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sonne. » On conçoit que, dans une rixe, dans une lutte, la mort puisse être donnée sans que la pensée du meurtre ait été conçue; mais pour écarter la préméditation lorsque la mort est donnée par strangulation, il faudrait dire que l'intention n'est venue qu'après la pression opérée, et le sens le plus vulgaire comprend combien ce système serait peu soutenable. Dans la strangulation, évidemment, le dessein doit nécessairement précéder l'action.

« Et d'ailleurs y a-t-il donc, dans la conduite antérieure de l'accusé, quelque circonstance qui vienne repousser victorieusement l'imputation qui l'accable? A peine entré dans l'état ecclésiastique, Delacollonge s'est plongé dans les plus honteux excès; il forme de sacriléges liaisons avec des filles du plus bas étage; il les accoste à la sortie du théâtre, il les conduit chez lui, il se livre à leur discrétion, car ce fait a été établi par le débat, qu'une Alsacienne, exploitant son caractère de prêtre, le poursuivit jusque dans le sanctuaire de son église, pour réclamer le prix d'une honteuse faveur. De là, le retrait de ses pouvoirs de vicaire de l'église de Saint-Pierre. Ainsi Delacollonge était un homme immoral: aucun attachement respectable, sérieux même, ne l'attachait à Fanny Besson; ses honteuses liaisons repoussent l'idée d'une passion exclusive qui se serait emparée de son cœur et aurait maîtrisé sa raison. >>

M. l'avocat général termine ainsi son réquisitoire entièrement improvisé, qui, pendant plus de deux heures, a captivé l'attention des jurés et tenu l'auditoire sous le coup d'émotions profondes :

« La société réclame une éclatante réparation de l'outrage qui a été fait à ses lois les plus vulgaires. Pourriez-vous la lui refuser? Voudriez-vous rejeter dans son sein un grand coupable qu'elle repousse avec horreur? Ne craindriez-vous pas qu'en le voyant passer, on ne se demandât avec effroi si la justice perdu son glaive, et si elle n'est plus armée pour protéger et pour punir?

<< Non, Messieurs, non, vous le condamnerez. Son nom, placé à côté de celui de Mingrat, ira grossir la liste de ces criminels à part, dont le génie échappé de l'enfer invente le raffinement du crime, et celle de ces mauvais prêtres qui apparaissent de loin en loin comme des contrastes destinés à faire ressortir avec plus d'éclat les vertus des pasteurs vénérés qui accomplissent avec ferveur leur sainte mission.»

A ce souvenir hideux de Mingrat, à cette assimilation qui est déjà un châtiment, l'accusé, qui a pu raconter avec un imperturbable sang-froid tous les détails de son ignoble boucherie, s'est ému tout à coup; il a trouvé des larmes, et des sanglots soulèvent sa poitrine.

A ce moment, on se passe dans la salle d'audience les journaux de Paris qui rapportent l'exécution de Lhuissier, condamné à la peine de mort par la cour d'assises de la Seine, pour assassinat commis sur la personne de la femme Ferraud. Le misérable, qui vient de payer sa dette à la justice humaine, a, lui aussi, mutilé horriblement sa victime. Comme Lacenaire et Avril, de récente et lugubre mémoire, qui se reposaient au théâtre des Variétés des fatigues du crime, il a insulté à la mort par sa joie immonde, et on a trouvé sur les restes dépécés de sa victime le dernier numéro du journal le Carnaval.

Quelques-uns de ces détails arrivent jusqu'au banc où gémit Delacollonge, et redoublent ses angoisses. Cependant, le défenseur se lève. C'est dans les dernières paroles de l'avocat général que M• Kaoch trouvera son exorde :

« Mingrat comparé à Delacollonge! s'écrie le défenseur; Mingrat! Ah! Messieurs, l'indignation me presse; elle me force à anticiper sur les faits. Le nom, l'infâme nom de Mingrat prononcé à cette audience me fait sortir du plan que je m'étais proposé. Mingrat! mais c'était un véritable criminel, celui-là! son crime était affreux; il l'avait commis avec un atroce sang-froid, une perversité effrayante. Il aimait une femme, Mingrat; il l'aimait avec rage, avec brutalité; elle résistait à son amour, il se précipite sur elle, il la déchire de ses mains. Son crime est horrible : la passion l'a emporté!

«Mais ici le motif, le mobile du crime, c'est l'intérêt! l'accusation vient de le dire. C'est l'intérêt, c'est une raison d'économie qui a poussé Delacollonge au crime! C'est en calculant son budget qu'il a trouvé la nécessité d'assassiner sa maîtresse, sa maîtresse qu'il aimait ! Vous en convenez vous-même, c'est par économie, c'est pour épargner quelques sous, qu'il a trempé ses mains dans le sang d'une femme qu'il chérissait plus que la vie! Oh! non, Messieurs : ici il n'y a pas Mingrat, il y a Delacollonge; non, Messieurs, il n'y avait pas ici de comparaison à établir.

« Dans l'acte d'accusation, on a commencé par vous peindre l'accusé chassé de toutes parts. De l'église de Saint-Pierre, on le chasse; de Toissey, de Neuville, il est de nouveau chassé : son inconduite le met en quelque sorte au ban de la société; c'est un homme indigne d'aucune considération! Qu'est devenu tout cet échafaudage lorsque vos débats se sont ouverts? Il s'est trouvé que Delacollonge avait quitté Saint-Pierre pour obtenir une cure à Briennon, dans le même diocèse, sous la même juridiction ecclésiastique; de funestes bruits étaient parvenus aux oreilles de ses supérieurs, en effet, et cependant ce fut après avoir présenté son mémoire justificatif qu'il fut promu à cette cure, dont il refusa de prendre possession. Ce n'était pas une expulsion honteuse, comme le dit, Messieurs, l'acte d'accusation: c'était une permutation en quelque sorte. De Saint-Pierre, Delacollonge alla au college de Toissey; il y était appelé par le respectable abbé Devey; il y resta trois années, et malgré tous les efforts tentés pour donner à sa conduite, durant ce long temps, une apparence d'immoralité, il est clairement ressorti des dépositions des témoins que sa vie a constamment été exemplaire. >>

Ici l'avocat entre dans le détail des faits peu graves, selon lui, qu'on reproche à Delacollonge depuis son départ de Toissey jusqu'au moment du crime. «Ce crime, dit-il, souleva contre l'accusé toutes les passions du public; une prévention universelle vint l'accabler, et, je dois le dire, cette prévention, je la partageai moi-même, lorsque du fond de son cachot il demanda le secours de ma faible voix. L'éclat qu'on avait donné à cette affaire, l'insertion dans les journaux de l'acte d'accusation préliminaire de ces solennels débats, l'espèce d'art qui a présidé à la rédaction de cette pièce, et l'intérêt dramatique qu'elle présente, tout me portait à partager une prévention qui s'est heureusement effacée de mon esprit, lorsqu'après avoir pris connaissance de la procédure, je me convainquis que tous les témoignages étaient favorables à l'accusé, et qu'il ne s'élevait contre lui que ses propres aveux, dont la franchise n'est pas un des faits les moins étonnants de cette affaire. >>

Me Kaoch discute ensuite la circonstance du dépècement du cadavre; là est toute la culpabilité, selon lui, et il s'applique à démontrer quelle impérieuse et cruelle nécessité a forcé Delacollonge à se liver à cette horrible opération. Le séjour de Fannv Besson à la

cure était demeuré pour tous un profond mystère, sa mort déplorable allait révéler l'inconduite du curé; déjà des plaintes s'étaient élevées contre lui, que pouvait-il faire? Dans l'impossibilité de confier le corps à la terre, ne pouvant le faire disparaître sans révéler sa honte et perdre tout son avenir, il s'est résolu à dépecer ce cadavre; mais, est-ce un crime que d'attenter à un être privé de vie? Dans cette enceinte même, dans une espèce où l'avocat trouve quelque ressemblance, un verdict d'acquittement a récemment prouvé le contraire. L'honorable président des assises portait alors la parole; une fille de la campagne avait succombé aux promesses d'un séducteur; elle était parvenue à cacher à tous les yeux une grossesse qui eût témoigné de sa faute: enfin elle accouche. Son enfant était mort. Que faire? Que devenir? La crainte du déshonneur l'emporta chez cette malheureuse sur le sentiment de la nature; elle était chargée de donner la nourriture aux pourceaux; elle livra à leur voracité le propre cadavre de son enfant, et ne s'éloigna du théâtre de cet horrible repas qu'après en avoir vu disparaître les dernières traces.

Traduite aux assises pour ce fait, elle sut trouver de la pitié dans le cœur de ses juges; elle fut acquittée, parce que l'on comprit qu'entre la perte de l'honneur et la douleur d'un cruel sacrifice, elle avait pu faiblir et commettre cette horrible action, qui est un crime aux yeux de la morale, sans doute, mais qui doit trouver indulgence auprès de la société. «Eh bien! Messieurs, s'écrie l'avocat, la position du curé de Sainte-Marie n'est-elle pas la même que celle de la fille-mère? Tous deux n'avaient-ils pas leur honneur à conserver? S'il s'agissait d'un laïque, de telles considérations ne pourraient avoir de poids, sans doute; sa maîtresse meurt dans son domicile, c'est un malheur affreux; mais s'il est notaire, négociant, il reste encore, après ce malheur, négociant ou notaire; mais un prêtre Un prêtre est perdu; son honneur, son avenir, son état, sa vie, tout est pèrdu à la fois pour lui. Voilà la cruelle position où s'est trouvé Delacollonge. La division du corps ne trouve-t-elle pas une explication naturelle dans cette situation tout exceptionnelle?»

M Kaoch discute ensuite l'hypothèse, agitée lors des témoignages, que le cou n'a pu être tranché avec la serpe, ainsi que l'a déclaré l'accusé; il cite, pour combattre cette assertion, l'exemple des décapitations usitées jadis, et auxquelles l'exécuteur procédait exactement comme a fait l'accusé dans la circonstance actuelle. Quant à la disparition des entrailles, les contradictions dans lesquelles sont constamment tombés les docteurs, lui semblent prouver que leur décomposition a été l'effet de la corruption seulement; la supposition de grossesse est radicalement détruite par la déposition de la femme qui, quinze jours avant la mort, a donné le linge à la blanchisseuse. Arrivant enfin à la question principale, celle de savoir si la mort a été volontairement donnée, et si elle l'a été avec préméditation, le défenseur combat la supposition de la strangulation présumée, et, s'appuyant sur les auteurs, constate que dans l'état habituel de maladie de Fanny Besson, la mort a pu être le résultat d'une syncope; la plus légère pression sur une personne affectée comme elle d'une maladie syncopique du cœur, détermine facilement l'apoplexie; les docteurs Orfila, Chaussier, tous les hommes experts dans la matière, sont de cet avis.

« Et est-ce dans cette ville, poursuit Me Kaoch, estce ici que l'on peut révoquer une telle vérité en doute? Permettez-moi de vous rappeler un fait. Il y a quel

ques années, un grand procès s'instruisait ici. Les intérêts mis en présence étaient immenses; un magistrat devait déposer: c'était le témoin à charge le plus important: au moment de déposer, il tomba mort, frappé d'apoplexie.

«Certes, cet honorable magistrat n'avait aucune des prédispositions ordinaires apoplectiques; heureusement la mort l'avait frappé dans le cabinet même du juge; mais supposez qu'un quart d'heure avant, il eût eu une conférence avec sa partie adverse, et qu'alors il fût mort, n'aurait-on pas aussi porté une accusation? n'aurait-on pas fait ressortir la coïncidence d'un grand intérêt et d'une mort extraordinaire? On n'aurait pas obtenu une condamnation de la par d'un jury éclairé, sans doute; mais enfin on se serai écrié: Vous l'avez étranglé ! »

M. l'avocat général. On aurait eu le cadavre, du moins, pour vérifier le fait.

Me Kaoch.-Oui, mais vous auriez cité vos auteurs, qui disent que la strangulation ne laisse pas de traces.

Passant aux motifs qui ont pu, dans le système de l'accusation, porter Delacollonge à l'assassinat, le défenseur s'attache à prouver combien peu ils offrent de vraisemblance. Rien n'attachait d'une manière indissoluble son sort à celui de Fanny Besson; aucun lien sacré ne l'attachait; s'il ne l'aimait plus, il pouvait la quitter. On a parlé de son état de gêne; on lui a reproché cette soustraction d'une somme légère; mais ses ressources étaient loin d'être épuisées; la somme prise quelques jours avant le moment des couches de Fanny Besson a été restituée presque immédiatement. Est-ce d'ailleurs pour un misérable intérêt d'argent qu'on se porte au crime? Ah! si l'accusation avait pu faire de Delacollonge une sorte d'Othello; si elle nous le montrait dévoré par la jalousie, craignant qu'éloignée de lui, sa maîtresse ne succombât aux séductions et ne se jetât dans la voie du vice, alors on comprendrait le crime; mais de telles terreurs pouvaient-elles frapper son esprit?

« On a raconté ici la vie de cette malheureuse et intéressante fille. On l'a dit, tout en elle était modeste, décent, réservé; sa vie était celle d'une honnête femme, bien que sa conduite fùt coupable. Elle dérobait ses pleurs à Delacollonge, mais que d'autres les ont vus couler! Ces pleurs, ils avaient leur source dans une conscience pure et un poignant remords. Comme Héloïse, elle voyait s'élever l'autel entre elle et l'objet de son affection; de là sa douleur, et l'accusation ne sera pas crue lorsqu'elle voudra supposer que Delacollonge ait craint qu'une telle femme succombât aux appâts du vice? Non, une telle supposition est contre la nature, répugne à la raison, et donne un démenti à tous les sentiments humains.

«Je ne parlerai pas, Messieurs, ajoute Me Kaoch, de la préméditation. Le ministère public la fait résulter de je ne sais quelles circonstances: d'un air soucieux, de quelque embarras; mais s'il y avait eu préméditation, il l'aurait attirée dans un bois, il l'aurait conduite au bord d'une mare, il ne se serait pas embarrassé d'un cadavre. Juges, magistrats, descendez dans le fond de vos consciences; y trouvez-vous l'intime conviction de la culpabilité de Delacollonge? Est-il possible que les faits se soient passés comme il les a racontés? Gui. Si cela est possible, avez-vous des raisons de croire que ces récits ne soient pas vrais? Où sontelles ces raisons; si elles existent, elles sont combattues par d'autres. Sans l'horrible circonstance de la mutilation du cadavre, la clameur publique ne se serait pas élevée, ce grand procès n'aurait pas eu lieu;

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si j'ai pu vous démontrer quelle horrible nécessité l'a | commis volontairement un meurtre sur la personne poussé comme ecclésiastique, je vous aurai suffisamment convaincu de son innocence. >>

Ici se termine la plaidoirie du jeune avocat. Ecoutée dans un religieux silence, elle a paru produire une vive et forte impression sur l'auditoire et sur le jury. Le défenseur se rassied au milieu d'un murmure d'approbation; Delacollonge se penche vers Me Kaoch et lui exprime sa reconnaissance.

A peine le défenseur s'est-il rassis, qu'éclate un incident nouveau. Un spectateur s'agite, demande à être entendu. Il dit avoir à donner un renseignement du plus haut intérêt. Le président ordonne, en vertù de son pouvoir discrétionnaire, qu'il soit entendu.

Cette personne, c'est un propriétaire de Dijon, M. Boure (Pierre-Auguste), ancien officier. Il s'approche de la barre et s'exprime en ces termes :

« Voici, M. le président, le fait dont j'ai été témoin. Nous étions à Tarbes, en garnison, plusieurs capitaines réunis; nous causions devant le café. Parmi nous se trouvait le capitaine Lalande, qui récemment a séjourné ici en qualité d'officier d'étatmajor, et qui y est honorablement connu assurément. Là aussi se trouvait le capitaine Surugues, qui maintenant est peut-être à Dijon. Les faits que je vais rappeler sont bien faciles à vérifier. En plaisantant, dans un moment d'amicale gaîté, le capitaine Lalande prit le capitaine Surugues par le cou. Ah! vieux, lui dit-il, que je vous fasse passer le goût du pain! C'était un jeu d'amis; le capitaine Surugues chancela cependant. Machinalement nous nous écartâmes, et le capitaine tomba sans connaissance. Bientôt, grâce à nos soins empressés, il revint à la vie. Il ne s'est heureusement pas ressenti, depuis, de ce léger accident. Je parlai de cette bizarre aventure à M. Labuque, docteur médecin de notre régiment. Grand fut mon étonnement lorsqu'il me dit: Mais savezvous que rien n'est plus dangereux que ces sortes de jeux? Le capitaine Surugues pouvait tomber mort sur le coup. D

M. le président. — Ceci n'est qu'une opinion.

M. Bouré. Cette opinion a une grande influence sur moi. Remarquez que le capitaine était alors revêtu de son uniforme: il avait sa cravate et ses vêtements qui devaient amortir beaucoup la pression.

Un médecin, présent à l'audience, le docteur Salle, est interrogé par le président sur ce cas étrange. Il répond que chacun a sa prédisposition particulière; que toute pression de ce genre peut produire une syncope, et qu'une forte pression peut souvent déterminer l'apparence de la mort.

Après cet incident, M. l'avocat général prend la parole, et, dans une réplique animée, reproduit avec une logique invincible le système de l'accusation. Me Kaoch réplique avec une chaleur convaincue, et M. ie président Simerey résume avec clarté ces longs débats, qu'il a constamment dirigés avec l'impartialité la plus remarquable :

«Vous ne craindrez pas, messieurs les Jurés, dit en terminant l'honorable magistrat, qu'une condannation prononcée par vous rejaillisse sur ce clergé respectable dont les vertus et l'exemple sont dignes à la fois de notre admiration et de nos respects. Ce n'est pas dans le châtiment qu'est la honte; c'est dans le crime. Un verdict d'acquittement, après ces solennels débats, ce serait de l'impunité. »

Les questions sont posées au jury dans l'ordre suivant :

1 Question. Delacollonge est-il coupable d'avoir

de Fanny Besson?

2o Question. Avait-il formé le dessein d'attenter à la personne de Fanny Besson?

3 Question. Est-il coupable d'avoir frauduleusement soustrait une somme d'argent, au préjudice de la fabrique de l'église de Sainte-Marie-la-Blanche? 4 Question. Ce vol a-t-il été commis avec effraction? En vain, M. Kaoch demande-t-il l'introduction de la question suivante: « La mort de Fanny Besson at-elle été le résultat involontaire de l'action de Delacollonge?», la Cour décide que la question ne sera pas posée au jury, parce qu'elle ne résulte pas des débats.

Le jury se retire et rentre avec le verdict suivant : Sur la première question, our, Delacollonge est coupable d'homicide volontaire.

Sur la seconde (la préméditation), NON, l'accusé n'est pas coupable.

Sur les questions de vol avec effraction, our, l'accusé est coupable, mais il y a des circonstances atténuantes sur cette dernière question seulement.

Ce verdict est accueilli par un sourd et sinistre murmure, et l'accusé, que l'on ramène dans la salle, voit se former sur son passage une haie silencieuse dont l'attitude ne lui révèle que trop son sort. Le greffier donne lecture de la déclaration du jury, et la Čour se retire pour délibérer. retire

Delacollonge, au moment où il entend prononcer le oui fatal, tombe affaissé sur son banc. Il se couvre le visage de son mouchoir, avec un mouvement de désespoir, et paraît privé de sentiment.

Bientôt la Cour rentre en séance, et M. le président Simerey prononce, au milieu d'un silence solennel, l'arrêt qui condamne Delacollonge à la peine des travaux forcés à perpétuité et de l'exposition publique.

Le 19 juillet 1836, une chaîne de cent soixante et onze condamnés aux travaux forcés partait de Bicêtre pour le bagne. Delacollonge en faisait partie, ainsi que François, le complice de Lacenaire. Le curé de Sainte-Marie était morne et résigné; ses traits portaient l'empreinte d'un douloureux repentir. L'assas sin de la rue Montorgueil semblait fier de sa sinistre célébrité et hurlait des chansons obscènes. Pris un moment pour Delacollonge, il envoyait aux curieux des bénédictions sacriléges. La foule accueillit par ses rires les immondes plaisanteries de François, et poursuivit de ses menaces et de ses insultes le ministre repentant.

La conduite de Delacollonge, à Brest, fut irréprochable. Il y mérita l'estime et la pitié de tous; il avait même su obtenir, par sa parole et par ses exemples, une grande influence sur ses compagnons de peine.

En septembre 1836, dans l'arrondissement de Gex, deux frères Collet s'étaient pris de querelle; l'un d'eux saisit l'autre au cou; ce dernier tomba mort. L'excitation de la rixe, un goître que portait la victime, parurent aux médecins avoir rendu l'asphyxie plus facile. Le survivant fut condamné à deux ans de prison.

Faut-il chercher dans cet exemple, qui ne serai pas le seul à citer, l'absolution de Delacollonge? Non, sans doute. Si un mystère est resté dans cette cause, la justice humaine n'avait point à le dévoiler. Le prêtre coupable avait mérité par ses fautes même ce châtiment horrible d'expier un crime qu'il n'avait pas commis. S'il fut vraiment innocent de la mort de Fanny, l'expiation subie par lui sur cette terre lui comptera devant Dieu

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Tu ne tueras point, a dit la loi divine, et cependant le Dieu de paix et de douceur est aussi le Dieu des armées. Tu ne tueras point, a dit aussi la loi humaine, et cependant il est des meurtriers qui comparaissent devant son tribunal sans encourir ses vengeances; ceux-là ne sont pas justiciables du juge humain, et, mis en présence du cadavre de la victime, certain du meurtre, le juge répond: Celui-ci n'est pas coupable, celui-là est mort par la visitation de Dieu!

Le suicide, le duel, l'homicide par le fait de légitime défense échappent à l'action de la justice humaine; dans ces trois cas, la responsabilité disparaît ou relève d'un autre tribunal, et le droit positif recule impuissant devant le droit naturel. Tantôt, cette impuissance n'est autre chose qu'une incompétence de la loi; tantôt, elle dénonce une imperfection sociale, et trahit l'absence de cette protection qui, d'ordinaire, remplace la justice de chacun par la justice de tous. Si, par exemple, la loi humaine n'a pu édicter contre certains crimes que des peines insuffisantes, disproportionnées; si un homme est gravement menacé dans son honneur, atteint dans ce que l'âme a de plus intime, la famille de plus respectable, le domicile de plus sacré; alors le droit primitif reprend son empire, l'homicide commis devient légitime ou excusable, ou même le juge attristé voile un moment la statue de la loi.

CAUSES CÉLÈBRES. 340 LIVR.

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Le 12 juin 1857, vers dix heures et demie du soir, un coup de feu retentissait dans le parc du château de Jeufosse, propriété voisine de la ville de Gaillon, dans le département de l'Eure. Un homme tombait, frappé mortellement, et expirait dans la poussière, après une courte agonie.

Cet homme se nommait Emile Guillot; il était propriétaire du petit domaine d'Aubevoie, situé à trois kilomètres de Jeufosse. Celui qui venait de le frapper était Crépel, garde particulier de la famille de Jeufosse.

La justice, informée, se transporta sur le lieu du meurtre. Le cadavre était encore étendu au milieu d'une avenue du parc, non loin de l'endroit où il était tombé; il présentait dix petites blessures, les unes pénétrantes, les autres superficielles, disséminées sur les reins, la cuisse et le mollet gauche. Un seul projectile put être retrouvé, et on jugea, au poids, que c'était une chevrotine du n° 5 ou du n° 4 du commerce. Les docteurs Carville fils, de Gaillon, et Petel, de Louviers, attribuèrent la mort à un seul projectile, qui avait atteint les reins. Guillot avait dû être touché au moment où il descendait une pente assez rapide, présentant au meurtrier le côté gauche et une partie du dos.

Les premiers actes de l'information furent faits par M Michel Chamption, juge de paix de Gaillon. Puis,

UNIVERSIDAD C

ECA

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tion.

arrivèrent le procureur impérial et le juge d'instruc- | naturellement, presque sans nous le dire... Nous nous aimâmes... Te rappelles-tu nos premières caresses... cet échange de bagues..., Tu ne peux avoir oublié cela?...

On avait tout d'abord interrogé Gros, jeune domestique au service de la victime. Cet homme, presque un enfant, raconta qu'ayant, comme cela lui était arrivé plusieurs fois, suivi son maître jusque sous les murs du parc de Jeufosse, dans lequel celui-ci avait l'habitude de s'introduire, il n'avait pas tardé à entendre une voix crier: Halte-là! tu es mort, puis un coup de feu, suivi de ce cri lamentable: « Ah! mon ami Gros, viens à mon secours, je suis mort!» Éperdu, Gros avait eu un instant la pensée de s'enfuir; mais, surmontant sa peur, il avait fait le tour des murs, avait trouvé fermée seulement au pène une porte dite des Rotoirs, et, pénétrant dans le parc, avait été frapper à la fenêtre de la cuisine du château. Personne ne lui avait répondu; enfin, il avait averti le cocher, et, guidé par les cris de douleur, il avait trouvé son maltre gisant dans la poussière. Il l'avait transporté à quelques pas de là. Guillot, cependant, disait: «Ce sont des lâches je ne suis pourtant pas méchant! C'est Crépel, le garde, qui m'a tué... Tu demanderas pardon pour moi à ma femme et à mes enfants... Tu diras adieu à mes amis! >>

Mais que venait faire à cette heure Emile Guillot dans le parc de Jeufosse? Y porter un billet, répondit Gros, et déposer ce billet entre deux briques, au pied d'un arbre. C'était là un premier trait de lumière. Trois dames habitaient Jeufosse, Mme de Jeufosse, Mu Blanche de Jeufosse et Me Laurence Thouzery, institutrice et compagne de cette dernière. Guillot, bien que marié, père de deux enfants, était un homme d'une immoralité notoire. Une intrigue découverte avait pu amener le fatal événement.

La justice commença par s'assurer de la personne de Crépel. Celui-ci parut frappé de surprise, quand il fut question de l'arrêter. Voyant que cela était sérieux: — « Voilà ce qui arrive, dit-il; on vous dit de tirer, de tuer même s'il le faut, puis on vous abandonne, et il vous faut aller en prison. >> « Cela ne dépend pas de moi, dit à son garde Mme de Jeufosse; je ne peux pas empêcher ce qui t'arrive; mais, prends courage, tout n'est pas désespéré. » Et, se tournant vers le magistrat : « Je croyais, Monsieur, dit-elle simplement, avoir le droit de défendre ma propriété. Est-ce qu'on n'avait pas consulté pour cela? ajoutat-elle en regardant les siens.» « Un magistrat, répondit M. le procureur impérial, ne saurait vous avoir donné un tel conseil. >>

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Les deux fils de Me de Jeufosse, mandés à la hâte, arrivèrent au milieu de ces lugubres scènes. L'un d'eux, Albert, s'écria: « Si Crépel avait été assez lâche pour ne pas le faire, je l'aurais fait à sa place.» Cette attitude indiquait aux magistrats d'autres devoirs. Hs cherchèrent d'abord à pénétrer le mystère de cette mort. Le billet trouvé entre les deux briques semblait accuser une intrigue récemment ébauchée; il était ainsi conçu :

« Je t'ai enfin aperçue, chère amie, et cet instant si court a été bien doux pour mon cœur; car tu t'es retournée afin de voir si je te regardais. Merci, merci mille fois; après t'avoir remis l'autre jour mon premier billet...,j'oubliai tous mes maux, tout ce que j'ai souffert pour toi.

<< Pourquoi n'as-tu pas consulté ton cœur seul, et pourquoi as-tu tant tardé à prendre ma lettre? Je ne L'accuse pas... Je ne t'en veux pas... Depuis longtemps on te tourmente, on te tracasse... Mais j'ai eu à souftrir plus que toi de mon côté... Je suis prêt à souffrir plus encore... S'ils savaient comme tout cela est venu

« A toi mon âme, ma vie... un baiser bien tendre!... >>

Mme de Jeufosse n'hésita pas à déclarer que c'était à sa fille qu'était adressée cette lettre; mais Mule Blanche n'avait pas eu connaissance du premier billet, que sa mère avait ramassé elle-même, excitée à la vigilance par la persécution inouïe que Guillot exerçait contre sa maison.

C'est ici le lieu de dire ce qu'étaient ces deux familles et quels avaient été leurs rapports.

La famille Delaniepce de Jeufosse était établie depuis longtemps dans la commune de Saint-Aubainsur-Gaillon, au hameau de Jeufosse. Son chef, ancien officier de cavalerie, était mort depuis dix ans environ. M. Delaniepce, autrefois serviteur fidèle des Bourbons, avait quitté le service à la chute de la dynastie restaurée et s'était retiré dans son château de Jeufosse. Là, marié à Me Elisabeth Augustine de Beauvais, il en avait eu trois enfants, Ernest-AmédéeLouis,.Albert-Ladislas et Blanche.

Restée veuve, Mme de Jeufosse s'était consacrée tout entière à ses enfants. Les deux fils, dont l'un, Ernest, était né en 1832, l'autre, Albert, en 1835, échappèrent bientôt à la direction maternelle; ils s'établirent à Paris et y menèrent cette vie de folles prodigalités, d'oisiveté coûteuse et d'aventureuses spéculations qui n'est que trop souvent l'écueil des fils de famille ; ils y compromirent leur patrimoine et il fallut pourvoir l'aîné d'un conseil judiciaire.

Me de Jeufosse n'avait auprès d'elle que sa fille, Mile Blanche. En 1856, elle lui donna pour dernière institutrice, ou plutôt pour compagne, Mlle Laurence Thouzery, à peine plus âgée que son élève, qui venait d'atteindre dix-sept ans.

C'est alors que des relations de voisinage s'établirent entre la famille de Jeufosse et la famille Guillot. Emile Guillot, propriétaire à Aubevoie, était le fils d'un paysan de la Drôme, Pierre Guillot, homme actif, aventureux qui, venu à Paris sans fortune, avait su y conquérir une assez belle situation dans l'industrie, et était devenu en peu de temps fournisseur des vivres à la maison centrale de Gaillon. Spéculateur habile et hardi, Pierre Guillot était sur la grande route du million, quand la révolution de 1848 le précipita comme tant d'autres. La ruine le trouva sans énergie, il se brûla la cervelle dans les Champs-Elysées. Ce suicide était plus qu'une faute, c'était une erreur de calcul; son bilan mieux étudié, l'ordre et la sécurité rétablis mirent en lumière une situation inespérée, et les deux fils de Pierre Guillot se trouvèrent riches chacun d'environ vingt-cinq mille livres de rente.

Ardent, passionné pour le plaisir comme son père, Emile Guillot ne sut pas comme lui tourner ses facultés vers un but utile. Il s'endormit oisivement dans cette fortune qu'il avait trouvée toute faite, et l'année 1856 le trouvait, à trente et un ans, marié à une honnête femme dont il avait deux enfants. Emile Guillot était ce que l'on appelle vulgairement un honnête homme, d'une incontestable probité, obligeant, gai, de mœurs douces et faciles. Mais un vice d'éducation gâtait ces heureuses qualités; Guillot manquait absolument de sens moral et de principes. L'idée du devoir était étrangère à cette âne; sous ce vernis d'honnèteté banale, s'étalaient la corruption la plus grossière, le cynisme idiot de l'homme qui ne sait rien,

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