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XVII

LA MORT DE MARIE LECZINSKA

A la fin de l'entretien suprème où, dans le port d'Ostie, par une nuit étoilée, en face des flots limpides, elle aspirait à « cette vie éternelle que l'œil n'a pas vue, que l'oreille n'a pas entendue et où n'atteint pas le cœur de l'homme, » sainte Monique disait à son fils : « Mon enfant, rien ne m'attache plus à la terre. Qu'y ferai-je ? Pourquoi y suis-je encore ? J'ai consommé dans le siècle toute mon espérance. Il était une seule chose pour laquelle je désirais séjourner quelque peu dans cette vie, c'était de te voir chrétien avant de mourir. Cette joie, Dieu me l'a donnée avec surabondance, puisque je te vois mépriser toute félicité terrestre pour le servir. Que fais-je encore ici ? »

Ce que sainte Monique disait dans le port d'Ostie, Marie Leczinska pouvait le dire dans le palais de Versailles. Elle avait inspiré à ses enfants

des sentiments chrétiens. Deux de ses filles et son fils étaient morts dans la paix du Seigneur. Les quatre filles qui lui restaient pensaient et vivaient comme des saintes. Sa tâche était accomplie. Elle ne songea plus qu'à mourir.

Le couvent des Carmélites de Compiègne était devenu son asile de prédilection. C'est là que, fuyant des grandeurs dont l'éclat ne l'avait jamais éblouie, elle s'humiliait, elle s'anéantissait devant le roi des rois, devant celui qui fortifie et qui console. Cette reine à qui son fils disait un jour : « Savez-vous bien, maman, que vous finirez par vous brouiller avec sainte Thérèse ? Pourquoi vouloir être ici plus fervente que les plus ferventes carmélites, et faire vos prières encore plus longues que les leurs ?» Cette reine, qui aurait volontiers échangé le manteau royal contre la robe de bure, avait pour oratoire une cellule qui ne différait en rien de celle des religieuses. Elle voulait apprendre, disait-elle, à mourir au monde et à elle-même.

Mmo Campan, qui a si bien connu les quatre dernières filles de Louis XV, s'exprime ainsi sur l'influence salutaire que la reine exerça sur leur destinée « Mesdames eurent dans leur auguste mère, Marie Leczinska, le plus noble modèle de toutes les vertus pieuses et sociales; par ses émi-. nentes qualités, par sa modeste dignité, cette princesse voilait les torts que trop malheureusement on était autorisé à reprocher au roi ; et

tant qu'elle vécut, elle conserva à la cour de Louis XV cet aspect digne et imposant qui, seul, entretient le respect dû à la puissance. Les princesses ses filles furent dignes d'elle, et si quelques êtres vils essayèrent de lancer contre elles les traits de la calomnie, ils tombèrent aussitôt, repoussés par la haute idée qu'on avait de l'élévation de leurs sentiments et de la pureté de leur conduite. >>

La femme qui avait su maintenir un reste de décence dans une société corrompue, et qui avait ainsi sauvé les restes du prestige royal, était entourée d'une vénération sans mélange. A cette époque, comme à toutes les autres, on rencontrait des types d'honneur et de vertu, des existences patriarcales et véritablement chrétiennes, des intérieurs qui étaient des sanctuaires. Il ne faut pas juger le xvIII° siècle par la cour et par quelques salons. Les honnêtes gens étaient encore nombreux, surtout dans la noblesse de province, dans la bourgeoisie et dans le peuple. Malgré les attaques de Voltaire, malgré la construction de cette tour de Babel qui se nomme l'Encyclopédie, le christianisme continuait à être ce qu'il était depuis tant de siècles : l'âme de la France. Les tentatives des philosophes pour créer une morale indépendante de la religion échouaient d'une manière misérable, et tous les bons esprits reconnaissaient que l'école voltairienne conduisait la nation aux abîmes.

La vie de Marie Leczinska était, pour ainsi dire, le symbole de l'élément vertueux et chrétien. La pieuse souveraine avait maintenu, en face de l'adultère, les droits sacrés de la famille ; Louis XV, malgré ses dérèglements, n'aurait jamais osé, comme Louis XIV, légitimer les enfants de ses débauches, et les déclarer successibles au trône de France. Le scandale était dans le boudoir des favorites, l'édification dans le foyer de la reine.

Autant Mme de Pompadour avait été haïe et méprisée, autant Marie Leczinska était aimée et respectée. Son arrivée devenait un jour de fête, son départ causait une tristesse générale. « N'estil pas bien admirable, écrivait-elle, que je ne puisse quitter Compiègne sans voir tout le monde pleurer? Je me demande parfois ce que j'ai fait à tous ces gens que je ne connais pas pour en être tant aimée ? Ils me tiennent compte de mes désirs. » Elle donnait tout ce qu'elle avait, a dit la maréchale de Mouchy, sa dame d'honneur, et quand il ne lui restait plus rien, elle vendait ses bijoux. Dans une année où la cherté du pain avait rendu la misère plus profonde, elle engagea ses pierreries, et porta des pierres fausses. Sa charité était comme sa bonté: inépuisable. Elle avait les vertus d'une bourgeoise, les manières d'une grande dame, la dignité d'une reine. La résignation avec laquelle elle supportait ses malheurs, inspirait à tous une sympathie mêlée d'une

respectueuse compassion. L'opinion publique lui rendait hommage, l'envie et la médisance se taisaient devant elle. Les philosophes eux-mêmes l'honoraient.

A une époque décomposée, où tout se dérangeait dans les esprits et dans les cœurs, elle conservait trois qualités rares à la cour: l'honnêteté, le tact et le bon sens. Sa vertu n'avait rien de sombre et de morose. Sa dévotion douce, agréable, rappelait celle de saint François de Sales, le plus aimable de tous les saints. Elle avait le don de se faire aimer par une parole, par un sourire. Comme le remarque Mme la comtesse d'Armaillé, il n'y avait guère de salon en France, vers le déclin du dernier siècle, où l'on ne rencontrât quelque vieille dame toujours prête à raconter sa présentation à Versailles et à s'attendrir en racontant les compliments que la bonne reine Marie lui avait adressés dans cette mémorable soirée. Affable par nature et par principe, indulgente par instinct et par raisonnement, Marie Leczinska se distinguait, au milieu de toutes les femmes de la cour, par une qualité qui est une force et un charme, une qualité plus nécessaire encore aux souverains qu'aux particuliers la bienveillance.

Quand elle tomba malade, l'émotion fut universelle. Chaque Français avait pour elle les sentiments d'un frère ou d'un fils. Le peuple assiégeait les portes du château de Versailles.

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