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adressa à ses compagnons, placés à genoux autour | de l'échafaud, selon la solennelle consigne des exécutions au bagne, l'allocution suivante:

« Camarades,

« Ne faites pas comme moi; obéissez à vos chefs: ils ne sont pas méchants maintenant. Je remercie Dieu et mes juges de m'avoir donné le temps de mourir en bon chrétien. Je vous remercie de la bonté que vous avez eue pour moi quand j'étais au cachot. Je remercie principalement MONSIEUR COLLET. Voilà, Camarades, ce que j'avais à vous dire. Adieu!>>

Cette réputation de bonté, Collet y tenait par dessus toutes choses. Un jour, on lui fit parvenir une petite brochure, ayant pour titre Collet, ou la Vie d'un condamné. Tout en reconnaissant, avec une satisfaction secrète, l'exactitude des détails contenus dans ce petit livre sur les tours de sa jeunesse, il écrivit à l'éditeur une lettre dans laquelle il relevait les épithètes bruyantes, ridiculement appliquées à un escroc dont on faisait un Mandrin ou un Cartouche. Le singe doublé de renard voulait, à bon droit, ne pas être pris pour un loup. « La société, dit-il dans cette lettre, écrite le 1er juin 1840, m'est redevable de quelques bons exemples.» Et, en effet, à côté de ses sacriléges et de ses extorsions, Collet n'a jamais placé une violence; bien plus, il se montra toujours, par vanité peut-être, disposé à faire le bien. C'est ainsi qu'à Saint-Vallier, sur la route de Valence, il adopta un pauvre petit enfant de trois ans, abandonné sur la place publique avec une lettre placée par ses parents dans la pochette de son tablier. Collet, alors dans toute la gloire de son rôle d'inspecteur général, plaça 8,000 francs sur la tête du pauvre petit, et, plus tard, quand il eut à rendre ses comptes à la justice humaine, il n'oublia pas de suivre de ses bienfaits cette âme que Dieu, peut-être,

avait placée sur le chemin du voleur pour commencer sa rédemption par la charité.

Le terme de la captivité approchait pour Collet; il allait rentrer dans la société, à laquelle il s'était rappelé récemment par des Mémoires plus authentiques que les petits livres publiés jusqu'alors sur sa vie. Mais, fidèle à ses habitudes, il avait vendu à la fois à deux éditeurs, MM. Bourdin et Raissac, le droit de les éditer. Procès entre les éditeurs. Raissac se disait coauteur, en raison de la refonte du style et de l'addition de nombreuses réflexions morales. Le 30 novembre 1837, la Cour royale de Paris jugea que Collet, placé en état d'interdiction légale, n'avait pu contracter ni avec l'un ni avec l'autre.

A quelques jours de sa délivrance, Collet fut saisi de cette fièvre, souvent mortelle, de la liberté qui s'approche; maladie spéciale des forçats à long terme. Il entra à l'hôpital et s'y éteignit, le 24 novembre 1840, au seuil de la délivrance. « Je n'ai qu'un regret, dit-il : c'est de mourir forçat... De l'or! de l'or! murmurait-il, les yeux déjà voilés par la mort! A quoi bon tant d'or!... tant de bijoux !... là... là... »

Collet mourut, emportant le secret de ce trésor, qui suffisait chaque jour à lui procurer du linge blanc, des mets délicats, du tabac à priser, des livres... On ne trouva, après sa mort, que neuf louis dans le collet de sa veste. Pendant près de vingt ans, il n'eut jamais un centime de réserve entre les mains de l'agent comptable; jamais on ne surprit sur lui une somme plus forte que le pécule fixé par le règlement; mais, au moment de satisfaire un désir coûteux, l'or jaillissait de ses mains sans qu'on en pût connaître la source.

Et toute cette adresse, tout ce génie, cette patience heureuse, jamais en défaut, n'avaient servi à Collet qu'à lui procurer dans un bagne un peu plus de bien-être que n'en ont les autres forçats!

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Cartouche dans sa prison, d'après une estampe à la Bibliothèque impériale. Il n'est pas de nom plus po- | pulaire que celui de Cartouche, et ce nom est devenu synonyme de voleur habile, comme celui de César de grand capitaine. Mais la figure quasi-légendaire de Cartouche s'est tellement altérée en traversant, pendant près d'un siècle et demi, les récits de quatre générations, que sa physionomie véritable a presque entièrement disparu. Le Cartouche d'aujourd'hui, tel que le représente un petit volume de trois feuilles in-18, intitulé l'Histoire de la vie et du procès de Cartouche, tiré sans doute depuis plus de cent ans à plusieurs millions d'exemplaires, est devenu une sorte de brigand fantastique dont le costume est aussi faux que l'histoire même. Au physique, c'est un gaillard sinistre, aux cheveux en bourse, au tricorne, portant jabot et habit carré, tenant un pistolet d'une main et de l'autre une montre avec ses breloques. La légende en a fait, au moral, un coquin de convention, trivialement romanesque, affublé de sentiments généreux, de fausses idées sur l'honneur, ayant une ridicule ambition, un amour excessif du faste, phraseur et poseur, un type mi-partie de mélodrame et d'opéraGAUSES CÉLÈBRES. - 46° LIV.

comique. Rien dans cette figure ne rappelle l'épo que qui l'a produite, et il semble, à lire cette biographie, que Cartouche ait été à lui seul tout le génie, toute l'audace, tout l'esprit d'organisation des bandits de la Régence, une sorte de chef de brigands à qui l'occasion seule et le théâtre ont manqué pour devenir un César.

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Or, le vrai Cartouche est la personnification la plus curieuse de la populace parisienne au commencement du dix-huitième siècle. Son existence, impossible en d'autres temps, est un fait historique dont l'importance égale celle du système de Law et des immoralités si complaisamment étudiées aujourd'hui de la Régence. L'histoire de cet homme et de ses compagnons, installés en plein Paris, y créant pour ainsi dire un Etat dans l'Etat, non par un coup de génie, mais par la force même des choses, mettant à contribution les grands et les petits au moyen d'une force mieux organisée pour l'attaque que les forces sociales ne l'étaient pour la résistance, c'est l'histoire des couches inférieures de la vie parisienne. Elle explique, même dans les régions supérieures de l'histoire, plus d'un fait difficile à comprendre.

Et c'est là ce qui a fait la durable popularité de ce nom de Cartouche. Plus d'un bandit, même en son temps, l'a surpassé en originalité, en audace, en intelligence: Mandrin, par exemple, est un type bien plus vigoureusement accentué; mais la célé

CARTOUCHE.

- 1.

brité universelle de Cartouche tient au théâtre même de ses exploits : il a associé son nom à l'hisbire de Paris.

A quelles sources puiser pour dégager l'histoire raie de cet homme de son histoire légendaire?

Desessarts, l'auteur d'un recueil longtemps accrédité de Procès célèbres, a esquissé en quelques pages les prétendues aventures du héros de potence; mais, avec sa probité ordinaire, Desessarts avoue qu'il y a là beaucoup de roman. Saint-Edme, avec son ordinaire improbité, copie purement et simplement la légende, que reproduisent tour à tour les différents biographes des compilations les plus estimées, et les auteurs de ce mauvais livre: l'Histoire de la Bastille.

On retrouve encore les mêmes erreurs dans les esquisses publiées dans les deux grands journaux judiciaires dans l'article de M. Horace Raisson, de la Gazette des Tribunaux, comme dans l'article signé A. L....y, du Droit (août 1843).

Les sources véritables sont les registres du Parlement et quatre cartons déposés aux Archives, renfermant les interrogatoires, les confrontations, les procès-verbaux d'exécution de plusieurs centaines de voleurs et recéleurs, entre les années 1721 et 1725.

Là est la matière première du procès de Cartouche, et on y trouve, chemin faisant, des détails de costume et de langage des plus inattendus.

Mais il ne faut pas s'y tromper; dans ces quatre cartons, étiquetés Cartouche et ses complices, il est fort peu question de Cartouche. Sur 734 pièces, dont quelques-unes composées de plus de 50 pages, une seule est consacrée à Cartouche, et ne contient que 48 pages d'une écriture généralement peu serrée. Dans les autres, ou bien Cartouche n'est pas nommé, ou bien son nom figure mêlé à quelques noms, toujours les mêmes, ceux des voleurs ou des recéleurs les plus dangereux. Rien, dans cette immense procédure, ne nous révèle le Cartouche organisateur, âme des bandits de la capitale. le César déclassé, l'Alexandre de la rue.

Les autres sources sont connues de tout homme qui a un peu étudié le XVIIIe siècle.

C'est avant tout le Journal de Barbier, ce bourgeois naïf et sensé, observateur judicieux, chroniqueur au jour le jour, recueillant sans ordre tous les bruits de la ville, et dont les précieux cancans forment aujourd'hui une histoire intime de Paris et de la France, entre les années 1718-1763.

Notons ensuite deux œuvres d'imagination dans lesquelles il est facile de surprendre, par comparaison avec les documents qui précèdent, quelques détails dessinés d'après nature.

C'est d'abord un poëme de Nicolas Ragot de Grandval, père du célèbre acteur de ce nom. Longtemps auteur ordinaire d'une troupe de comédiens ambulants, puis organiste, Grandval a fait une débauche d'esprit dont le titre est le Vice puni, ou Cartouche; poëme, Anvers (Paris), 1725. Nous avons consulté l'édition de 1726, revue, corrigée et augmentée par l'auteur, et enrichie de figures en tailledouce à chaque chant.

:

Vers et gravures ne doivent pas être pris au pied de la lettre les uns ne sont le plus souvent qu'un pastiche bouffon, une parodie à la Scarron, bardée de vers de la Henr iade ou du Lutrin burlesquement appliqués au sujet; les autres, composées de scènes et de figures de convention, abondent en détails vrais de lieux et de costumes. C'est sous ces réser

ves que nous avons puisé plus d'une fois dans le poëme de Grandval et que le dessinateur s'est inspiré des curieuses gravures dessinées par Bonnart.

Pour donner immédiatement au lecteur un avant- · goût de ce poëme, j'en cite les premiers vers:

Je chante les combats, et ce fameux voleur,
Qui, par sa vigilance et sa rare valeur,
Fit trembler tout Paris, arrêta maint carrosse,
Vola, frappa, tua, fit partout plaie et bosse.
Muse, raconte-moi par quels heureux hasards
Il trompa si souvent les exempts, les mouchards,
Et comme enfin, après taut de vaines poursuites,
Il reçut le loyer de ses rares mérites.

L'autre œuvre d'imagination est une comédie de l'acteur Antoine Le Grand, Cartouche ou les voleurs, à-propos joué pendant l'instruction même du procès. Là encore on trouve des détails de costume et de langage d'autant plus intéressants, qu'ils ont été en grande partie fournis à l'auteur par Cartouche en personne. Les principaux incidents sont les mêmes que ceux du poëme de Grandval, à l'exception du cañevas imaginaire de la pièce, calqué sur celui de. M. de Pourceaugnac. Nous avons eu sous les yeux la troisième édition, 1722, La Haye, chez Jean Neaulme.

C'est à peine s'il est nécessaire d'ajouter à ces sources principales le Mercure de France et la Gazette de Hollande. La presse, à cette époque si rapprochée de son origine, n'est pas encore, comme elle le deviendra plus tard, un écho toujours éveillé des bruits du dehors et des nuances de l'opinion publique. Les gazettes du XVIIIe siècle ne font qu'indiquer timidement ou dédaigneusement l'existence de Cartouche, dont la longue impunité ne faisait guère honneur au gouvernement et à l'administration de ce temps.

Le nom de Cartouche se retrouve encore dans un petit livre contemporain du Père Patouillet, jésuite, intitulé: Apologie de Cartouche, ou le Scélérat sans reproche, par la grâce du Père Quesnel. C'est un des mille pamphlets échangés entre les jansénistes et les jésuites sur la question du libre arbitre et de la grâce. Cartouche n'y est qu'un prétexte à contro

verse.

C'est à l'aide de ces sources directes qu'on peut reconstruire la véritable histoire de Cartouche.

Elles se complètent les unes par les autres. La procédure donne la vérité nue, laide, brutale; Barbier et les gazettes fournissent le bruit du jour, l'émotion du moment; l'histoire in-18, Grandval et Le Grand ajoutent la tradition et le costume.

De tout cela nous avons cherché à composer une histoire aussi exacte que possible de Cartouche et des voleurs de son temps. Si, dans une première édition, nous n'avons pas su éviter quelques erreurs de détail et une grosse erreur de fond, c'est que nous avons eu l'imprudence de prendre au sérieux une prétendue Histoire authentique de Cartouche, publiée pour la première fois, en 1857, dans le Figaro. Le lieu, sans doute, eût dù nous mettre en défiance. Mais quoi! on peut être historien véridique, même dans un petit journal. Le ton, aussi, de l'œuvre était pour nous mettre sur nos gardes : l'auteur, M. B. Maurice, y plaisantait agréablement sur les embêtements de la rhétorique, et voyait dans Cartouche une excuse de 93. Mais ces facéties qui sont de de mise dans le journalisme bohème pouvaient n'être que le passeport d'une étude sérieuse, et les défauts de goût et de sens historique n'enlevaient pas, à nos yeux, son mérite réel à l'histoire authentique, celui

d'avoir, pour la première fois, fouillé la procédure et visité les cartons des Archives. De nombreux extraits, guillemetés, attestaient ces consciencieuses recherches. Nous crûmes l'auteur sur parole, et lui fimes, contre notre habitude, l'honneur de ne pas contrôler ses dires. Mal nous en prit; car la plupart des anecdotes qu'il donne comme empruntées aux aveux de Cartouche, sont ou controuvées, ou dénaturées. Ses citations sont prises aux documents judiciaires, mais avec une négligence de copiste qui en altère le texte et le sens; et s'il cite Barbier, qu'il a lu dans le manuscrit, il altère - étourdiment le texte de Barbier. Mais ce ne seraient là que des peccadilles, et il ne faudrait pas les reprocher trop sévèrement à l'écrivain qui s'intitule bouffonnement lui-même vieux rat de bibliothèque et qui croit avoir retrouvé cette comédie de Le Grand dont les nombreuses éditions sont partout: le crime historique de M. Maurice, c'est d'avoir été aux sources véritables, et d'en avoir rapporté le CartoucheCésar, le chef de brigands traditionnel et inévitable. La manie du pittoresque l'a poussé à nous donner comme authentiques des faits conventionnels dont aucune trace n'existe dans les documents judiciaires. Nous aussi, nous les avons consultés, mais sans dessein préconçu d'y trouver autre chose que ce qu'ils renfermaient, moins préoccupé d'ailleurs de l'agrément du récit que de la vérité. Le Cartouche que nous y avons vu, s'il n'a pas les proportions épiques du Cartouche traditionnel, est assurément une curieuse figure. Ce n'est pas un homme, à vrai dire, c'est une classe; et ce n'est pas comme individu qu'il vaut, mais comme personnification d'une agrégation d'individus, d'un élément social, aujourd'hui disparu sans retour.

L'histoire de Cartouche, on le voit, est à la fois celle d'un homme et celle d'une horde. Commençons par l'homme. Ici, les documents judiciaires font défaut, et c'est à la tradition qu'il faut s'adresser, c'est-à-dire à l'histoire contemporaine in-18, à Grandval et à Le Grand. Voici en quoi ils s'accordent. Il est hors de doute que Cartouche se nommait Louis-Dominique, et qu'il était né à Paris au mois d'octobre 1693.

Cartouche naquit à la frontière de ce quartier populaire par excellence, essentiellement parisien, qu'on appelle la Courtille. Au nord des boulevards, Paris venait alors expirer au pied de vastes cultures, dans lesquelles s'élevaient quelques essais de faubourgs, quelques ilots de maisons de campagne et d'habitations de maraîchers. A partir de la porte Poissonnière jusqu'en face de la Bastille, la campagne avait nom la Courtille, comme de la porte Poissonnière à la Chaussée-d'Antin elle prenait la dénomination générale de Porcherons. Chacune de ces deux grandes circonscriptions champêtres avait son chef-lieu de guinguettes, où la population ouvrière allait se livrer, les jours de fêtes et les dimanches, aux plaisirs bruyants de la danse et de la bouteille.

A l'endroit du quartier actuel du Marais où se croisent les rues Saint-Louis et du Pont-aux-Choux, était alors le grand passage de cette population spéciale de la Courtille. Un ponceau servait à traverser le grand égout que la rue Saint-Louis recouvre aujourd'hui; et, comme par ce ponceau arrivaient journellement dans la capitale les légumes cultivés dans les marais d'alentour, le chemin du ponceau avait pris le nom de rue du Pont-aux-Choux.

C'est dans cette rue que Cartouche vit le jour, sur 'emplacement de la maison portant aujourd'hui le

n° 9, près de la fontaine aux échaudes, dit l'in-18, c'est-à-dire de la fontaine placée aujourd'hui encore au coin de la rue de l'Echaudé au Marais. Le voleur parisien par excellence devait être originaire du quartier général des plaisirs et des vices de Paris.

Pour la plupart des biographes modernes, le père de Cartouche était un honnête marchand de vins, qui avait amassé dans son commerce une fortune importante, fruit du travail et de l'économie. Il avait rêvé pour son fils un avenir en rapport avec sa fortune et l'avait placé très-jeune au collége de Clermont, où le jeune Arouet étudiait alors sous les Pères jésuites; ainsi Voltaire aurait été quelque temps condisciple de Cartouche. Tandis que Voltaire s'escrimait à composer des vers latins, et déjà sans doute des épigrammes contre les bons Pères, Cartouche aurait senti naître en lui, dès l'âge de onze ans, des instincts de perversité et une aptitude naturelle à la rapine, qui, aidés par une adresse peu commune et par une audace précoce, le portèrent à mettre le collége au pillage. Un de ses camarades, un jeune marquis, ayant reçu une somme de cent écus, Cartouche, alors parvenu en quatrième, aurait réussi à forcer les serrures de sa chambre et de l'armoire qui renfermait le précieux dépôt; puis il se serait enfui; et alors aurait commencé pour lui cette épopée de vols qui devait le mener, comme le lui prédit un jour une devineresse, au sommet de la Voilà la légende; voici l'histoire probable.

roue.

Le père de Cartouche n'était ni marchand de vins, ni riche. C'était, dit l'in-18, un pauvre tonnelier, nourrissant péniblement ses quatre enfants, trois garçons et une fille.

Dominique Cartouche était l'aîné; partant il dut apprendre l'état de son père; mais, sans doute, il aimait peu à manier le marteau et la doloire, et préférait aller s'ébattre dans la campagne avec les gamins du voisinage. Un jour qu'une de ses escapades l'avait entraîné trop loin et qu'il s'était attardé dans les plaisirs de quelque foire, celle de Saint Laurent peut-être, qui se tenait dans le faubourg Saint-Denis, il n'osa rentrer au logis, par crainte d'une correction paternelle. Comme il errait dans la campagne et que la nuit commençait à tomber, il rencontra, canipés au coin d'un bois, celui de Romainville si l'on veut, un de ces camps de bohémiens qui venaient écumer autour des grandes villes. Les Rommanys accueillirent ce petit drôle, vrai gibier de potence, et le dressèrent à des tours d'agilité pour lesquels la nature l'avait merveilleusement doué; car il était plus petit que ne le comportait son âge, souple, mince, d'ailleurs robuste.

A cette école, les idées déjà fort peu orthodoxes de Cartouche sur le tien et le mien se développèrent d'une façon inquiétante, et ses nouveaux parents d'adoption purent concevoir les espérances les mieux fondées sur l'agilité de ses mains et sur les ressources de son esprit.

Gamin de Paris et bohémien tout ensemble, voilà tout Cartouche. Ces deux initiations successives composeront désormais tout son caractère. Audace et ruse, fécondité d'invention, adresse de singe, science de l'escamoteur et de l'acrobate, passion incurable du vagabondage, besoin de plaisir et d'oisiveté, puissance singulière de résistance aux privations et à la fatigue; tels seront les traits divers de cette figure originale.

L'apprentissage de Cartouche dans la vie de bohême dura quelque deux ou trois ans; mais, un

jour que la bande avait choisi Rouen pour théâtre de ses exploits, le parlement de Normandie rendit un arrêt par lequel il enjoignait aux gitanos d'avoir à vider le chef-lieu de la province et la province elle-même. Habitués à ces exécutions sommaires, les bohémiens ne se le firent pas dire deux fois : ils levèrent leur camp, établi dans un faubourg de la vieille cité normande, chargèrent dans quelques charrettes et sur quelques ânes volés leurs nippes et leur marmaille, et, en moins de temps que ne l'exigeait le Parlement, ils eurent fait gille, c'est-àdire, en leur langage, détalé.

Mais, dans la précipitation du départ, ils avaient oublié Cartouche, étendu pour l'heure sur un grabat d'hôpital. Une fois guéri, le jeune vaurien se trouva seul sur le pavé de Rouen, avec ses guenilles, une faim d'adolescent et de convalescent, et pas un rouge liard dans sa poche.

La Providence, qui voulait sans doute lui offrir un moyen de redevenir honnête homme, jeta sur son chemin un sien oncle, venu à Rouen pour affaire de commerce. Le bonhomme sermonna fort le petit gueux, mais le renippa, lui garnit l'estomac, et le ramena, tout penaud, dans la boutique paternelle.

Si on n'y tua pas le veau gras, et pour cause, au moins Cartouche fut-il accueilli avec indulgence par ses parents. Il avait mangé de la vache enragée, et la misère, disait le bonhomme d'oncle, lui avait mis du plomb dans la cervelle. Le jeune drôle se reprit à manier la doloire, et on oublia ses escapades.

Jusqu'ici la tradition est acceptable, et il n'y a rien dans le récit de Grandval qui n'autorise la confiance. Il en faut écarter cependant quelques circonstances inventées pour l'effet, celles-ci par exemple

Dès l'âge de onze ans je fus coupeur de bourse. J'allais assidument néanmois au college. C'est dans ce dernier vers qu'il faut voir la source de toutes les fables relatives à l'éducation de Cartouche au collège de Clermont. Grandval savait fort bien que Cartouche n'avait jamais été au collège et qu'il ne connaissait pas même sa croix de par Dieu; mais il s'était amusé à donner une couleur littéraire an héros de son poëme. Il nous montre Cartouche apparaissant tout à coup à ses camarades consternés, qui le croient vaincu dans une lutte suprême avec les exempts:

Veni, vidi, vici, dit-il d'une voix fière.
Vous savez le latin? En aucune manière.

Vous ne le savez pas? C'est-à-dire, en français :

Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu.

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classique ne le détournent pas de la tradition véri table, Grandval est un écho fidèle.

Ce sera donc lui qui nous apprendra ce que devint Cartouche rentré en grâce. Les premiers temps de son retour à la vie de famille furent à peu près sans nuages. Parti enfant, il revenait presque jeune homme. Il était gai comme une fauvette, savait mille chansons drôlettes, racontait mille bons tours. Il devinait, à force d'adresse naturelle et acquise, ce métier qui rebutait si fort son enfance. En quelques jours, il taillait une douve et ajustait un cercle à miracle, et le bonhomme de père se frottait les mains en voyant travailler avec de joyeux refrains cet hé. ritier inespéré du métier paternel.

Mais la joie fut de courte durée. Au nouveau tout est beau, dit la vieille sagesse. Le nouveau, pour Cartouche, c'était la vie sédentaire, calme et régu lière comme le vieux coucou à poids qui ornait la chambre à coucher attenante à la boutique; c'était la boutique ouverte sur le coup de cinq heures du matin, la soupe épaisse du déjeuner, toujours fumante à la même heure, sur la même table; c'était un lit point trop dur, étendu sur le plancher de la soupente, et dans lequel le vagabond converti pensait avec délices au dur oreiller que lui faisaient jadis les pierres de la route.

Mais, peu à peu, le nouveau devint monotone; le passé, en se reculant dans le souvenir, ne laissa plus apparaître que les âpres plaisirs de la vie sauvage. Travailler pour vivre, quand autrefois il suffisait d'escalader une ferme ou de dévaliser un étalage pour festoyer gaiement, au coin d'un bois, quelque vaste chaudronnée de victuailles, arrosée d'un petit vin généreux ou d'un bon cidre petillant!

Bientôt la vie de bohême remonta tout entière en fumées enivrantes au cerveau de Cartouche; il fut pris de la nostalgie du vagabondage, le mal de ce pays sans nom, qui recule aux yeux avec l'horizon même, dont la carte est tracée par les étoiles voyageuses, et dont les lois sont paresse et liberté. Cartouche commença par faire l'éducation bohême de ses frères et de sa sœur; il leur apprit à parler cette langue mystérieuse dont il avait hanté les véritables dépositaires, l'argot. Grandval nous a donné, à la fin de son poëme, un échantillon de cet argot, en forme de dictionnaire argot-français et français-argot. C'est, sans doute, le premier et le plus pur modèle imprimé de cet idiome de truands et de cour des Miracles que Vidocq et Eugène Sue ont eu, de nos jours, la prétention de nous révéler en l'altérant. C'est là qu'on voit grouiller, avec leurs dénominations véritables, tous ces larrons et malingreux de la bohême, le cagou, voleur solitaire; callot, faux teigneux; le coësre, maître des gueux,

le

Il ne faut voir là qu'une plaisanterie. Le reste de grand-prêtre de la Bohême : le coquillard, mendiant

la biographie est l'exactitude même :

Mon père est tonnelier; nous sommes trois enfants;
Je suis l'aîné de tous.

Nous courons le pays pendant un an ou deux,
Pillons Orléanois, Champagne, Picardie;

Mais nos gains les plus grands furent en Normandie.
Ce fut là que j'appris cent tours que j'ignorois.
Certain Parlement vint dissiper la bande.

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A Rouen, cependant je trouvai mon salut.
Un oncle que j'avois, et qui me reconnut,
Sut tant prêcher, qu'enfin il me mène à mon père,
Après s'être fait fort d'apaiser sa colère.

Nous citons ces vers pour donner aux lecteurs la mesure de la confiance qu'on peut accorder à Grandval. Quand une intention burlesque ou un souvenir

suspect déguisé en pèlerin; le courteau de boutanche, domestique ou commis qui ne s'est fait embaucher que pour voler son maître; le deffardeur et le défrusquineur, voleurs vulgaires de paquets et de hardes; le détacheur de bouchon ou de hane, coupeur de bourses; le doubleur, larron fertile en expédients; le doubleur de sorgue, voleur sinistre, qui ne travaille que de nuit, comme les orfraies, et qui basourdit et rebátit (tue) son homme au besoin; le franc mitou, faux malade, habile à simuler des ulcères et à faire naître, à la surface de son corps, des infirmités dégoûtantes; le hubin, variété curieuse du franc mitou, se disant mordu d'un chien enragé, et extorquant par la terreur argent et vivres aux paysans, qui n'osaient l'écarter à coups de fourche;

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