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curer tout ce dont on a besoin pour huit jours. Les hommes et les femmes y vont indistinctement; cependant il est très rare que les hommes achètent du colon ou les femmes de la viande. Les hommes ne se mêlent point du ménage; mais ce sont eux qui lavent les habits pour les deux sexes, excepté ceux que les femmes ne veulent point exposer à leur vue. Leur manière de blanchir est très simple; ils font un trou dans la terre à côté du ruisseau; au-dessous de ce trou ils étendent une pièce de cuir; et, après avoir mis leurs habits sur le cuir, avec la farine du fruit d'un arbre qui ressemble beaucoup aux raisins de Corinthe, ils remplissent d'eau leur trou par-dessus, et foulent aux pieds, pendant une ou deux heures, leurs habits entourés de l'écume que produit cette farine; puis ils les trempent dans l'eau claire du ruisseau et les en retirent blancs comme la neige.

L'habillement des hommes consiste en un petit caleçon qui leur va jusqu'aux genoux, une ceinture, et une espèce de linceul dans lequel ils s'enveloppent. Les femmes ont une chemise double et un linceul qu'elles mettent autrement que les hommes. Les moines et les prêtres, ainsi que les Lics et les Alacas, ont aussi une chemise au lieu de ceinture, et un bonnet, ou, s'ils en ont le moyen, un turban sur la tête. Les jeunes gens, jusqu'à l'âge de trente-cinq à quarante ans, arrangent leurs cheveux de différentes manières; mais toujours en faisant une quantité de petites tresses. Ils se rasent

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la tête en l'honneur des morts qui leur sont chers. Quand les Abyssins vont en voyage, ils ne prennent ordinairement qu'un peu de farine et de sel; ils font cuire, chaque soir, leur pain sans levain et le trempent dans la sauce avec la famille de la maison où ils logent. Les marchands qui vont en caravane vivent, pendant leur route, presque comme chez eux, et les pauvres qui les accompagnent se nourrissent de ce qu'ils veulent bien leur donner. Quand ils ont des fardeaux à porter, les hommes les placent, ou sur la tête, ou sur une épaule; les femmes sur les deux épaules à la fois, mais jamais sur une épaule seule ni sur la tête.

Les Abyssins respectent beaucoup leurs supérieurs; on ne les entend presque jamais dire du mal de ceux qui les gouvernent. Les domestiques sont attachés à leurs maîtres et jurent par leur nom, et ils continuent à le faire même après leur mort, s'ils ont été les objets de leurs bontés.

En parlant à des égaux on se sert de la seconde personne du singulier; lorsqu'un enfant s'adresse à ses parens, ou une femme à son mari, ils emploient la seconde personne du pluriel; mais lorsqu'ils sont absens, ils en parlent en se servant de la troisième personne plurielle du pronom et du verbe. Quand on s'adresse à un supérieur ou à un homme qu'on respecte, on emploie la troisième personne du singulier pour le pronom et du pluriel pour le verbe; mais, en son absence, on se sert aussi du pluriel pour le pronom. Dans le Tigré on

ne se sert du singulier du pronom et du verbe qu'en parlant à des personnes avec lesquelles on est très familier ou en s'adressant à des enfans; dans tout autre cas on emploie la seconde personne da pluriel; et en parlant d'un gouverneur, en son absence, on se sert de la troisième personne du pluriel. Je mentionne ceci parce que, en n'observant pas ces règles, on s'attire facilement des disputes, surtout avec les prêtres; mais un blanc a la permission de s'adresser à tout le monde en employant le singulier.

Je ne m'arrêterai point à la partie de la superstition d'Abyssinie qui n'a pas de rapport direct avec la religion; mais je dirai quelques mots d'un préjugé fort répandu et qui a chez eux des conséquences contraires à la morale; c'est leur croyance aux sorciers et à l'influence des yeux malins. Quand un homme tombe malade ou lorsqu'il lui arrive quelque malheur, lui et ses alentours en cherchent toujours la cause dans les pouvoirs surnaturels des boudas ou des yeux malins; leurs soupçons, vagues d'abord, se portent bientôt avec force sur une personne quelconque à laquelle ils attribuent l'origine de ce mal, et contre laquelle ils conçoivent une inimitié cachée et implacable. J'ai entendu parler d'un homme qui vit encore, auquel on avait persuadé qu'il avait un œil malin; il fit plusieurs expériences pour s'en convaincre ; et une fois qu'ayant regardé un enfant de l'œik droit seulement, il apprit que cet enfant était tombé

malade le lendemain, il fat tellement convaincu qu'il en était la cause qu'il s'arracha cet oil.

Les Abyssins voudraient toujours savoir toutes choses d'avance; c'est pourquoi ils croient à mille espèces d'augures; il suffit souvent qu'un petit oiseau bleu chante à la gauche d'une armée en marche pour la faire rebrousser chemin. Au reste on n'a qu'à inventer tous les préjugés les plus déraisonnables, et l'on pourra, d'après eux, se faire une idée de la superstition des Abyssins dont toute la vie se passe dans la fainéantise et le plus souvent dans la débauche.

D'après tout ce qui précède, on peut en partie se représenter les secours et les obstacles qui attendent le messager de Christ en Abyssinie. Car, craignant de représenter le peuple abyssin comme plus mauvais ou comme meilleur qu'il n'est, je me suis toujours abstenu d'ajouter des réflexions aux faits. Mais si du peuple lui-même je passe à l'œuહૈ vre de mission entreprise au milieu de lui, si j'examine ce qui a été déjà fait, ce qui reste à faire, je signalerai, sur le premier point, la traduction et l'impression partielle de la Bible en langue amharique, ce qui est de la plus haute importance. J'ajouterai ensuite que j'ai la conviction que les obstacles qui existent chez les Abyssins ne sont pas insurmontables avec le secours de la grâce de Dieu; quant au reste, je renvoie à mon journal; on y verra que la Parole de Dieu, contenue dans les quatre Evangiles et quelques exemplaires des Epîtres,

a été répandue dans toutes les parties du pays. Les conversations religieuses que j'ai eues à Gondar ont été reproduites dans toutes les provinces. Les plus instruits, éclairés par ce double moyen, ont commencé à sentir quelque doute au sujet des erreurs qu'ils avaient toujours regardées comme la vérité; et quelques jeunes gens paraissent avoir reçu l'invitation de Dieu qui veut les conduire à Jésus pour leur donner la vie éternelle.

Quant à ce qu'il faudra faire dans la suite, il est difficile de le préciser d'avance; on devra se laisser diriger en grande partie par les circonstances, sous l'influence de la divine Providence. En effet, quoique les chrétiens qui m'ont connu ne m'aient témoigné que de la bienveillance, ils ont cependant assez de préjugés pour se méfier de tout ce qui aurait une apparence de publicité. Voici les trois moyens qui pour le moment me paraissent les plus naturels, les plus faciles et peut-être les plus utiles: d'abord, multiplier les exemplaires de la Parole de Dieu; ensuite, prêcher l'Evangile sous forme de conversations dans toutes les circonstances possibles; et enfin, instruire quelques jeunes gens pour en faire des maîtres d'école, parce qu'il ne peut pas même être question de fonder des écoles avant d'en avoir formé les directeurs. En établissant une ou plusieurs stations de missions, il faudra nécessairement choisir les villes de refuge dont j'ai parlé ailleurs; et tant qu'il n'y aura qu'une seule station, Gondar est préférable sous

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