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fut renvoyée au sénat de Corinthe, et on rendit aux guerriers les armes dont on les avait dépouillés. Avec quels transports ils les reçurent! avec quel serrement de cœur ils embrassèrent mères, femmes et enfants! La patrie leur avait pardonné, et ils ne tardèrent pas à montrer qu'ils n'avaient pas cessé de mériter l'honneur de la servir.

Les jours tant souhaités des combats approchaient. Les Souliotes allaient se trouver en présence des mahométans! Khourchid pacha, comblé des graces du sultan, déclarait hautement le dessein d'anéantir les Doriens de la Selleïde. Les Schypetars, plus nombreux que jamais, étaient accourus sous ses drapeaux de toutes les parties de l'Illyrie macédonienne et de l'Épire. Les Iapyges Chaoniens et les Chamides Thesprotes avaient embrassé la cause du grand-seigneur; et soixante mille bourses (trente millions) trouvées, dit-on, dans l'épargne d'Ali pacha, devaient être employées à l'expédition contre Souli. Omer Brionès, renommé par son intrépidité, commandait l'armée sous les ordres de Khourchid pacha, qui devait rester au quartier-général de Janina, afin de surveiller les mouvements excentriques des insurgés et de couvrir les opérations. Tahir guidait les Toxides, avec Elmas bey, qui n'avait pas tardé à oublier l'engagement contracté à Tripolitza (1). Hago Bessiaris était chargé de diriger les Musachéens et les Guègues, tandis que quinze pachas et visirs, conduisant douze mille hommes, secon

(1) Voy. liv. VI, ch. v, de cette Histoire.

deraient leurs efforts. Des corps de cavalerie devaient occuper les champs Élyséens ou campagne de Paramythia; des mulets transportaient de l'artillerie de montagne; et comme, grace à la sollicitude de Thomas Maïtland, on n'avait rien à craindre du côté de la mer, on pouvait, avec un effectif de plus de vingt mille combattants, se flatter d'un succès rapide et complet. Dans l'idée de se faire précéder de la terreur, le serasker avait annoncé que son armée se montait à quarante mille hommes; mais cette ruse de guerre n'en imposa pas plus aux Souliotes que l'appareil formidable des barbares.

Le 23 mai, après une revue générale, le polémarque Nothi Botzaris ayant rappelé à ses compatriotes la gloire qui les attendait en soutenant le premier choc des Turcs, désigna à l'assemblée des vieillards le poste d'honneur qu'il désirait occuper. C'était ceJui de Gouras, position centrale, où il se proposait de s'établir avec neuf cents hommes, afin d'observer les manœuvres de l'ennemi, et de pouvoir venir au secours de ceux qui auraient besoin d'assistance. Il indiqua ensuite aux principaux capitaines qui étaient sous ses ordres leurs destinations particulières (1). Ainsi Nicolas Tzavellas, fils de Photos, guerrier de mémoire immortelle parmi les Épirotes (2), et

(1) Voy., pour l'intelligence de cette topographie, le t. III, ch. xxxiv de mon Voyage dans la Grèce, et la carte dressée par M. Lapie, d'après mes Mémoires.

(2) Qui prendrait place dans le souvenir des hommes, si la tragédie des Martyrs de Souli de M. Népomucène Lemercier

Georges Dracos, issu de ces familles doriennes dont l'illustration se perd dans la nuit de l'histoire, reçurent l'ordre de se porter à Liviskitas, avec mille hommes accoutumés dès l'enfance au métier des armes.

Un grand nombre de ces soldats se glorifiaient d'avoir servi les Bourbons de Naples et l'Angleterre, sous le commandement de William Bentinck et de Richard Church, pour qui ils furent des braves aussi long-temps qu'on eut besoin de leurs services. Maintenant, désavoués par une politique antisociale, on les qualifiait de rebelles, parce que, renonçant au métier de mercenaires, ils versaient leur sang pour l'autel et la patrie.

On décerna la défense périlleuse de Zavroucos à Tzigouri Tzavellas et à Georges Karabinis, auxquels on donna le commandement de mille palicares. Touzas Zerva fut placé, avec trois cent cinquante Spaches (1) aux pieds légers, du côté de Scoupa et du moulin de Dâla, qui avoisine l'Achéron, afin de surveiller la cavalerie turque répandue sur les bords de ce fleuve. Natché Photomaras et Georges Malamos, avec cinq cents soldats, furent désignés pour occuper le village de Seritchani. Ainsi, avec quatre mille sept cent cinquante soldats, parmi lesquels il y en avait au plus sept cents originaires de la Sel

était un jour représentée sur le premier théâtre de la moderne Athènes, et le rôle d'Ali confié à Roscius Talma.

(1) Spaches, tribu albanaise exercée à soutenir de longues marches. V. t. II, p. 504, et n. 2, de mon Voyage dans la Grèce.

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leïde, on se crut en mesure de résister à vingtdeux mille hommes, parmi lesquels on comptait un effectif de dix-sept mille combattants, le surplus n'étant que des vivandiers, des valets et des juifs, que , que les Turcs traînent toujours à la suite de leurs hordes.

L'esprit de Dieu, l'amour de la patrie, l'habitude des combats et des succès, tels étaient les auxiliaires des Grecs, contre un ennemi plus de trois fois supérieur en nombre aux forces qu'ils avaient à lui opposer. Sans se faire illusion, car ils avaient aussi connu le malheur, les gérontes de la Selleïde, persuadés qu'ils ne pourraient conserver toutes leurs positions, avaient arrêté un plan de concentration. Il consistait à se retirer, en disputant le terrain de rochers en rochers et de ravins en ravins, en dedans d'un triangle formé par le torrent de Samoniva, le fleuve Achéron et la chaîne du mont Voutzi, auquel le défilé d'Avaricos (1) est appuyé. Forcés dans ce centre, leur refuge était dans Kiapha, dernier boulevard de la patrie, où les chrétiens étaient résolus à s'ensevelir.

Ce projet ayant été communiqué aux capitaines, ils se rendirent aux différents postes qu'on leur avait assignés, après avoir invoqué, par des jeûnes et des prières, la protection du Dieu des batailles. Ils laissaient six cents hommes à la défense du fort de Sainte- Vénérande, sous la conduite de

(1) On présume que c'est l'Averne des Mythologues. Voyez la carte particulière de la Selléide, jointe à cette Histoire.

leurs gérontes, lorsqu'ils partirent accompagnés de leurs femmes, chargées de munitions, et accoutumées à les assister au fort de la mêlée, en préparant leurs armes; car quelques-uns d'entre eux avaient plusieurs fusils de rechange. Arrivés dans leurs embuscades, ils s'occupèrent à les fortifier, sans cesser de s'exercer à la course, à la danse, à la lutte et au jeu du disque.

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Les palicares de Natché Photomaras sortaient d'un de ces exercices, lorsqu'un cri de joie, parti des monts Zagoûras ou Tymphéens (1) se fit entendre. L'avant-garde des Schypetars Toxides, conduite par Omer Brionès, s'avançait pour les combattre. Ils entonnent le chant de guerre, Allons, enfants des Grecs! qu'ils venaient à peine de finir quand les Turcs, débouchant du défilé de Variadès, le 28 au matin, engagèrent la fusillade, plutôt dans l'intention de tâter le terrain que pour entreprendre une affaire sérieuse, ainsi qu'on en put juger par l'inaction de leurs bandes nombreuses, qui se montraient dans le lointain sans prendre part au combat. Ce fut le jugement qu'en portèrent les capitaines souliotes, qui furent prévenus pendant la nuit que le serasker Omer pacha avait résolu de les faire harceler le lendemain sur plusieurs points à la fois, afin de diviser leur attention, tandis qu'il formerait une attaque principale contre le centre des montagnes de la Selléide.

(1) Voy. tom. II, pag. 30, 42, 55 de mon Voyage dans la Grèce.

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