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qu'elle pousse, Louise, couchée près d'elle, reste tou- | jours endormie.

<< Comment donc a-t-il fait, l'assassin? Sans lumière, car enfin de cette fenêtre ouverte la lumière l'aurait trahi, il entre dans ce cabinet qu'on appelle le cabinet noir, qu'aucune fenêtre n'éclaire en effet, et dans lequel la clarté même du jour n'a jamais pénétré. Il y entre au milieu de la nuit, et, dans cette obscurité profonde qui l'environne, il n'hésite pas; il va droit à la place où il faut frapper la victime, il la tue d'un seul coup, d'un coup porté d'une main ferme et assurée... Dites-nous donc quelle secrète clarté a si bien guidé cette main?

<< Elle est morte, cependant, et le crime est consommé! Au dehors, au dedans, il semble que tout le monde ait conspiré pour perdre Mme Benoît, pour sauver son heureux assassin. Dossereau, qui est rentré chez lui à onze heures; Guiot, qui, en passant à onze heures et un quart, a remarqué une lumière à la fenêtre de Ladurelle; Marquet, qui, à minuit, traversait la place que la lune éclairait tout entière, personne, au dehors, n'a remarqué le désordre de la maison Benoît. Dans l'intérieur, personne ne s'est éveillé à tous ces bruits, que le silence de la nuit rendait encore plus étranges et plus sonores.

«C'est quand tout est fini, qu'enfin Frédéric se réveille, et que, suscitée par ses cris, l'impassible Louise se lève à son tour; un sourd gémissement est parvenu jusqu'au lit de Frédéric. Il s'inquiète, il s'élance, il appelle sa mère... Grand Dieu!... Toute cette chambre est en désordre, la fenêtre est ouverte, et sur la place, à travers les rideaux agités, il voit fuir, à son approche, je ne sais quel fantôme. Oh! ce n'est donc pas un rêve, un affreux cauchemar qui agitait tout à l'heure le sommeil de sa mère. Un assassin était là; c'est donc bien un gémissement de torture ou de mort qu'il vient d'entendre. Et il est là, devant ce cabinet, appelant sa mère qui gémissait tout à l'heure, qui ne lui répond plus maintenant. Lui, son dernier né, l'enfant de sa prédilection, lui qu'autrefois elle a voulu nourrir de son lait, que, malade et mourant elle vient de guérir à force d'amour, oh! comme il va voler à étancher son sang, chercher sur son son secours, cœur quelque reste de chaleur et de vie, implorer du moins, de sa main mourante, un dernier signe, une bénédiction dernière... Comment! il s'éloigne!... Va donc, malheureux, c'est ta mèré!... Non! il n'entre pas dans ce cabinet dont la porte est ouverte devant lui, dans ce cabinet où est sa mère... Il court au dehors, il appelle ses voisins, il crie qu'on a volé, oubliant sans doute qu'un autre crime a été commis, ne pensant déjà plus à sa mère qui pourtant ne lui a pas répondu. Et ne dites pas qu'il a peur. Indigne fils! sa mère gémit, et c'est pour lui qu'il tremble. Indigne! sa mère meurt assassinée, et le voilà qui s'enfuit. Mais de quoi donc a-t-il peur? N'a-t-il pas vu fuir l'assassin? Ce cabinet n'est-t-il pas maintenant désert et silencieux? Bientôt, d'ailleurs, la maison se remplit de monde; ses voisins ont accouru. Tout danger disparaît et la crainte maintenant n'est plus possible. Que fait-il donc alors? Vous le savez: il pense aux sacs d'argent; il les recommande, il les convoite, il les volera plus tard. Et sa mère... il n'en parle déjà plus, et bientôt il s'éloigne sans demander seulement à la voir. Mais peut-être on l'a entraîné loin de ce lit fatal? Peut-être, émus de pitié, les voisins l'ont arraché malgré lui à ce spectacle? Non, non; il n'a pas demandé à la voir, il n'a pas voulu la voir. Salmon, qui l'emmène, hésitant avant de sortir, lui disait faut voir, elle n'est peut-être pas morte. Oh! dit

il, je suis certain qu'elle est morte. Certain! il ne l'a pas revue depuis qu'il l'a quittée, il y a quelques heures à peine, pleine de force et de vie; il est déjà certain qu'elle est morte, et il repousse le doute de Salmon, et il ne veut pas entrer avec lui. Dites-le moi, si vous avez jamais éprouvé ces malheurs, n'est-il pas vrai que nous refusons longtemps d'y croire, que notre cœur lutte et s'obstine contre la vérité, et que bien des heures s'écoulent avant qu'un fils puisse se dire: Oui, j'ai perdu ma mère; oui, je suis certain qu'elle est morte?

« Et si, pour consoler cet enfant, quelqu'un lui annonce que sa mère n'est pas morte, qu'on espère la sauver Soignez-la bien, dit-il, et faites-lui bon feu. Mais lui, il ne va pas vers elle, et, vivante ou morte, il refuse également de la voir. Ne voyez-vous pas qu'il ne peut, en effet, franchir le seuil de cette porte, et qu'une invincible terreur l'en tient éloigné? Comme si, à sa vue, le cadavre pouvait tout à coup ranimer, et, soulevant la main par un dernier effort, montrer du doigt le parricide!... »

se

Cette vive éloquence, dont la lettre-morte ne saurait donner qu'une idée affaiblie; cette voix vengeresse, qui semble être la voix même de l'inévitable Justice; ce geste souverain tourné vers l'assassin, qu'il écrase; ces yeux étincelants, qui pénètrent dans cette conscience criminelle et la mettent à nu: tout cela remue profondément l'auditoire. Le jeune avocat a disparu, ce n'est plus un plaidoyer qu'on entend, c'est un arrêt terrible. Tous les regards sont tournés vers l'accusé, qui se débat sous l'étreinte de cette parole magnétique. Benoît, haletant, cherche à couvrir son visage; il voudrait ne pas voir, il voudrait ne pas entendre... Mais la vérité le poursuit, le serre, le dompte, et, quand retentit l'anathême, quand la malédiction tombe sur le parricide, le misérable a tout oublié, juges, jurés, parents; il ne voit plus que ce spectre maternel, évoqué pour le confondre. Il se renverse sur son banc comme pour fuir une main invisible, et il s'écrie d'une voix étouffée : Ah! Dieu! ma mère !... Ah! moi... moi... Ah! moi!... c'est moi...

Le père, le frère de Benoît se sont levés. Le frère aîné saisit le bras de l'accusé, le presse pour ramener le malheureux au sentiment de la réalité. Benoît roule des yeux égarés, puis se réveille et comprend que l'aveu sinistre s'est échappé de ses lèvres. Il veut le reprendre: Ah! c'est moi qu'on accuse? s'écrie-t-il.Non, ce n'est pas lui, ce n'est pas lui! s'écrient le père et le frère, levant les bras au ciel. Mais Benoît est vaincu, brisé; il se jette daus ces bras qui le soutienAh! mon père! Ah! mon frère! Oh! que je

nent:

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souffre!...

On l'emmène agité par de violentes convulsions, et ses cris étouffés réveillent un reste de pitié dans les cœurs. L'audience reste suspendue pendant quelques minutes; un silence effrayant règne dans l'auditoire.

On ramène l'accusé; sa physionomie est entièrement décomposée, ses yeux sont ternes et hagards, ses lèvres entr'ouvertes et livides, ses cheveux en désordre, ses bras et sa poitrine agités de mouvements convulsifs.

Me Chaix d'Est-Ange termine ainsi sa plaidoirie d'une voix lente et grave:

<< Maintenant, grâce au ciel! j'ai fini ce que j'avais à vous dire. J'ai enfin accompli cette mission, que d'abord j'avais reçue avec terreur, mais que, devant vous, éclairé par tant de lumières et de preuves, j'ai remplie sans hésitation et sans pitié; car dans cette cause, où ne s'agite pas entre nous un misérable in

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ya de profonds et salutaires enseignements. Ele- | vons-nous donc au-dessus de ces découragements vulgaires; et, dans le sort réservé à chacun des acteurs de cet horrible drame, reconnaissons la plus éclatante dispensation de la justice divine.

Ainsi, accablé par de longs malheurs, éprouvé par d'affreux dangers et par une persécution que ses imprudences même ne peuvent justifier, Labauve, je le sais, aujourd'hui même et jusque devant vous, va encore une fois être accusé de parricide; mais aujourd'hui et devant vous, toutes les preuves sont faites, tous les nuages sont dissipés, et le triomphe de son nnocence est infaillible.

Ainsi Louise a été entraînée par le scélérat qu'elle aimait; elle a servi d'instrument au plus exécrable forfait, elle a aidé le parricide... Louise, dit-on, n'a pas été punie!... Ah! n'avez-vous pas vu la main de Dieu qui depuis le jour du crime s'est appesantie sur elle? Jubliez-vous son long supplice et toutes les angoisses

CAUSES CÉLÈBRES. 33 LIVR.

de son agonie? Oubliez-vous ses larmes, qui jamais ne s'épuisent, ses gémissements, qui partout éclatent, et ses jours sans repos et ses nuits sans sommeil? Et quand par hasard la fatigue appesantit ses yeux, ne savez-vous plus les terribles visions, les apparitions sanglantes qui viennent s'asseoir à son chevet; comme la malheureuse s'enfuit, épouvantant de ses cris toutes celles qui l'approchent, se débattant vainement contre le fantôme qui s'attache à elle, contre sa tante, qui la tourmente... Sans doute elle ne devait pas mourir sur un échafaud, car, enfin, elle avait été entraînée; jeune fille, elle avait été faible plutôt que criminelle, mais elle devait mourir sur un lit infâme, laissant après elle ses remords pour leçon et ses aveux pour preuves.

« Et Formage, lui aussi, il est tombé victime de la fatale rencontre qui l'a jeté dans les bras de Benoît. Certes, personne plus que moi ne respecte la douleur d'une mère; mais pourtant, qu'il me soit permis de le dire, Formage était-il exempt de tout reproche? Nor.

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Il avait cédé à la séduction, il avait écouté d'effroya- | bles confidences, il s'en était fait une arme pour demander, pour exiger des secours. Eh bien il a été cruellement puni. Par la main même qu'il avait aimée, son sang a coulé... Vous qui le pleurez si amèrement aujourd'hui, songez-y bien pour votre fils, si jeune, si faible, si facile, dans cette liaison infâme, souillée encore par une épouvantable confidence, il y avait, il devait y avoir un épouvantable péril. Il était de toutes les heures, de tous les jours, de toutes les nuits; il n'était pas seulement dans les rages capricieuses, dans les appétits sanglants de Benoit, mais surtout dans cette horrible contagion du mal dont il lui avait déjà fait sentir l'atteinte. Lui, le misérable, qui l'avait déjà entraîné dans une première faute; lui, qui de sa cousine avait fait une parricide; lui, le terrible possesseur de l'âme et du corps de Formage, peut-être, usant de son infernale puissance, il pouvait s'assurer de son silence, non pas en lui coupant la gorge, mais en plongeant sa main dans le sang et en le dévouant aussi à l'échafaud. Consolez-vous donc, votre fils a péri, mais faible aussi et non criminel; consolez-vous, votre fils est tombé, mais pur au moins des crimes dont il n'a été que le dépositaire.

« Et nous, messieurs, gardons-nous d'accuser la Providence, qui, après avoir ainsi fait la part de chacun, n'a pas disposé de Benoît, et qui a voulu que, couvert d'ordures et de crimes, accablé de preuves que ni le temps ni la partialité n'ont pu détruire, Benoît fut abandonné comme un exemple plus solennel et plus redoutable à la justice des hommes. >>

Voilà cette magnifique plaidoirie, rare modèle d'une éloquence qui remue le cœur, parce qu'elle vient du cœur. On sent que le parricide en restera écrasé.

Me Crémieux, cependant, va tenter de sauver ce coupable, qu'un cri de conscience a déjà condamné. Le 15 juin, l'habile défenseur essaye cette tâche impossible; c'est surtout dans la discussion des témoignages que Me Crémieux déploie ce talent si net qu'on lui connaît, cette lucidité un peu froide, mais rehaussée par l'esprit le plus fin; cette heureuse audace de parole, qui souvent remplace chez lui l'émo

tion absente.

« Quels sont donc ces témoins que la justice devrait rougir d'admettre dans l'enceinte où elle rend ses oracles? C'est Thirion, c'est Vallée, c'est Magloire! Dieu ! que cela me répugne!

«Eh bien! sans accuser ces témoins d'avoir participé à l'assassinat de Formage, je vais prouver qu'ils avaient un intérêt à déclarer ce qu'ils ont déclaré.

« Avec qui vivait Formage? Avec Benoît? Non. Où était Formage? Il sortait de chez Vallée. Où était-il? Il faut que je le sache, je le cherche. La justice interroge Magloire; il répond Formage n'est pas chez moi; sa domestique, elle répond de même. Thirion ne sait où il est; Vallée ne sait où il est. Qu'était-il donc devenu ce jeune Formage? Le commissaire de police, Noël, avec un zèle et un talent dignes de tous eloges, poursuit l'instruction; il interroge et obtient tardivement des aveux. Où était-il donc ce malheureux jeune homme? Chez Magloire! dans cette maison infame? Qui l'y avait place? Vallée, qui couchait avec lui? Thirion? Et quels sont ceux qui ont vu Benoît avec Formage? C'est Thirion: il le dit à Vallée et à Magloire. Et quelle est la narration de Thirion? Il allait pour lire le journal, il l'avait lu et n'avait pas un sou pour le payer; il a fallu que Formage ou Benoît

lui prétât un sou. Thirion s'en va, il était dix heures; il revient à deux heures. Formage et Benoît y étaient encore. A cinq heures, Vallée arrive : ils y sont encore sur un banc, au Palais-Royal. En vérité, Benoit, cet habile assassin, cet homme si adroit, selon l'accusation, veut-il donc s'exposer à tous les regards?

« L'intérêt des trois témoins, il est évident; ils vivaient avec Formage. On annonce l'assassinat de Formage; contre qui les soupçons s'élèveront-ils ? Contre ceux qui vivaient avec lui contre Vallée, qui l'avait plongé dans le repaire de Magloire; contre Thirion, qui était son compagnon de débauche; contre Magloire. Est-ce que je sais, moi, quels sont les êtres qui pénètrent dans cet antre infâme de Magloire? Est-ce que je sais si quelqu'un, échappé de cette ignoble fange, n'aura pas accompagné Formage? Est-ce que je suis obligé de savoir sì.... Je dis : Ce n'est pas Benoît! Qu'on ne prouve catégoriquement que c'est lui! >>

Et, passant à l'accusation de parricide, Me Crémieux met l'accusation de 1832 en face de l'accusation de 1829. « Et voilà, s'écrie-t-il, celui qui n'a échappé que par miracle à l'échafaud; et vous êtes homme, et vous n'invoquez que des présomptions mille fois moins graves que celles qui s'élevaient contre Labauve; et vous dites qu'il est impossible que cet enfant n'ait pas assassiné sa mère! Ah! si vous l'avez vu plongeant son poignard dans le sein de sa mère, eh bien! alors, dites oui. Que la foule s'ébranle, qu'un crêpe noir couvre l'accusé, et que de la multitude amentée autour de l'échafaud sanglant s'échappent en longs murmures ces paroles: Au bourreau le parricide! Mais vous n'avez pas de preuve. »

C'est en vain que l'habile avocat a discuté les témoignages suspects des compagnons de débauche de Benoit, les Vallée, les Magloire, les Thirion; en vain il a groupé avec art les circonstances non encore éclaircies qui pouvaient composer un doute, les jurés rappor tent, sur les deux questions d'homicide volontaire, un verdict affirmatif sans circonstances atténuantes. M. le président Hardoin prononce contre Benoît la peine de mort réservée aux parricides. Puis, statuant sur les conclusions de la partie civile, la cour condamne Benoit à payer par corps, à Formage et à sa femme, la somme de 3,000 fr., à titre de dommagesintérêts.

La Cour de cassation eut à prononcer, le 19 juillet, sur le pourvoi de Benoît. Me Crémieux, qui assistait encore son client devant la Cour suprême, développa avec force un moyen de cassation des plus graves. Il soutint que c'était en violation des art. 1, 2 et 6 du code d'instruction criminelle que la Cour avait admis Labauve à se porter partie civile. Selon l'habile avocat, il était de principe, dans notre législation criminelle, qu'au ministère public seul appartenait le droit de poursuivre un individu comme auteur d'un crime; que, par exception à ce principe, la loi permettait à une partie, qui se prétendrait lésée par un crime, de se porter partie civile; mais qu'il fallait nécessairement que le dommage qu'elle prétendait avoir éprouvé résultat du crime lui-même, fût, en quelque sorte, concomitant avec lui, et n'eût pas pris sa source, comme dans l'espèce, dans des faits postérieurs; que les poursuites dirigées contre Labauve, et desquelles il prétendait faire résulter le dommage qui lui donnait le droit de se porter partie civile, n'étaient pas le fait de Benoît, mais bien le fait du ministère public; que si, à la requête du ministère public, deux, trois, quatre personnes, soupçonnées être auteurs du crime, avaient été poursuivies comme Labauve, puis acquit

tées comme lui, Benoît se trouverait aujourd'hui en présence de trois ou quatre parties civiles, auxquelles il devrait des dommages-intérêts pour un fait qui ne serait pas le sien. D'ailleurs, ajoutait Me Crémieux, le droit de se porter partie civile doit être restreint, parce qu'il tend à aggraver la position de l'accusé, à lui donner deux accusateurs au lieu d'un seul, à le placer souvent en présence de la haine et de la vengeance.

L'argumentation était solide, et le moyen parut assez puissant à M. l'avocat général Nicod, pour qu'il conclût à la cassation. Mais la Cour n'en pensa pas de même, et rejeta le pourvoi, « attendu, » disait l'arrêt, « que la loi, en accordant à toute personne lésée par un crime, un délit ou une contravention, le droit de se porter partie civile, a laissé aux cours d'assises la faculté d'apprécier si la partie qui prétend user de ce droit est recevable à en faire usage. »>

Benoît, cependant, en entendant l'arrêt de la Cour d'assises qui le condamnait à mort, avait repris son attitude impassible, et c'est d'un ton théâtral, avec des gestes étudiés, qu'il s'était écrié : « Ma mère! Joseph, mon ami, descendez du ciel pour me justifier! » Ainsi Castaing s'écriait : « Auguste, Hippolyte, du haut du ciel défendez-moi!»

Depuis sa condamnation, Frédéric Benoît était calme et tranquille; sa gaieté étonnait jusqu'aux cyniques habitants de Bicêtre. Il avait fondé peu d'espérance sur son pourvoi en cassation, mais il comptait sur l'admission de son recours en grâce. Chaque jour, il s'attendait à être amené à Paris pour assister à l'en

térinement de ses lettres de commutation. Il riait, il chantait!

C'est dans cette disposition d'esprit que, le 30 août, il apprit tout à coup qu'il n'avait plus que quelques heures à vivre. A cette nouvelle si terrible, si inattendue, Benoît tomba dans le plus violent désespoir; à partir de ce moment, il ne cessa de faire entendre des sanglots et des gémissements. Quand on procéda à la fatale toilette, la peur de la mort avait réduit l'assassin, naguère impassible, à une sorte de vie végétative, traversée de temps en temps par une lueur d'effroi. Aux termes de l'arrêt, on le déchaussa et on mit à nu ses pieds; dès lors il ne parut plus accessible qu'à une seule sensation, celle du froid aux pieds. Porté dans la voiture, il se reconnut un moment, et s'écria : « Ah! mon Dieu! c'est M. Persil qui en est la cause! »

Le funèbre cortége arriva vers sept heures et demie au pied de l'échafaud, dressé à la barrière Saint-Jacques. L'ignoble curiosité de la guillotine avait, ce jourlà, recruté peu de spectateurs le choléra décimait Paris.

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DONON-CADOT (1844).

Il n'est pas besoin, sans doute, des complications | de criminalité que renferme le procès de Benoît, pour ajouter à l'horreur qu'inspire ce crime odieux entre tous les crimes, le parricide.

Presque inouï dans les sociétés antiques, le parricide n'était pas même prévu par les législations de la Grèce et de Rome. Ce ne fut qu'après six siècles de civilisation, que le législateur romain eut à édicter une peine contre le meurtre du père ou de la mère. Et cette peine fut exceptionnelle comme le forfait même. Le coupable était cousu dans un sac de cuir, qu'on jetait ensuite à la mer; plus tard, on y enferma avec lui quatre animaux malfaisants, un chien, un coq, une vipère et un singe.

Notre ancien droit français se refusa d'abord à admettre qu'un fils pût tuer l'auteur de sa vie, et, jusqu'à 1791, il n'y eut pas sur cette matière d'autre jurisprudence que celle des arrêts. Aujourd'hui encore, la punition du parricide est entourée de l'appareil aggravant qui le signale aux spectateurs comme un monstre dont les traits ne doivent pas souiller la lumière du jour. C'est depuis 1832 seulement, que la Joi a supprimé la mutilation de la main criminelle.

Et voici, cependant, un procès tristement fameux, dans lequel un avocat de la loi vient effrayer la conscience publique par cette triste révélation : « La France, en dix ans, a vu commettre quatre-vingtquinze parricides! »

Qu'est donc devenu l'esprit de famille dans une société semblable, et quelles sinistres causes peuvent multiplier à ce point les exemples d'un crime autrefois presque sans exemple?

Les liens de la famille se sont relâchés en même

temps que les autres liens sociaux, et la cupidité explique la plupart des parricides.

Quelle est, en effet, surtout dans nos campagnes, la cause la plus ordinaire de ce crime? Un chef de famille a travaillé pendant cinquante ou soixante ans, pour nourrir les siens. Un jour, la force lui manque et les enfants sont grands. Tout ce que possède la famille est sorti de cette main patiente; mais cette main ne peut plus retourner et féconder la terre. Le vieux est devenu inutile. On le lui fait comprendre et les jeunes le conduisent chez un notaire, pour qu'il abandonne à ses enfants plus vigoureux le bien qu'il a su amasser. Une rente est stipulée, souvent même elle n'est que promise. Et, quelque jour, le fils ingrat s'aperçoit que le père dure trop; il faut le nourrir à rien faire. On rogne sur les aliments de l'invalide et la bru gronde en remplissant cette bouche inutile.

Celui qui écrit ces lignes dînait un jour chez un maire de campagne. Un vieux paysan, tout cassé, mal couvert, en décembre, d'un pantalon de toile bleue et d'une blouse en loques, entra dans la salle à manger. Il pleurait et regardait d'un air de convoitise désespérée la table bien garnie.

Nous nous levions, saisi de pitié, pour soulager cette misère, quand le maire, vieux paysan lui-même : Eh bien! père Durand, qu'y a-t-il encore? Mon bon monsieur, le fils ne veut plus payer sa rente, et la fille me refuse du pain; ils disent comme ça que les fainéants ne doivent pas manger. Père Durand, pondit le maire, il y a juste trente ans de ça, ton père mendiait sur la grand'route parce que tu lui refusais du pain; et cependant il t'avait tout cédé pour une rente que tu ne lui payais pas. Chacun son tour,

et tel père, tel fils. On ne te fait que ce que tu as fait toi-même,

Cette effroyable cupidité, développée par les difficultés de l'étroite et dure vie de la campagne, se termine trop souvent par le parricide, et la conclusion la plus ordinaire est la soupe à l'arsenic, ou le suicide simulé du vieillard.

Mais que dire, lorsque ces convoitises nortelles se manifestent dans les familles de nos villes, et résistent aux influences moralisatrices du bien-être et de l'éducation? Alors, le juge peut-il se montrer trop sévère? C'est ce qui expliquera aux lecteurs, dans cette trop fameuse affaire Donon-Cadot, l'énergie toute spéciale de l'accusation. Hàtons-nous de dire cependant que, dans ce procès, le parricide a disparu devant un verdict du jury. Mais le sous entendu pnible que le lecteur devinera sous l'arrêt qui frappa le coupable, s'explique sans doute par la juste horreur que les juges éprouvèrent en voyant dans cette malheureuse famille les liens naturels brisés par les passions les plus basses, le sens moral corrompu par l'égoïsme, par la jalousie, par la cupidité.

Le 15 janvier 1844, un crime audacieux fut commis en plein jour, dans un appartement ouvert, pour ainsi dire, aux yeux de tous, dans une des rues les plus fréquentées de la petite et paisible ville de Pontoise (Seine-et-Oise).

Un sieur Donon-Cadot, ancien marchand de draps et de mercerie, qui avait, en 1837, cessé ce commerce pour se livrer à des opérations de commerce et de banque, riche, on le pensait du moins, habitait à cette époque une maison de la rue Basse-de-laVannerie. Veuf depuis sept ans, il avait deux fils, Charles, marié à Pontoise; Alexandre-Edouard, récemment sorti du collège et demeurant seul avec lui. L'intérieur du banquier Donon-Cadot était des plus modestes, et sa parcimonie était qualifiée par quelques uns d'un nom moins honorable. Son domestique consistait en une seule femme de ménage, la femme Mazy. Le 15 janvier, Donon-Cadot était entré dès le matin, comme d'habitude, dans son bureau, pièce située au rez-de-chaussée et éclairée sur la rue par deux fenêtres. La femme de ménage lui avait apporté, sur les sept heures et demie, son déjeuner habituel de café et s'était retirée vers huit heures, après avoir reçu la recommandation de revenir une heure plus tard, pour aller toucher le montant de plusieurs effets. Car c'était un jour d'échéance.

Environ vers les neuf heures, un médecin, M. Deslions, avait aperçu le banquier, assis à une table devant la cheminée, et causant avec un individu placé à sa droite. Quelques minutes plus tard, la femme de ménage revint, et trouva à la porte une femme Lamarre qui désirait parler à M. Donon-Cadot; cette femme sonnait pour la seconde fois. Le jeune Edouard Donon vint leur ouvrir et leur dit que son père était sorti et qu'il ne tarderait pas sans doute à rentrer. Vers neuf heures et demie, un sieur Hancourt, passant devant la maison, vit s'agiter fortement les rideaux d'une des fenêtres du bureau, et derrière ces rideaux un homme debout, qu'il crut être le banquier lui-même.

Cependant, vers quatre heures de l'après-midi, M. Charles Donon fut prévenu par son frère Edouard, que leur père était, depuis le matin, absent sans motif connu, et que cette absence prolongée, un jour d'échéance, devenait inquiétante.

M. Charles Donon et sa femme se rendirent à la maison de leur père. Avant d'entrer, ils crurent voir,

par les interstices que laissait un des rideaux du bureau, une traînée d'encre et de sang dans cette pièce, et au fond un corps étendu. Madame Hamot, tante des enfants, et son gendre, M. Favry, virent aussi ces inquiétantes apparences.

La clef du bureau ne se trouvait pas, on enfonça un des panneaux de la porte, et M. Charles Donon, passant sa main par cette ouverture, saisit une main glacée. C'était, sans doute, celle de son père!

On avertit les magistrats, un serrurier vint ouvrir la porte, et un spectacle affreux s'offrit aux regards. Le corps de Donon-Cadot était étendu sur le ventre, les jambes allongées l'une contre l'autre, le long de la boiserie faisant face aux fenêtres. La tête, couverte d'une casquette, et une partie du corps baignaient dans une énorme mare de sang; une autre mare se voyait au milieu de la pièce. Sur ce sang, on avait répandu des cendres, jetées ensuite dans la cheminée. Le col de la chemise était déchiré; plusieurs boutons du gilet étaient arrachés, et on avait rabattu sur les mains ensanglantées les parements en velours du paletot souillé de sang aux épaules. Le parquet, le fond d'un petit bureau placé à peu de distance de la cheminée, la glace, le chambranle et le papier de tenture étaient couverts de nombreuses gouttelettes de sang. Les rideaux des fenêtres portaient, à hauteur d'homme, l'empreinte d'une main sanglante, la main qui les avait fermés. Sur le palier extérieur et dans la pièce, il y avait quelques traces sanglantes d'une chaussure garnie de clous. A la porte du bureau, dont la clef avait disparu, le bouton intérieur était taché de sang, tandis que le bouton extérieur n'en offrait aucune trace.

La tête de la victime était à peine reconnaissable. La mâchoire supérieure, les os formant la fosse temporale droite étaient brisés ; les dents étaient cassées ou fortement ébranlées; des plaies larges et profondes sillonnaient la tempe droite; l'oreille droite était déchirée en plusieurs lambeaux; à la région temporale gauche, une bosse avait été produite par le contre-coup de la tête sur le parquet.

Le crime avait donc été commis à l'aide d'un instrument contondant, manié avec une grande force. Le mobile avait été le vol. Car un secrétaire avait été forcé à l'aide d'une paire de pincettes laissées sur une chaise près de ce meuble, dont les tiroirs ouverts étaient vides. Des tiroirs du grand bureau, un cartonnier placé entre les deux fenètres et surmonté d'un pupitre, avaient été fouillés. Près de la fenêtre la plus rapprochée de la porte, dans une armoire entr'ouverte, on voyait un panier à argenterie vide, des registres, des papiers et des cartons bouleversés.

Edouard Donon, consulté sur l'importance de ces soustractions, accusa l'absence: 1° de trois portefeuilles en maroquin vert, déposés ordinairement dans le pupitre au-dessus du cartonnier, et contenant des effets de commerce d'une valeur de 5 à 600,000 francs; 2o de six couverts et de douze petites cuillers en argent; 3° d'une somme de 5 à 6,000 francs en billets de banque ou en espèces, qui devaient se trouver dans le secrétaire.

Le crime avait dû être commis avant dix heures et après neuf heures du matin. Dès le retour de la femme de ménage, l'assassin devait être seul, dans le bureau, en présence du cadavre de sa victime. Quand Hancourt voyait, à neuf heures et demie, les rideaux s'agiter, l'assassin vidait les armoires. Un peu avant dix heures, la femme de ménage était encore revenue: elle avait entendu, après avoir sonné, un bruit de pas au rez-de-chaussée, et, surprise que l'on n'ou

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