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cation plus soignée. Elle ne manque point d'intelligence, ▸ j'ose vous répondre de la bonté de son cœur.

Verteuil. Je le voudrais; mais dans son amollissement pourra-t-elle adopter des principes plus sévères? Non, je vois qu'il vaut mieux m'occuper d'elle pour le temps où je ne serai plus.

Didier. Ne me parlez point de ce malheur, je vous prie; les larmes me viennent aux yeux d'y penser. Non; vous vivrez encore long-temps pour notre avantage. Le Ciel ne voudra pas nous ravir si tôt un second père.

Verteuil. Je suis sensible à votre tendresse ; mais la prévoyance de la mort n'en avance point le moment fatal. Le sort de votre sœur me cause de plus vives inquiétudes. Enfin, j'ai résolu de lui laisser tout ce que je possède, pour qu'elle ait au moins de quoi se préserver de l'indigence.

Didier, (lui prenant la main.) Oh! je vous en remercie mille et mille fois. Combien je me réjouis! Irai-je lui annoncer cette heureuse nouvelle ? Mais non, il vaut mieux qu'elle l'ignore. Qu'elle apprenne d'abord des choses utiles, comme si elle devait vivre de son travail. Elle en saura

gouverner plus sagement sa fortune. Ô ma chère sœur, je puis donc espérer de te voir heureuse!

Verteuil. Vous êtes un bien digne enfant! Votre raison ne me charme pas moins que votre générosité. Venez, mon cher Didier, que je vous embrasse. Moi, ne vous rien laisser, et donner tout à votre sœur! Comment pourrais-je commettre une telle injustice? Cette pensée était loin de mon esprit. Je voulais seulement vous mettre à l'épreuve. C'est vous qui serez mon héritier universel; et je cours faire mon testament à votre avantage.

Didier. Non, non, monsieur Verteuil, gardez vos premières intentions. Laissez tout à ma sœur. J'en deviendrai plus studieux et plus appliqué. J'acquerrai des talens utiles; je serai honnête homme. Avec cela, je ne suis pas inquiet de mon avancement.

Verteuil. Rassurez-vous quant à Léonor: je lui laisserai un petit legs, pour qu'elle ne manque jamais du nécessaire. Didier. Eh bien, faisons un échange. Le petit legs à moi, comme un souvenir de votre amitié, et le reste pour ma

sœur.

SCÈNE XIX.

Verteuil, Didier, Léonor, qui s'élance hors du cabinet, et court se jeter au cou de son frère.

Léonor. Ô mon frère ! mon cher Didier! ai-je mérité de ta part ?...

Didier. Tout, ma chère Léonor, si tu veux répondre à mes souhaits et à ceux de notre digne bienfaiteur.

Léonor. Oui, je le ferai, je le ferai. Je vois combien la différence de notre éducation a élevé ton âme au-dessus de la mienne, quoique je sois l'aînée. Disposez de moi, monsieur Verteuil, selon votre amitié. Je veux aussi m'instruire, et prendre mon frère pour modèle.

Verteuil. Vous ferez votre bonheur si vous persistez dans cette sage résolution. Mais d'où naît ce changement dans vos idées ?

Léonor. Ah! je viens d'entendre les vœux de Didier. Son noble désintéressement, son sacrifice généreux; j'ai tout entendu. Je n'ai plus contre lui aucun sentiment de jalousie. Il sera toujours mon guide et mon meilleur ami.

Didier. Oui, ma sœur, je veux l'être : j'en ferai toute ma gloire, tout mon plaisir.

Verteuil. De quels doux sentimens vous me pénétrez l'un et l'autre ! O mes chers amis ! je ne sens plus de regret d'être privé d'enfans. Vous m'en tiendrez lieu désormais car j'éprouve pour vous l'affection la plus tendre. Je crois voir votre père qui, du haut du ciel, tressaille de joie de m'avoir laissé ces gages de sa tendresse. (Léonor et Didier lu serrent les mains, et les arrosent de larmes.)

Léonor. Ne perdons pas un moment, mon cher bienfaiteur. Où est la personne dont vous m'avez parlé pour une meilleure éducation ?

Verteuil. Je vous la ferai bientôt connaître. Je me propose de passer encore quelques jours auprès de vous, pour préparer de loin l'esprit de votre tante à seconder mes desseins. Il faut être bien attentifs à ne pas l'offenser: elle mérite toujours vos respects et votre reconnaissance. Elle s'est méprise, Léonor, sur le véritable objet de votre bonheur; mais ses plus vifs désirs n'en étaient pas moins de vous rendre heureuse.

Léonor. Oui, je le sens ; mais je renonce dès aujourd'hui à toutes les futilités dont elle m'avait occupée. Plus de mu. sique, de danse, ni de dessin.

Verteuil. Non, ma chère amie; cultivez toujours ces ta. lens aimables. Songez seulement qu'ils ne forment pas tout le mérite d'une femme. Ils peuvent la faire recevoir avec agrément dans la société, la délasser des travaux de sa maison, et lui en faire aimer le séjour, ajouter un lien de plus à l'attachement de son mari, la guider dans le choix des maîtres qu'elle donne à ses enfans, et accélérer leur progrès. Ils ne sont dangereux pour elle que lorsqu'ils lui inspirent une vanité ridicule, qu'ils lui donnent le goût de la dissipation et du mépris pour les fonctions essentielles de son état. Ce sont des fleurs dont il ne faut pas ensemencer tout son domaine, mais qu'on peut élever, pour ses plaisirs, à côté du champ qui produit d'atiles moissons.

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Le Théâtre représente une antichambre du palais. Une porte ouverte à deux battans laisse voir un cabinet dans lequel est un lit de camp. On voit au pied du lit, sur un guéridon, une lampe allumée et une lettre.

SCÈNE PREMIÈRE.

Le Prince, à demi-habillé, couché sur un lit de camp, et couvert d'un grand manteau; le Page, dormant sur un fauteuil dans l'antichambre.

Le Prince, (se réveillant.) Voilà ce qu'on appelle dormir!... Heureusement la paix est faite... On peut se livrer au sommeil, sans craindre d'être réveillé par le bruit des armes. (Il regarde à sa montre.) Deux heures? Il doit être plus tard! ai dormi plus que cela. (Il appelle.) Page! page! Le Page, (se réveille en sursaut, se lève, et retombe dans le fauteuil.) Eh bien! qui m'appelle? Tout-à-l'heure, un mo

ment.

Le Prince. Y a-t-il quelqu'un ? Personne ne répond? Le Page, (se tournant de côté et d'autre, et se parlant à luimême.) Oh! je dormais si bien!

Le Prince. J'entends parler. Qui est là? (Il tourne le garde-vue de la lampe, et regarde.) Est-il possible! Quoi! c'est cet enfant? Devait-il veiller près de moi, ou moi près de lui? À quoi a-t-on pensé ?

Le Page, (se lève tout endormi, et se frotte les yeux.) Mon. seigneur !

Le Prince. Viens, viens, mon petit ami, réveille-toi! Vois l'heure qu'il est à ta montre; la mienne est arrêtée.

Le Page, (s'appuyant sur les bras du fauteuil, et toujours endormi.) Comment? comment dites-vous, monseigneur ?

Le Prince, (souriant.) Tu tombes de sommeil. La drôle de petite figure! Qu'il serait bon à peindre dans cet état! Je J'ai dit de voir a ta montre l'heure qu'il est.

Le Page, (s'approchant à pas lents.) Ma montre, monseigneur? Ah! excusez-moi, je n'en ai point.

Le Prince. Tu rêves encore. Mais en effet, n'aurais-tu pas de montre ?

Le Page. Je n'en ai jamais eu.

Le Prince. Jamais? Comment! ton père t'a envoyé ici sans te donner une des choses les plus nécessaires, et même la seule dont tu aies besoin pour faire ton service?

Le Page. Mon père? Ah! si je l'avais encore !

Le Prince. Tu ne l'as plus ?

Le Page. Il est mort même avant que je fusse né. Je ne l'ai jamais connu.

Le Prince. Pauvre enfant! mais ton tuteur, ta mère, auraient bien dû songer...

Le Page. Ma mère, monseigneur? hélas! vous ne le sa vez donc pas ? elle est si malheureuse! si pauvre ! Tout ce qu'elle avait d'argent, elle l'a employé pour moi; mais elle n'en avait pas assez pour m'acheter une montre. tuteur a bien dit qu'il m'en fallait une; (il bâille :) cependant il ne me l'a pas encore donnée.

Le Prince. Qui est ton tuteur?

Le Page. Monseigneur, c'est mon oncle.

Mon

Le Prince, (souriant.) À merveille; mais il y a bien des oncles dans le monde; comment s'appelle le tien ?

Le Page. C'est un des capitaines de vos gardes. Il est de service aujourd'hui.

Le Prince. Tu as raison; je m'en souviens, c'est lui qui t'a présenté. Mon petit ami, prends cette bougie. (Il lut met une bougie dans les mains.) Tiens-la bien. Dans ce cabinet, (il le lui montre,) là, à côté, tu trouveras deux montres pendues à la glace. Apporte celle qui se trouvera à ta droite; et surtout prends garde de mettre le feu avec la bou. gie. Va.

Le Page, (en sortant.) Oui, monseigneur.

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