendus dans l'information. «Il soutient d'abord que, le 16 mai, jour de la foire de Riguepeu, Henri Lacoste n'a pas bu avec lui, et pour justifier cette allégation il prétend avoir passé tout l'après-midi avec M. Mothe, l'un de ses amis, sans le quitter un seul instant. Mais M. Mothe, entendu dans l'information, a déclaré, au contraire, que Meilhan, après s'être promené longtemps avec lui sur le champ de foire, l'a quitté avant trois heures, et c'est précisément à cette heure qu'il a dû conduire M. Lacoste chez lui pour lui offrir le breuvage empoisonné; car c'est entre trois et quatre heures que M. Henri Lacoste a ressenti les premières atteintes du poison.

«Le témoignage de M. Mothe, que Meilhan avait invoqué pour sa justification, n'a donc servi qu'à le convaincre de mensonge.

«D'ailleurs il est impossible de douter que M. Lacoste ait bu chez Meilhan, puisque c'est M. Lacoste lui-même qui l'a déclaré quelques moments après à trois personnes dont le témoignage ne peut être suspecté.

« Lorsqu'il s'est agi de s'expliquer sur la lettre de change de 1,772 francs, l'accusé a déclaré que, environ deux mois après la mort de M. Lacoste, Euphémie Vergés, étant un jour occupée à ranger les papiers de la succession, lui avait exprimé l'embarras de sa position, disant que son mari ne gardait jamais d'argent; qu'il lui offrit alors de lui escompter une lettre de change de 1,772 francs sur Castera; que, le lendemain, il revint chez la veuve Lacoste, fui compta le montant de la lettre de change, et reçut le titre en retour de cette somme.

«Cette déclaration n'est encore qu'un mensonge: d'abord Meilhan ne dit pas la vérité lorsqu'il prétend n'avoir reçu la lettre de change que deux mois après la mort de M. Lacoste; car il résulte de l'information que M. Lacoste était mort seulement depuis quelques jours lorsque l'accusé a parlé de cette lettre de change à M. Sabazan et lorsqu'il l'a pré

sentée à Castera.

«Dans la suite de son récit Meilhan n'est pas d'accord avec lui-même; car, lorsqu'il a montré la lettre de change à Castera, il lui a dit que la veuve

Lacoste la lui avait donnée en échange d'une somme de 2,000 francs qu'il lui avait prêtée. Aujourd'hui il ne parle plus de ce prêt de 2,000 francs; il dit seulement qu'il a compté à la veuve Lacoste le montant de la lettre de change; mais cette nouvelle raison n'est pas plus vraisemblable que la première. En effet, lorsque Meilhan est venu habiter Riguepeu, il était sans aucune ressource. Il s'était dépouillé de tout pour établir à Vic-Fezensac la pharmacie de son fils; sa profession d'instituteur devait lui procurer à peine de quoi fournir à ses dépenses. Comment aurait-il pu se trouver en position de prêter à la veuve Lacoste une somme aussi considérable, et de garder encore à sa disposition celle de 820 francs, qu'on a saisie dans son domicile? Cette prétendue négociation, racontée par Meilhan de deux manières différentes, n'est donc qu'une fable inventée pour expliquer la possession d'un titre qui l'accuse. Il n'a pas acheté ce titre; il l'a reçu de la générosité de sa complice: c'est lui-même qui en a fait deux fois l'aveu à M. Sabazan.

«Meilhan a été encore bien plus embarrassé lorsqu'on l'a interrogé sur la pension viagère de 400 fr. dont on a vu le titre entre ses mains. Il est obligé de convenir qu'il a fait rédiger un modèle à M. Sabazan, et qu'il lui a ensuite montré un acte portant constitution d'une rente de 400 francs et signé du nom de la veuve Lacoste. Mais voici comment il explique l'origine de cet acte.

«Mon fils, dit-il, me sollicitait sans cesse de contribuer à l'entretien de l'un de ses enfants, qui est au séminaire de Vicq-Fezensac. J'avais toujours refusé de faire ce sacrifice, parce que je voulais conserver le fruit de mes économies pour le temps. où je ne pourrais plus travailler. Il y a cinq ou six mois, mon fils écrivit à M. le curé pour le prier de m'en parler. M. le curé, ne voulant pas se charger de cette mission, remit la lettre à M. Sabazan, qui me la communiqua. Je répondis que je ne voulais rien faire, et j'ajoutai que j'avais l'intention de placer mes capitaux en rente viagère. Je le priai au même instant de me faire un modèle d'acte sous le nom de Mme Lacoste, qui n'en savait rien. M. Sabazan me remit ce modèle. Il me sembla qu'il était trop bien rédigé; je le refis à ma manière, et je le montrai à M. Sabazan. J'avais mis au bas de cet acte les mots : veuve Lacoste, mais j'avais eu soin de déguiser mon écriture. Je fis tout cela dans l'intention de faire croire à mon fils, quand mes infirmités m'obligeraient à me retirer chez lui, que mes revenus provenaient d'une rente viagère qu'on m'avait donnée; et, pour lui laisser ignorer que j'avais placé mes capitaux, je voulais persuader à M. Sabazan que cette rente existait réellement, afin qu'il pût en rendre témoignage à mon fils.»>

«Ici encore l'accusé en impose en disant que c'est à l'occasion de la lettre de son fils qu'il a parlé à M. Sabazan de la pension de 400 francs, et qu'il l'a prié de rédiger le modèle de l'acte par lequel cette rente devait être constituée.

«M. le curé de Riguepeu déclare, en effet, qu'il a reçu une lettre dont parle Meilhan, très-longtemps avant la mort de M. Lacoste. M. Sabazan affirme également qu'il a communiqué cette lettre à Meilhan bien antérieurement à l'époque où l'accusé lui a parlé de la pension de 400 francs, et que le modèle de l'acte n'a pas été rédigé à cette occasion.

<«< Mais l'invraisemblance choquante du récit de Meilhan suffit pour en démontrer la fausseté. Il est

impossible d'admettre que l'accusé, dans le seul but de persuader à son fils l'existence d'une pension imaginaire, ait fait rédiger à M. Sabazan le modèle de l'acte par lequel cette pension devait lui être assurée; qu'il ait choisi, par le seul effet du hasard, le nom de la veuve Lacoste pour le faire figurer dans cet acte; qu'il ait ensuite fabriqué luimême un titre revêtu d'une fausse signature, et qu'il soit allé le montrer au maire et au curé de Riguepeu, en leur disant qu'il le tenait de la générosité de la veuve Lacoste.

«D'ailleurs comment l'accusé pouvait-il espérer tromper son fils par cette grossière comédie? Comment pouvait-il croire que sa ruse ne serait pas découverte? Si cette constitution de rente n'eût été qu'une invention de Meilhan, la veuve Lacoste n'eût pas manqué de la démentir, et le fils de l'accusé, in

|

téressé à connaître les ressources de son père, n'eût pas tardé à découvrir la vérité.

«Ce qui prouve enfin que le but de l'accusé n'était pas de tromper son fils sur la véritable origine de ses ressources en lui persuadant l'existence réelle de cette pension, c'est qu'il a tenu un langage tout différent à un témoin qu'il savait être en relations fréquentes avec ce même fils. Il dit, en effet, un jour à M. Thener, chirurgien, en lui montrant l'acte de constitution de rente, que cet acte n'avait rien de sérieux, qu'il l'avait fabriqué lui-même en déguisant son écriture, et qu'il avait fait courir le bruit de l'existence de cette rente afin de pouvoir inspirer plus de confiance et se placer dans une bonne maison quand il serait obligé de cesser ses fonctions d'instituteur. «Il donnait donc alors à la création de cet acte un

[graphic][merged small]

motif tout autre que celui qu'il donne aujourd'hui; | mais toutes ces versions contradictoires et invraisemblables ne font que démontrer l'impossibilité où se trouve l'accusé d'expliquer l'origine d'une pension qui était le prix de sa coopération au crime. Et ce qui démontre que cette rente de 400 francs lui avait été réellement donnée par Euphémie Vergès, c'est qu'au mois d'août, époque fixée par l'acte pour le payement de la pension, Meilhan, revenant un jour de chez la veuve Lacoste, a dit à M. Sabazan, en faisant sonner des écus dans sa poche, « qu'il venait de toucher le premier terme de

sa rente».

«L'accusé prétend qu'il ne se rappelle pas avoir tenu ce propos; mais M. Sabazan affirme qu'il l'a entendu, et son témoignage ne peut être suspect. Meilhan a donc cherché inutilement à se justifier; ses réponses, loin de détruire les charges qui s'élèvent contre lui, n'ont servi qu'à démontrer avec une nouvelle évidence la culpabilité des deux ac

cusés. Leur sort, en effet, ne peut être séparé. Si Meilhan est coupable, Euphémie Vergès ne peut être innocente. »

Voilà la contexture de l'acte d'accusation. On y aura remarqué sans doute plus d'inductions, et, qu'on nous passe le mot en faveur de sa justesse, plus de cancans que de preuves. L'habileté du tissage n'en donne pas moins une grande apparence de force à ce tissu un peu léger.

Selon une habitude regrettable, l'acte d'accusation est itérativement développé dans un résumé vigoureux de M. le procureur du roi Cassagnol. Lorsque l'organe du ministère public représente les relations suspectes de Mme Lacoste avec un vieillard mal famé, Meilhan le regarde avec un sourire calme, un peu étonné; il fait, sans colère, un geste de dénégation aux jurés; puis il se reprend à écouter, en homme qui prend plaisir à entendre parler si bien.

On procède à l'interrogatoire de Meilhan. 11 ha

bite Riguepeu depuis six ans; il était auparavant | instituteur à Breuzeville. Soldat sous la République, il fit à Bordeaux et à Bayonne des études de pharmacie, entreprit un petit commerce de grains, puis se fit instituteur.

D. Pendant votre séjour à Riguepeu, vous demeuriez chez l'aubergiste Lescure. Lescure perdit une fille. Savez-vous des suites de quelle maladie? R. Monsieur, non; cette fille avait des douleurs dans le ventre; un médecin lui ordonna des saignées et des bains de pieds.

D. Ne savez-vous pas que le bruit courut que sa mort devait être attribuée à un avortement?R. Je n'ai jamais entendu parler de cela; pendant sa maladie elle se plaignait tantôt d'une chose, tantôt d'une autre. Le médecin... D. Ne parlons pas de la maladie ni du médecin,

[merged small][merged small][ocr errors][merged small]
[graphic][subsumed]
[ocr errors]

Le jour de barbe.

Meilhan. Non pas, non pas; Lescure ne m'a pas chassé. Voici ce que c'est. Lescure allait en route; il était monté sur sa jument pour partir. Dans le moment j'avais besoin de mon argent et de mes papiers, que Lescure me serrait dans une armoire. Comme je ne voulais pas retarder son départ, je demandai mes papiers et mon argent à sa femme. Pendant qu'elle me les donnait, Lescure, qui était descendu de cheval, entra dans la chambre, et, me voyant auprès de sa femme, il eut de l'ombrage et fit un mouvement qui ne me fit pas plaisir. Dans ce moment il faisait très-chaud; je n'avais pas ma redingote sur moi; je la saisis par une manche, la jetai sur mon dos sans passer les bras, et je quittai la maison. J'allai chez M. le curé lui conter la chose, dont je n'étais pas content du tout; je couchai chez M. le curé. Le lendemain i'en parlai à M. Sabattier, qui me dit : « Revenez; Lescure a reconnu son erreur; il vous fera ses excuses.» Pendant que nous causions avec M. Sabattier,

CAUSES CÉLÈBRES. 42° LIVR.*

[ocr errors]
[ocr errors]

Mme Lacoste passa vis-à-vis de la porte de Lescure;
elle entra, moi après, et Lescure se jeta à mon cou
et me fit ses excuses.
M. le président. Vous êtes très-long dans vos
explications, qui ne s'accordent guère avec les faits
de l'instruction. Allez plus vite, abrégez.
Meilhan. Je dis comment cela s'est passé. Le
lendemain, étant rentré chez Lescure et couché
dans ma chambre, il vint me trouver dans mon lit
et me dit : « Oubliez toutes nos brouilles, et soyez
gai comme auparavant. »

Et Meilhan, en terminant ce récit, se prend à rire avec bonhomie.

Qu'on nous permette ici une observation. Un accusé de crime capital a sans doute le droit de réponse, et, pourvu qu'il ne se perde pas en digressions inutiles, s'il est prolixe, la justice n'a qu'à s'en féliciter. Le juré et le juge formeront plus sûrement leur opinion à l'aide de réponses diffuses, dans lesquelles se trahit inévitablement un caractère et

[merged small][ocr errors][merged small]

qui laissent plus de place aux contradictions. La justice, c'est la patience.

Meilhan déclare n'avoir pas vu M. Lacoste et ne lui avoir pas parlé à la foire de Riguepeu; il a passé toute la journée avec le capitaine Mothe. Il n'a eu, ce jour-là, avec Mme Lacoste, aucune conférence secrète. Il se rappelle bien que Pierre Cournet lui parla de maux de tête survenus à M. Lacoste, mais non de vomissements. S'il n'a pas été voir M. Lacoste pendant sa maladie, c'est que Mme Lacoste lui avait dit qu'il ne voulait voir personne.

D. Après la mort de Lacoste, n'avez-vous pas demandé à M. le maire de Riguepeu un moyen de faire une obligation de 400 francs de rente viagère, et ne lui avez-vous pas parlé de Mme Lacoste dans ce moment? Et, plus tard, n'avez-vous pas montré à M. Sabazan, le maire, un écrit signé Euphémie Lacoste, et qui portait obligation d'une pension viagère de 400 francs? - R. Oh! tout ça, c'est bien embrouillé; je vous expliquerai cela. (Gesticulant avec l'animation méridionale): Eh! mon Dieu! en quoi ça a consisté? J'ai placé 1,772 francs chez Mme Lacoste; voilà tout. Elle m'a donné un bon sur

Castera.

[ocr errors]

D. Avez-vous donné l'argent avant ou après la remise du bon sur Castera? R. En prison j'ai un peu oublié tout ça. Je crois que c'est après. Il me semble même me souvenir que j'ai voulu donner 1,000 francs d'avance, et que Madame les a refusés.

D. Et les 400 francs de pension viagère?-R. Ah! pour ça, c'était une ruse de ma part. Mon fils me demandait toujours de l'argent; il m'épuisait... Alors, pour sauver quelques débris pour mes vieux jours, je voulais faire semblant d'avoir tout placé chez Madame. Alors je montrai à M. Sabazan une obligation de 400 francs de pension viagère que j'avais faite moi-même et que je signai du nom d'Euphémie Lacoste. Mon fils pouvait croire cela.

D. Mais M. Sabazan ne voyait jamais votre fils. - R. Eh bien ! il pouvait le voir.

D. Cette version est bien invraisemblable. R. Tout cela se peut.

D. Combien aviez-vous d'argent à votre disposition? R. 3,000 francs. M. Sabazan savait bien que j'avais de l'argent.

[ocr errors]

D. Vous étiez instituteur primaire depuis dix ans. Vous n'aviez qu'un revenu de 500 francs. Vous aviez, suivant l'accusation, des habitudes qui doivent être dispendieuses à votre âge. Comment avezvous pu faire de telles économies? On a le droit d'en être surpris.

Meilhan, s'agitant beaucoup. Ah! vous en êtes surpris! Mais à Breuzeville j'étais logé, couché, nourri; à Riguepeu je demeurais chez Lescure, et je ne mettais pas à la broche tous les jours; 3 francs de soupe par mois, 2 francs de loyer, le pain..., en tout 6 francs par mois; 6 francs de blanchissage par an; en tout, 130 francs par an. J'ai bien pu faire des économies. Et puis je faisais un petit commerce de grains.

M. le président. Enfin, c'est ainsi que vous expliquez la question d'argent que soulève le procès?-R. Eh! mon Dieu! la justice vient bien à bout de tout ce qu'elle veut; on a tout cherché chez moi. Qu'est-ce qu'on a trouvé? On n'a rien trouvé de plus que ce que je dis.

M. le président. Le système de l'accusation est que vous avez anéanti cette obligation de 400 francs

[ocr errors]

de pension quand vous avez craint qu'elle ne vous compromit.

Meilhan. Elle ne comptait pas, puisque je l'avais faite; pour le reste, tout mon compte est juste. D. Un jour, en revenant de la maison Philibert, ne rencontrâtes-vous pas M. Sabazan, maire de Riguepeu, et, en lui montrant un sac d'argent, ne lui avez-vous pas tenu ce propos : « Voilà le premier terme de la pension que me sert M. Lacoste?» Vous auriez même ajouté qu'elle vous faisait en outre des cadeaux. Avez-vous dit ça? — R. C'est-à-dire que voilà la chose dans tout son vrai. Je craignais d'être tourmenté pour ce que je devais au fils de M. Sabazan, et alors je lui disais ça pour qu'il me laissât tranquille; je me vantais, voilà tout.

D. Nous ne comprenons pas que vous remplissiez ainsi le but que vous vous proposiez; n'était-ce pas, au contraire, vous exposer davantage aux importunités ou aux poursuites que de dire que vous aviez de la fortune ou du moins des ressources nouvelles? R. J'avais peut-être tort, en effet, de parler ainsi... Je le vois bien maintenant, d'après ce que vous me dites.

[ocr errors]

D. Vous deviez le comprendre avant mes paroles. Quoi qu'il en soit du but dans lequel le propos aurait été tenu, il reste constant que vous l'avez tenu et que vous étiez porteur d'une somme d'argent.

Mme Lacoste, interrogée à son tour, répond qu'elle s'est mariée de son plein gré. Si, un mois et demi environ après la mort de son mari, elle a commencé à recevoir les visites d'un jeune homme, elle ne le connaissait pas avant son mariage. Meilhan n'a servi d'intermédiaire à aucune correspondance.

M. le président insiste sur ce fait que le mariage religieux aurait été célébré, entre l'accusée et Lacoste, dans un appartement, et non dans l'église. - « On ne s'explique pas ce mystère», dit-il. Malgré la disproportion d'âge, votre mari n'était-il pas exigeant? Ne réclamait-il pas des soins qu'on ne demande pas d'ordinaire à sa femme? - · R. Mes soins étaient spontanés. D. Il se montrait jaloux ?-R. Oh! oui, pour cela, c'est vrai.

D. Il vous interdisait tout plaisir? R. C'est-àdire que je ne songeais pas à en prendre, sachant que cela pouvait le contrarier; mais il ne m'a jamais fait de défense formelle. Il est vrai que je ne sortais pas; mais, je vous le répète, je n'en avais même pas le désir, et je m'étais faite à cette vie

d'intérieur.

[merged small][merged small][ocr errors]

D. Des témoins entendus ont déposé, cependant, qu'il allait jusqu'à vous refuser les choses nécessaires? - R. Non, Monsieur, tout cela est faux.

Mme Lacoste déclare que son mari ne lui parla pas de ses souffrances le jour de la foire de Riguepeu.

D. Vous vous retirâtes à Riguepeu le 16 août au soir. En revenant, que vous dit Henri Lacoste? R. Nous causâmes de choses indifférentes.

D. Et il ne se plaignait pas de douleurs d'estomac?-R. Il se plaignit de maux de tête. D. Il dut vous parler alors d'autres souffrances que de maux de tête? R. J'affirme qu'il ne me parla que de maux de tête.

D. If se coucha de bonne heure ce jour-là? R. Il se couchait en général de très-bonne heure.

« PrécédentContinuer »